Il y a encore quelques semaines, ceux qui se montraient relativement optimistes sur le Sommet sur le climat de Copenhague passaient pour des doux rêveurs. Nous mêmes étions plutôt pessimistes tant le retard pris dans les négociations depuis la conférence de Bali il y a deux ans semblait irrattrapable. Aujourd’hui, alors que s’ouvre ce Sommet présenté par beaucoup comme le rendez-vous du siècle, la donne a changé.
Entre temps le Brésil, les Etats-Unis ou encore la Chine et l’Inde ont mis certaines de leurs cartes sur la table de la négociation. La dynamique est enfin positive, et peut nous conduire à un accord acceptable pour le climat dans deux semaines. Mais le risque d’un échec est toujours présent. En tout état de cause, on devrait assister à un jeu de communication puissant : si ce n’est pas « j’ai sauvé le monde », ce sera « c’est la faute aux autres ». Dans ce registre de la communication, la France assure incontestablement le leadership mondial!
Enfin, la négociation frémit après des mois de blocage. Les américains tout d’abord : ils ont annoncé qu’ils allaient s’engager à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 17% d’ici à 2020 par rapport à 2005, et beaucoup plus en 2025 et 2030. Un geste politiquement très couteux pour Obama en interne, et qui tranche avec les années Bush. C’est un changement fort de la politique climatique américaine, marquée par une croissance continue des émissions de gaz à effet de serre. Un changement malgré la puissance de ceux qui, là-bas, continuent à contester le changement climatique. Oui, ce geste reste insuffisant. Oui les Etats-Unis doivent faire plus. Oui ils doivent intégrer cet engagement dans un accord international contraignant. Mais il ne faut pas sous estimer cette première rupture et ce début de rattrapage américain qui redynamisent les négociations climatiques.
Cette annonce américaine fait suite à d’autres avancées de pays industrialisés qui ont récemment changé de gouvernement : l’Australie et plus récemment le Japon. Certes, contrairement à l’Europe, ils n’ont pas encore voté de loi sanctifiant leurs annonces ambitieuses de réduction des émissions. Mais c’est justement le rôle de Copenhague. Passer des annonces aux engagements. Ajouter à la pression populaire nationale une pression internationale à laquelle ces deux pays sont sensibles.
Cela dit, peut on espérer un engagement suffisant des pays industrialisés, collectivement, à Copenhague ? Malheureseument non. Même si l’objectif retenu par chaque pays est le plus ambitieux parmi ceux qu’il a mis sur la table des négociations, ils ne seront probablement pas – collectivement – cohérents avec ce que recommandent les scientifiques et que soutient le parlement européen. D’où l’importance de ne pas figer ces engagements jusqu’en 2020 voire au-delà, mais de les renégocier dans quelques années dès que les scientifiques du climat auront rendu leur cinquième rapport à l’ONU.
Et les grands pays émergents dans tout ça ? Le Brésil ou l’Indonésie ont fait des annonces ambitieuses sur la scène internationale. L’Afrique du Sud les a faites au niveau national, mais on peut espérer qu’elle les mette sur la table des négociations à Copenhague. L’Inde a enfin avancé en annonçant une réduction de l’intensité carbone de son économie jusqu’à 25%. Difficile d’en juger l’ambition, mais rappelons nous qu’elle émet, par habitant, tellement peu de gaz à effet de serre et doit faire face à une telle pauvreté. A croire que l’Inde ne devrait pas être considérée comme les autres grands émergents. La Chine elle a annoncé une réduction de l’intensité carbone de son économie entre 40 et 45% d’ici 2020. Une rupture… insuffisante. Mais elle en garde sous le pied. A Copenhague, elle devra mettre toutes ses cartes sur la table. Alors, on pourra considérer que les grands émergents ont répondu à la hauteur de leur responsabilité.
Comment s’inscrit l’Europe dans cette dynamique positive? Malheureusement, elle semble restée enfermée dans sa tour d’ivoire. C’est effectivement le seul bloc de pays ayant voté une loi l’engageant à réduire de 20% ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990… soit moins de 10% de réduction par rapport à aujourd’hui. Effectivement les émissions européennes ont été réduites de plus de 10% depuis 1990… mais en grande partie grâce à l’effondrement économique des pays del’Est. L’Europe n’est certes pas, loin de là, le dernier de la classe dans la lutte contre le changement climatique. Mais elle doit rester modeste et être prête à faire plus : plus de réductions d’émissions – notamment si elle souhaite sauver son marché carbone interne qui risque de devenir moribond – et, enfin, un engagement financier pour aider les pays en développement à faire face à la crise climatique.
Quel rôle joue la France pour rendre à l’Europe ce leadership perdu, pour entretenir la dynamique positive qui se dessine ? Un rôle plus qu’ambiguë. Nicolas Sarkozy essaye d’échapper à une actualité nationale morose en mettant en scène un match Obama-Sarkozy sur le climat. Mais il n’y a pas de tel match. Il y a, à la rigueur, un match Obama-Hun Jintao dont l’Europe est exclue, notamment à cause d’un activisme français trop solitaire, non-communautaire, donc inefficace. A croire que cet activisme est destiné uniquement aux media nationaux. L’accord avec le président brésilien Lula a du mal à soulever les foules et pour cause : cet accord est vide, il n’offre aucune alternative crédible. Quant au plan justice-climat de Jean-Louis Borloo : s’il est intelligent dans son analyse et contient quelques bonnes choses, s’il est porté par un ministre convaincu… il n’est toutefois pas porté politiquement par l’ensemble des négociateurs français, donc encore moins par l’Europe. Un plan intéressant donc, mais qui n’intéresse pas grand monde.
Par sa stratégie solitaire, dans le mandat qu’elle donne aux négociateurs, dans les couloirs de Bruxelles, par le vote des députés UMP au parlement européen qui ont carrément fait voter un amendement supprimant la possibilité d’une taxe internationale sur les transactions financières pour financer les pays du Sud, la France n’aide pas l’Europe à retrouver son leadership. Mais elle préfigure ce que pourrait devenir le Sommet de Copenhague : un puissant jeu de communication où chaque chef d’Etat se présente comme le sauveur du climat auprès de ses propres citoyens, quitte à dénigrer les autres.
Yannick Jadot, député européen Europe Ecologie
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