Commerce et climat : pour une cohérence des politiques européennes
Parfois schizophrène dans ses choix politiques, l’Union européenne doit faire preuve de cohérence pour gagner en crédibilité et transformer en profondeur la société. Le couple commerce/climat est un exemple marquant sur lequel le parlement européen vient de se pencher.
Commerce et climat : pour une cohérence des politiques européennes
Près de trois après l’adoption de son paquet climat énergie, l’Europe continue de prétendre au leadership international en matière climatique. C’est ignorer les politiques engagées par nombre de ses partenaires qui font de la sobriété énergétique et de la décarbonisation de leur économie un enjeu premier de compétitivité. C’est aussi ignorer que la responsabilité climatique de l’UE ne s’arrête pas aux émissions de gaz à effet de serre qu’elle produit sur son territoire. Il y a actuellement en Europe un certain nombre de pays dont les importations de produits manufacturés contrebalancent très largement les baisses de leurs propres émissions. Environ un tiers des émissions de l’Europe ne sont pas produites en Europe mais correspondent à des biens importés. L’Europe doit s’attaquer à ces émissions « importées » pour être crédible sur la scène climatique internationale et garantir une réelle transformation écologique de son économie. En outre, les accords commerciaux qu’elle négocie et met en œuvre ont des impacts potentiellement lourds sur le climat. Le rapport « Politiques commerciales internationales dans le cadre des impératifs dictés par les changements climatiques» de Yannick Jadot, adopté le 25 novembre 2010 par le Parlement européen à une très large majorité, identifie les moyens d’assurer cette cohérence.
La crédibilité de l’Union européenne passe par la cohérence
Il est impératif d’instaurer plus de cohérence entre les objectifs climatiques de l’UE et la façon dont elle négocie ses accords commerciaux, au niveau bilatéral ou au sein de l’OMC. On assiste parfois à une véritable schizophrénie, par exemple quand l’Europe signe un accord de libre échange favorisant la déforestation par l’importation d’agrocarburants non durables ou de bois tropicaux et, qu’en même temps, elle finance la lutte contre la déforestation ou s’apprête à signer un accord « REDD+ » sur ce sujet à Cancun.
Pour assurer une cohérence commerce-climat, l’Union européenne doit réaliser un « bilan carbone » de toutes ses politiques commerciales. Elle doit ensuite revoir ces politiques ou obligatoirement prendre des mesures compensatoires (notamment en matière de coopération technologique) si celui-ci s’avérait négatif pour le climat.
Il est également indispensable de relancer les discussions à l’OMC sur les « procédés et méthodes de production », autrement dit sur la possibilité de différencier les produits selon la façon dont ils ont été produits, et en particulier selon leur empreinte écologique. Un ballon de football conçu dans des conditions environnementales et sociales désastreuses, ne doit plus être considéré comme identique à un ballon de football produit de manière socialement et écologiquement juste et responsable. Cette absence de prise en compte des conditions de production n’est plus justifiable auprès des opinions publiques européennes comme des salariés et militants qui luttent pour la reconnaissance d’un minimum de droits sociaux et environnementaux chez nos partenaires commerciaux.
La réforme des règles antidumping de l’OMC pour y inclure la question du juste prix environnemental éviterait, de la même manière, que certains pays tentent de faire de l’inaction climatique un avantage concurrentiel. Ce chantier, l’Union européenne doit l’engager avec, et non contre, ses partenaires commerciaux.
Assurer la cohérence commerce-climat pour bénéficier de la transformation écologique
Cette question du dumping environnemental est évidemment liée au vif débat sur les « fuites de carbone », autrement dit le risque que l’industrie européenne soumise à des politiques climatiques trop fortes délocaliserait sa production dans des pays moins ambitieux sur le plan du climat. Cet enjeu est aujourd’hui clairement sur-estimé et instrumentalisé pour justifier l’inaction. N’en déplaise aux lobbies industriels, seule une poignée de secteurs sont réellement en danger, et bénéficient de très généreuses dérogations. La Commission européenne doit mieux identifier ces secteurs à risque, et recourir à des outils plus adaptés, au cas par cas, pour les protéger. Le recours massif aux quotas gratuits est une grave erreur. Le mécanisme d’ajustement aux frontières peut être utilisé pour certains secteurs, mais uniquement associé à la mise aux enchères totale des quotas CO2.
Une fois la question des fuites de carbone réglée, il faut rappeler à quel point lutter contre les changements climatiques est un facteur de compétitivité. Il est temps de comprendre qu’une politique climatique ambitieuse est une chance pour l’Europe et non une atteinte à son économie. La Chine et les Etats-Unis sont déjà engagés sur le chemin d’une économie verte, comme en attestent leurs plans de relance. En prenant le leadership de la lutte contre les changements climatiques, l’Union européenne renforcerait la compétitivité de son économie, grâce aux économies d’énergies et aux énergies renouvelables, deux secteurs à fort potentiels d’emploi, d’innovation et de développement industriel. Le seul objectif de 20% d’économies d’énergie en Europe créerait 1 million d’emplois et 1000 euros d’économies en moyenne par an et par ménage européen
Encore faut-il mettre un terme à la concurrence déloyale des énergies fossiles. Si la Commission suit le Parlement européen dans ses propositions innovantes, un calendrier pour supprimer progressivement les subventions de l’UE aux énergies fossiles verra enfin le jour. Au sein du G20, l’UE prendrait ainsi le leadership sur cette question. Ce serait en plus des centaines de milliards d’euros rendus disponibles pour renforcer la transition énergétique et la lutte contre les changements climatiques, chez nous et dans les pays du Sud.
Un commerce socialement et écologiquement responsable peut devenir un levier très puissant au service des objectifs européens de développement durable et de solidarité internationale. Les outils existent pour cela. L’Europe peut être en première ligne dans ce combat. C’est l’intérêt de tous et de la planète. C’est l’intérêt de l’Europe.
Yannick Jadot
Député européen Europe Ecologie, Vice-Président de la Commission du Commerce international