Taxe carbone: revue de presse

Interview sur Liberation.fr

Abandon de la taxe carbone: «Une grave occasion manquée»

Yannick Jadot (Europe écologie) est député européen. Il était leur chef de file lors du dernier sommet sur le climat à Copenhague. Dans le train pour rejoindre le Parlement européen à Bruxelles, il réagit pour liberation.fr à l’annonce de François Fillon sur l’abandon de fait de la taxe carbone, qui était la mesure phare du Grenelle de l’environnement.

Cet abandon vous surprend-il?


Malheureusement, non. On a bien vu Sarkozy et le gouvernement changer de pied sur l’environnement ces dernières semaines. Après son: «l’environnement, il y en a marre» du Salon de l’agriculture, on arrive sur quelque chose comme «le climat, on s’en fout». Donc, on est dans une situation où les citoyens attendent des actes derrière les discours et ce gouvernement n’a ni la capacité ni l’ambition de contrer les grands lobbys de l’agriculture de l’énergie des transports ou du bâtiment pour engager la transition énergique. Ce faisant, ce sont des centaines de milliers d’emplois et la perspective d’une nouvelle compétitivité de l’économie française qui sont cassées.

Vous avez réellement cru à la mise en place de cette taxe carbone?

Avec la mission Rocard, à un moment, oui. Entre le Grenelle et la mission Rocard, on avait deux compromis qui réunissaient les parties prenantes de ce dossier. Il suffisait que l’Etat joue son rôle pour que cela marche. Malheureusement, Sarkozy a voulu en faire un enjeu de communication personnelle, cristallisant ainsi toutes les oppositions. Et, arbitrage après arbitrage, il a vidé le compromis Rocard de son contenu. La taxe carbone version Sarkozy n’était efficace ni du point de vue énergétique, ni juste du point de vue social.

La taxe carbone enterrée, que reste-t-il désormais du Grenelle de l’environnement?

Il reste le fait que les associations travaillant avec les syndicats, les entreprises, les collectivités territoriales peuvent trouver de bonnes solutions pour l’environnement, pour l’emploi et pour l’économie. L’abandon de la taxe carbone, ce n’est pas l’échec du Grenelle et de son modèle de démocratie participative, c’est la faillite de la mise en oeuvre du Grenelle par le gouvernement.

Quel avenir imaginez-vous à cette question de taxe environnementale?

Il y a évidemment le débat européen. Selon nous, si l’Europe élève significativement son niveau d’ambition en matière de lutte contre le changement climatique et que cela génère des risques de compétitivité pour certains secteurs, alors l’UE devra réfléchir et mettre en place des mécanismes de compensation. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.

De la même manière que la France justifie son recul sur la question de la taxe carbone par des questions de compétitivité économique avec les autres pays européens, peut-on craindre que l’Europe se montre aussi frileuse et raisonne de même par rapport à ses concurrents mondiaux (Chine, Etats-Unis, Inde…)?

Cet argument fonctionne si mettre en place une économie sobre en énergie, une économie qui renforce le transport collectif, qui rénove ses bâtiments ou qui développe ses énergie renouvelables constitue un sacrifice. C’est visiblement le point de vue de Nicolas Sarkozy, qui est très attaché aux lobbys les plus productivistes. Ce n’est pas le point de vue d’autres partenaires qui, au contraire, investissent massivement dans ces secteurs pour sortir durablement de la crise. On peut rajouter que ne pas intervenir sur les consommations d’énergie mais laisser les consommateurs seuls face à leur facture énergétique, c’est accepter l’augmentation de la précarité énergétique dans notre pays.

Votre optimisme est donc plus que mesuré quant à la possibilité d’adoption d’une réglementation européenne dans ce sens?

Oui , parce que l’état d’esprit en Europe est globalement le même qu’en France. Mis à part des pays du nord, la Grand-Bretagne et, pour partie, l’Allemagne, c’est le statut quo environnemental et économique. Statut quo pour nous, écologistes, inacceptable.

Tout cela n’est-il pas déprimant pour l’acteur politique pro-environnement que vous êtes?

Ce sont sans conteste des occasions manquées graves pour la protection de l’environnement et la crise sociale. Mais cela confirme à l’inverse que l’écologie politique a toute sa légitimité.

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