Photovoltaïque : le moratoire brise l’élan de la filière

Voici un article de Mediapart qui résume la situation du secteur photovoltaïque aujourd’hui. Un moratoire a été décidé par le gouvernement sur le rachat de l’énergie solaire, car celle-ci serait trop coûteuse.
Incompréhensible, et aberrant….

Photovoltaïque : le moratoire brise l’élan de la filière

Le Grenelle de l’environnement avait érigé le photovoltaïque en priorité, le gouvernement vient de donner un coup d’arrêt au développement de cette électricité verte. Il a prononcé un moratoire sur le rachat de l’énergie solaire qui déstabilise toute la filière. Pendant trois mois EDF n’a plus le droit de conclure un contrat de rachat de l’électricité photovoltaïque. Et toutes les demandes de raccordement au réseau qui n’avaient pas, au 2 décembre, été validées, sont annulées. Une exception: cette suspension ne s’applique pas aux petites installations, inférieures à 3 KW.

La ministre de l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, avance deux arguments pour justifier cette suspension. D’une part, la production de cette électricité verte (qui en 2010 ne représentait que 0,11% de la consommation d’électricité en France) serait trop coûteuse. Et d’autre part, l’industrie française du photovoltaïque serait trop faible: l’explosion du volume de panneaux installés en France profiterait quasi-exclusivement à l’industrie chinoise.

Avant d’analyser les arguments du gouvernement, un préalable. Tous ceux qui produisent de l’énergie grâce à des panneaux photovoltaïques, en toiture ou au sol, vendent la totalité de leurs productions à EDF en raccordant leurs installations au réseau. Ils le vendent à un tarif très intéressant: entre 32 et 58 centimes d’euro le KW quand le consommateur l’achète entre 10 et 15 centimes d’euro. Et bénéficient d’un contrat de rachat sur 20 ans.

Premier argument : une électricité trop chère. Ecoutons Nathalie Kosciusko-Morizet, au micro de France Info le 21 décembre: «Si toute la file d’attente passe, cela coûtera 2 milliards d’euros par an pendant 20 ans sur la facture EDF du contribuable». Le terme de «file d’attente» désigne les demandes envoyées aux gestionnaires de réseau, ERDF (Electricité réseau distribution France, filiale d’EDF) et RTE (Réseau de transport d’Electricté, également filiale d’EDF qui gère les lignes de hautes et très hautes tensions), qui n’ont pas encore abouti. Elle représenterait, au total, environ 4.800 GW.

D’où viennent ces chiffres et cette crainte que le photovoltaïque plombe les finances publiques? Ils semblent s’inspirer –librement– du rapport Charpin. Rédigée par l’inspection générale des finances en septembre, cette étude pointe le «péril financier» du photovoltaïque. Les KWh rachetés par EDF sont en partie à la charge des foyers consommateurs d’électricité qui paient la contribution au service public de l’électricité (CESP). Mais cela représente des petites sommes, 5% environ de la CESP sert à soutenir la politique de rachat de l’électricité photovoltaïque. L’essentiel va à l’éolien et à la biomasse, une partie sert aussi au financement du raccordement des DOM-TOM. Le rapport Charpin a calculé que le surcoût du photovoltaïque sur la CSPE, si la France dépassait les objectifs du Grenelle et atteignait 17.000 MW de panneaux installés, serait alors de 3 milliards par an. Ce qui représenterait une augmentation d’envrion 30 euros sur la facture d’un ménage moyen par an.

Mais cette prévision est contestée. Le scénario table sur 17.000 MW en 2020 alors que  les objectifs du Grenelle sont situés à 5.400 MW pour 2020. Actuellement, la France dispose de 860 MW d’installés.  Une autre expertise a été menée à l’Ines (Institut national de l’énergie solaire). «Le surcoût sera temporaire, le prix de rachat de l’électricité solaire va baisser fortement ces prochaines années. Il ne sera plus nécessaire de subventionner autant car les prix des panneaux vont baisser, explique Jean-Pierre Joly, le directeur général. On pense que le fonds CESP, en réorganisant l’ensemble de ses dépenses, est en mesure d’absorber la hausse transitoire.» Selon lui, on peut éviter une hausse sur la facture des abonnés.

Le gouvernement force le trait sur les importations chinoises

L’argument du coût avancé par la ministre de l’Ecologie met en rogne les acteurs de la filière, les associations écologiques et certains élus. «C’est une aberration de dire que le photovoltaïque va augmenter la facture, lance Yannick Jadot, député d’Europe-écologie, membre de la commission Industrie, recherche et énergie au Parlement européen. C’est un discours scandaleux qui alimente la doctrine nucléaire. On ne parle pas d’EDF qui a massivement investi, dans le parc nucléaire britannique. Aujourd’hui ça se révèle être une catastrophe en matière de rentabilité financière.»

Produire de l’électricité avec le photovoltaïque coûte environ deux fois plus cher que de le faire avec des éoliennes ou des barrages. C’est une filière subventionnée, d’abord par cette politique de rachat de l’électricité solaire à des prix forts, plus élevés que chez nos voisins européens. Mais aussi par d’autres aides: des crédits d’impôts ou des subventions de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et des régions qui financent des projets photovoltaïques, agricoles notamment. «C’est vrai que cela a créé un effet d’aubaines, le dispositif a fait que les gens se faisaient un peu trop facilement de l’argent», reconnait Jean-Pierre Joly. Avant de poursuivre: «En même temps on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. Il fallait lancer la filière qui était en retard… Mais c’est quand même du KW vert qui est installé, ce n’est pas de la spéculation dans le sens où on profite de placements et des flux financiers, pour faire de l’argent.» Allusion à la «bulle spéculative» que le gouvernement a mis en avant.

Deuxième argument: le développement de la filière ne profiterait qu’aux entreprises chinoises. «C’est caricatural, même si c’est vrai que les panneaux chinois envahissent la planète», estime le directeur de l’Ines. Chez les industriels français réunis aux sein de l’Association de l’Industrie Photovoltaïque Française (AIPF), on reste perplexes. «On estime que près de 30% des panneaux installés en France sont français, explique Yann Maus, président de l’AIPF et PDG de Fonroche. Le reste vient d’Asie, d’Espagne, d’Allemagne, essentiellement. On est loin du 90%.» Peut-être s’agit-il alors des composants des panneaux, c’est-à-dire les cellules? Même dans ce cas, le trait serait forcé.

Détour à Gundershoffen, dans le nord de Alsace, au siège de Norba Energies. L’entreprise qui appartient au groupe Atrya est spécialisée dans l’installation de centrales solaires photovoltaïques. Elle tient une grosse part du marché alsacien. Chez eux, 1/3 des volumes de panneaux commandés provient de Chine, 2/3 viennent des fabricants européens (allemand, français et autrichiens). «Les panneaux chinois que nous importons, de la marque Eging, sont 20% moins cher que les panneaux que nous achetons chez les fabricants européens, détaille Lippe Martin, le directeur. La différence aurait pu être plus grande si nous avions choisi du low cost chinois.» Ces panneaux ont tous la même technologie, mais les modules chinois affichent les prix les plus attractifs, les modules européens se rattrapent un peu sur les rendements et surtout ils offrent des garanties produits beaucoup plus longues. «On a tardé à faire des panneaux asiatiques, on l’a fait pour rester dans le marché. Il y a des clients qui cherchent le moins cher possible…»

«Le gouvernement agite le chiffon rouge, estime Ariane Vennin, porte-parole de l’ONG Ecologie sans frontière. On nous avait fait le coup du plombier polonais là on nous fait le coup du panneau chinois et de la facture d’électricité. C’est très basique.»

Nathalie Kosciusko-Morizet impute cette présence des produits chinois à la faiblesse de l’industrie française. «On n’a pas réussi à créer une filière industrielle nationale», répète-t-elle à plusieurs reprises. Il est vrai que l’industrie française du photovoltaïque affichait en 2008 un gros retard par rapport aux Allemands, les acteurs historiques de la filière depuis les années 1980, et par rapport aux Chinois qui affichent des tarifs bas: grâce aux faibles coûts de la main d’œuvre, mais aussi des investissements, des bâtiments, de l’énergie…

Une filière décrédibilisée

Pour l’instant, l’industrie française, à une exception près (l’entreprise Photowatt), se concentre sur le dernier maillon de la chaîne, l’encapsulation: l’assemblage des panneaux à partir des cellules. Ses capacités de production augmentent rapidement: selon les industriels, elles sont passées de 70 MW en 2007 à environ 700 MW à la fin 2010. «On rentre dans une deuxième phase: on se lance maintenant dans la fabrication des cellules elles-mêmes, explique Yann Maus, président de l’Association des industriels français. Sur cinq sites, nous avions prévu 400 millions d’euros d’investissement l’année prochaine.»

Il poursuit : «L’Etat a seulement regardé les grands groupes français, Areva, Saint-Gobain, Total. Pas les PME, pourtant dynamiques. Effectivement les grands groupes, ça fait longtemps qu’ils n’investissent plus en France. Saint-Gobain a deux usines de panneaux solaires en Allemagne et vient d’annoncer une troisième usine en Corée du Sud. Total annonce des énormes investissements principalement aux Etats-Unis. C’est une doctrine de l’Etat de penser que les grands groupes vont développer de nouveaux secteurs d’activités en France. Ça ne marche pas comme ça.»

Le moratoire plonge dans l’inquiétude tous les professionnels du secteur (voir le communiqué d’ Enerplan), et pas seulement les installateurs de panneaux, comme le laisse entendre la ministre. «Le Grenelle, ça ne doit pas être une augmentation de la facture EDF pour subventionner de l’industrie chinoise, disait-elle le 21 décembre. Le Grenelle ça doit être de l’emplois verts pour la France». Partout on craint pour ces emplois, estimée à 20.000 dans l’ensemble de la filière.

«Il aurait fallu anticiper et ne pas arriver à un moratoire. Le moratoire, c’est un arrêt brutal, des gens qu’on licencie, des problèmes de trésoreries importants dans les sociétés, certaines vont disparaître». Chez Norba Energy, l’installateur alsacien, cela représente «une cinquantaine de dossiers annulés. 5 ou 6 mois de travail mis à la poubelle.» Chez Fonroche, une usine d’assemblage de panneaux qui compte plus de 300 salariés, on espère ne pas licencier. «Fin octobre on avait 235 MW de commandes, à ce jour il nous en reste 90 MW. Les 12 derniers mois de développement de travail commercial, de bureaux d’études, les millions d’euros investis se sont envolés en deux heures dans une réunion interministérielle», tonne Yann Maus, le PDG.

Autre conséquence marquante: EDF Energies nouvelles (EDF EN) et l’américain First Solar ont décidé de geler la construction de l’usine de fabrication de panneaux de Blanquefort en Gironde qui devait commencer en janvier 2011. «On manque de visibilité, déplore David Corchia, directeur général de la filiale d’EDF spécialisée dans les énergies renouvelables. On a besoin de savoir si au moment où notre usine tournera à plein régime, à l’été 2012, on pourra ou pas installer des panneaux en France.»

Pour beaucoup d’observateurs, ces décisions donnent l’impression d’une grande improvisation et décrédibilisent la filière. «Ce qu’a fait la France est unique en Europe, s’indigne Yannick Jadot, député vert européen. En changeant le régime financier ou administratif tous les six mois, le gouvernement créé un contexte de déstabilisation des filières renouvelables. Plus personne ne va avoir envie de faire du photovoltaïque en France. Les Allemands ont installés 9.000 MW de panneaux, rien que cette année, en France on arrive à 860 MW, en cumulé.»

Cette incompréhension est relayée par Ecologie sans frontière, l’ONG qui est très active sur Facebook via le groupe Touche pas à mon panneau solaire, a annoncé le dépôt prochain d’un recours devant le Conseil d’Etat contre le décret.

C’est dans ce contexte houleux qu’ont commencé, lundi 20 décembre, des concertations entre acteurs de la filière et gouvernement qui doivent aboutir en février sur la mise en place d’une nouveau cadre réglementaire.

Elodie Berthaud
Article paru sur MEDIAPART.fr 25 décembre 2010
Publié le