LIBERATION
Des enjeux au plus haut degré
Christian Losson
7 Décembre 2009
Si tous les pays sont confrontés au réchauffement, les désaccords sur les moyens à mettre en œuvre sont nombreux. Tour d’horizon des sujets clés de la « 15e Conférence des parties ».
L’heure des choix et des engagements chiffrés et datés a sonné. Les 192 pays se disent tous résolus à agir pour enrayer le changement climatique, et s’y adapter. Mais la bataille est rude, entre les pays du Nord et du Sud et à l’intérieur de ces blocs. Rapide passage en revue des points les plus chauds.
Une chose est sûre : un traité ne sera pas signé à Copenhague. Cette « 15e Conférence des parties » (COP 15) se bornera à un mandat a minima : « Donner une suite au protocole de Kyoto, premier traité contraignant sur le climat, dont les engagements s’achèvent fin 2012 », résume un diplomate. COP 15 répondra-t-elle à un impératif, formulé en 2007 par les scientifiques du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), limiter la hausse des températures à + 2 °C d’ici à 2100 ? Donc réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). Les diviser par deux d’ici à 2050 par rapport à 1990 alors qu’elles ont augmenté de 30%. Et qu’elles ont battu leur record en 2008…
Au nom de leur responsabilité historique, les pays riches, responsables de 80% des émissions dès 2020, doivent les faire chuter de 25 % à 40% dans les pays industrialisés. Mais voilà : si tous les grands pays acceptent in fine de donner ce qu’ils avaient toujours refusé de faire jusqu’à présent – des chiffres -, leurs annonces s’établissent dans une fourchette de – 12% à – 16%. « Selon les derniers calculs, la baisse tournerait davantage aux alentours de 10% à 18%… » calcule Morgane Créach, du Réseau Action Climat. Des scientifiques allemands de Climate Analytics affirment qu’en l’état des négos »la trajectoire s’oriente sur + 3,5 °C d’ici à la fin du siècle ».
Le problème ? Le compromis sur la table ne mentionnerait pas de chiffres. Ou si : « Ils sont tous sur la table, avec des engagements pour 2020, 2050, etc. mais sont tous entre parenthèses, dans l’attente de la venue des chefs d’Etat, le 17 et 18 décembre », résume Karine Gavand, de Greenpeace. « Avoir 2 °C dans le texte doit être l’objectif minimal », rappelle le ministre allemand de l’Environnement. Et afficher une trajectoire. Un vrai sens pour sauver la face, mais un non-sens juridique… « Il ne faut pas renvoyer à Mexico, fin 2010, ce que l’on peut faire aujourd’hui », dit Jean-Louis Borloo.
Si, comme le dit Mikhaïl Gorbatchev à l’AFP, « la politique, ce n’est pas l’art du possible, c’est permettre que ce qui est considéré comme impossible devienne réalité », COP 15 sera un « test de leadership moderne ». Or, pour l’heure, personne ne se précipite pour endosser la panoplie du meneur. Les Etats-Unis ? Obama a enfin lâché des chiffres sortant le pays de l’isolationnisme. Et proposent une (petite) baisse des émissions, 6% par rapport à 1990. « On a beau parler de nouvelle donne diplomatique, à l’arrivée, ce sont quand même les Américains qui détiennent la clé d’un deal ambitieux ; sans eux, rien ne se fera », note Norichika Kanie, chercheur à l’Iddri, un think tank français. Problème : Barack Obama doit composer avec un Congrès très rétif. « On le taxe déjà de communiste, sa marge de manœuvre est très limitée », dit un négociateur.
L’Europe, justement, arrive avec une réputation de leader légèrement écornée. Et ce malgré les résolutions du sommet de Poznan en 2008, où les Vingt-Sept avaient accouché d’un « paquet énergie-climat » (-20% d’émissions a minima d’ici à 2020). « Depuis, [l’Europe] s’est endormie, et se fait même distancer par le Japon, qui annonce des objectifs plus ambitieux », dénonce Yannick Jadot, eurodéputé écologiste. Qui épingle aussi l’agit prop de la France « donnant une impression de dispersion et de confusion ». « Faux, s’insurge un diplomate français. Si les autres ont bougé, c’est grâce à l’Europe. » Reste les Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) : tranquilles. Ou presque. « Ils n’ont pas de leçons à recevoir, note un diplomate. Il n’y a pas de raison que la dette écologique ne soit pas davantage partagée par les pays riches. » A l’arrivée, dit Eloi Laurent, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, « chacun veut limiter ses efforts individuels, mais personne ne veut porter la responsabilité d’un échec collectif ».
Parler solidarité, c’est bien. La mettre en musique, c’est mieux. Comment aider les pays en développement à s’adapter et les pousser vers la voie d’une économie faible en carbone ? « Le problème, c’est la défiance sur l’aide. Les Objectifs du millénaire de réduction de la pauvreté par deux d’ici à 2015 sont dans les choux », note un négociateur britannique. Et le mirage d’une aide publique au développement (APD), prévue pour atteindre 0,7% il y a près de cinquante ans, toujours là… Or, l’on parle là de plan Marshall planétaire. La Fondation Hulot évoque 300 à 450 milliards de dollars par an (200 à300 milliards d’euros), dont 50 à 100 milliards d’argent public. WWF ou Greenpeace de 140 milliards, l’UE de 100… « A court terme, il nous faudra 10 milliards en 2010, 10 en 2011 et encore 10 en 2012, et donc un déblocage rapide du financement », assurait hier Yvo de Boer, le patron de l’ONU pour le climat.
La France y est allée de son initiative : le « plan justice climat », 450 milliards de dollars pour 2020, via… des taxations transnationales. « Ça avance comme jamais, note-t-on au Quai d’Orsay. En Europe, seuls les pays latins traînent encore des pieds, mais d’ici deux ans, on l’aura… » Voire. En attendant, l’UE refuse d’avancer des chiffres tant que les autres big players n’abattent pas leurs cartes, et « cherchent à intégrer les montants déjà chiches d’APD dans l’aide climat », redoute l’association Oxfam. Au grand dam des pays pauvres, qui menacent de tout bloquer.
A quoi sert une limitation de vitesse si les contrevenants n’écopent pas de PV quand ils ne s’y conforment pas ? Pour le climat, c’est un peu la même chose : quelles sanctions pour les pays qui ne respectent pas leurs engagements et n’atteignent pas leurs objectifs de réduction ? Il faut donc inventer un modèle et un policier mondial du climat. Mais comment monter une superstructure chargée de vérifier que les émissions déclarées des uns sont les émissions constatées par les autres ? « C’est essentiel, note un négociateur brésilien. Mais pas question de multiplier les ingérences. » Seules solutions : la revue par les pairs, par d’autres Etats ? Des sociétés privées, des institutions onusiennes ? « Une organisation mondiale de l’environnement, avec un vrai pouvoir judiciaire », dit un diplomate. La gouvernance et le suivi des promesses s’appliquent aussi à la gestion des fonds d’aide. Les Anglo-Saxons militent pour que la Banque mondiale s’en occupe. D’autres pour le Fonds mondial de l’environnement. « Le cadre institutionnel doit être renforcé, analyse Morgane Créach, du Réseau Action Climat. Et toute instance devra agir sous l’autorité de la Conférence des parties. Idéalement, ce doit être un système de gouvernance démocratique représentant de manière équitable les pays industrialisés et les pays en développement. » Pas gagné. « Chacun arrive avec son angoisse ou son inquiétude, les pays industrialisés avec leur compétitivité, les pays émergents, avec leur croissance et les pays vulnérables sont parfaitement démunis dans cette situation », résume Jean-Louis Borloo. Entre cris et chuchotements, la diplomatie onusienne vit un moment clé.
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