Angle de vue sur Copenhague – Interview parue sur le site du Parlement européen
– La délégation de l’Union Européenne tenant un rôle d’observation, plus que de partie prenante à Copenhague, que penser du poids effectif du Parlement européen à ce sommet?
Le poids du Parlement européen pendant le Sommet peut en effet sembler limité. Mais le rôle des parlementaires présents ne sera pas tant d’influencer les négociations à Copenhague: ils ont eu l’occasion de le faire en adoptant une position par leur résolution sur la négociation climatique ou en travaillant sur le paquet énergie climat ou les autres politiques énergétiques européennes. Ils pourront échanger avec les parlementaires et les négociateurs des autres pays ou encore avec les associations et ainsi préparer le futur. Surtout, ils devront aider au décryptage de l’accord qui sera obtenu à Copenhague. En effet, la négociation climatique est tellement complexe qu’il sera facile pour chaque pays, quel que soit l’accord final obtenu, d’imposer son plan de communication. Il sera facile de déclamer des discours grandiloquents sur la menace climatique à la photo de famille de dirigeants nous assurant que « le monde est sauvé »; il sera facile, en cas d’échec flagrant, de désigner un autre pays comme bouc émissaire et d’éviter ainsi d’assumer sa responsabilité. Si l’accord est mauvais et si l’UE se comporte mal dans la négociation, c’est notre responsabilité de le faire savoir et de porter notre analyse dans les medias.
– Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas su maintenir son leadership en matière climatique, atteint en décembre 2008 avec l’adoption du paquet climat?
Que l’UE ait atteint le sommet de son leadership sur le climat avec l’adoption du paquet énergie climat me semble… discutable ! Tout d’abord, le paquet ne répondait pas à une question fondamentale : quel soutien financier l’Europe est-elle prête à apporter aux pays en développement pour les aider à faire face à la crise climatique? Elle avait pourtant l’occasion de s’engager, de manière ferme, à consacrer une partie du revenu de la mise aux enchères des droits à polluer des industriels à l’aide aux pays en développement. En y consacrant au moins 30 milliards d’euros par an comme le demande le Parlement européen, elle aurait eu une position équitable. Elle a échoué. Et un an après, elle n’a toujours pas réussi à répondre à cette question malgré ses promesses répétées de le faire. Deuxièmement, le paquet a sacralisé l’objectif européen de réduction des émissions de 20% d’ici à 2020 par rapport à 1990. Mais pas celui de 30%, quand les scientifiques recommandent 40%. 20% par rapport à 1990, c’est seulement 10% de moins par rapport à aujourd’hui ! A peine mieux que les engagements du Protocole de Kyoto. Donc non, l’adoption du paquet énergie climat n’a pas été l’âge d’or du leadership européen sur le climat. Et malheureusement, l’Europe n’a pas été capable d’avancer depuis, alors que le monde a profondément changé avec le retour des Américains sur la scène internationale, le retournement japonais ou les propositions ambitieuses de plusieurs grands pays émergents.
Pourquoi l’Europe n’arrive-t-elle pas à être le leader de la lutte contre les changements climatiques ? A mon avis, répondre à ce défi requiert de s’engager dans une véritable transition énergétique. De passer du pétrole, du gaz, du charbon ou de fausses solutions comme le nucléaire aux économies d’énergie et aux renouvelables. Mais les dirigeants européens restent prisonniers de l’ancien modèle énergétique. Au mieux, ils sont prêts à modifier la répartition énergétique entre le gaz, le charbon, le pétrole et nucléaire. Mais ils ne croient fondamentalement pas dans les économies d’énergie et les renouvelables. Ils comprennent que c’est populaire mais n’y voient qu’une niche, un peu comme le bio. Cela ne fait pas partie de leur logiciel, de leur schéma de pensée, bien qu’il y ait des millions d’emplois nouveaux à la clef et une formidable opportunité pour réduire notre dépendance et nos factures énergétiques. Les dirigeants français sont trop attachés au modèle énergétique traditionnel représenté par des grandes entreprises industrielles françaises et multinationales, ses pseudo-fleurons, comme EDF, Areva, Total, Renault ou Peugeot. Combiné à la faiblesse du lobby des énergies renouvelables par rapport à ces mastodontes, ou à la quasi inexistence du lobby des économies d’énergie, vous comprenez pourquoi on ne s’engage pas dans une véritable transition énergétique. Et c’est également les raisons pour lesquelles la directive votée en 2008 pour limiter les émissions des voitures est si faible, le plan de relance européen se focalise sur la capture et stockage du carbone, et enfin pourquoi l’engagement européen de réduction de 20% de la consommation d’énergie n’est pas juridiquement contraignant.
– Un accord politique à la place d’un accord juridiquement contraignant serait-il un échec pour l’Union Européenne?
Un accord non contraignant serait un échec pour l’Union européenne mais surtout pour le monde. Ceci étant, ce n’est pas parce que l’accord trouvé à Copenhague n’est pas contraignant qu’il ne le deviendra pas dans les mois qui suivent. A Copenhague, il faut se mettre d’accord sur des objectifs ambitieux mais aussi sur le fait que, à terme, l’accord devienne juridiquement contraignant. C’est un point sur lequel l’Europe doit rester forte face aux Américains, dont les réticences au multilatéralisme et à tout accord international contraignant sont bien connues. À Obama de changer cela, de remettre les Etats-Unis réellement au cœur du système multilatéral.
– Quel sens donner aux contraintes en termes d’émissions de gaz à effet de serre de l’UE (objectif, -20%), si elle seule s’impose des limites?
Il faut arrêter de faire comme si seule l’Europe agissait pour réduire ses émissions. Les autres pays industrialisés sont en train d’acter des politiques nationales de plus en plus ambitieuses pour réduire leur consommation d’énergie, développer les énergies et donc réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Les objectifs qu’ils sont prêts à prendre sont bien souvent comparables à ceux de l’Europe. N’oublions pas que, quand l’Union européenne dit qu’elle va réduire ses émissions de 20% d’ici à 2020, c’est par rapport à 1990, pas par rapport à maintenant ! En fait, comme je l’ai indiqué précédemment, il s’agit d’une réduction de seulement 10% par rapport à aujourd’hui. Tous les pays riches doivent faire mieux, et cela est aussi vrai pour l’Europe. Les choses vont davantage dans le bon sens côté grands pays émergents. Contrairement à ce qu’on peut entendre ici et là, ils agissent déjà et sont prêts à agir encore plus. Des études montrent même qu’ils font des efforts plus importants que les pays riches en général, dont l’Europe ! N’oubliez pas que la Chine est en train de devenir le leader mondial des énergies renouvelables, et qu’elle a amélioré son efficacité énergétique de 20% en 5 ans ! Donc l’Europe n’est pas la seule à faire des efforts. Et elle a beaucoup à gagner à agir plus : des millions d’emplois nouveaux, moins de dépendance aux importations énergétiques, plus d’innovation…
– Les tensions internes à l’UE, entre derniers pays entrants et Europe de l’Ouest relatives au financement de l’aide à l’adaptation au changement climatique ont-elles une chance de se résoudre? Ces tensions sont-elles symptomatiques des tensions globales entre Pays du Nord et Pays du Sud?
Ces tensions intra-européennes sur le financement sont évidemment symptomatiques des tensions entre le Nord et le Sud au niveau mondial. Ce que demandent les pays de l’Est, c’est que l’effort financier européen soit réparti de manière équitable. Pour eux, cela veut dire répartir cet effort principalement en fonction du niveau de richesse de chaque pays. Leur demande est légitime : c’est ainsi qu’on s’est réparti l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de développement des renouvelables dans le cadre du paquet énergie-climat ! C’est ainsi qu’on a résolu la question de la solidarité entre pays européens. Mais de grands pays de l’Ouest s’opposent à ce qu’on applique le même mécanisme de solidarité au niveau international. Ils souhaitent répartir l’effort financier surtout en fonction des niveaux d’émissions actuels; afin de moins avoir à contribuer individuellement, et afin de réduire la contribution collective européenne. Pourquoi ce qui est équitable au sein de l’Europe ne le serait-il pas à l’extérieur ? Avec ce cynisme, l’Europe ne joue pas son rôle : être un laboratoire de résolution solidaire des problèmes internationaux.
– Quel serait pour vous, un bon accord à Copenhague?
Ce serait un accord cohérent avec les recommandations des scientifiques, et dans lequel les pays riches assumeraient leur devoir de solidarité envers les pays du sud. Un accord, qui deviendrait par la suite contraignant, et qui conduirait les pays riches à réduire leurs émissions dans le haut de la fourchette 25-40% d’ici à 2020 par rapport à 1990, comme recommandé par les scientifiques. Un accord dans lequel les grands pays émergents s’engageraient à renforcer leurs politiques nationales de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Un accord dans lequel les pays riches s’engageraient à mobiliser environ 7 milliards d’euros par an dès l’année prochaine pour aider les pays du Sud, cette contribution augmentant ensuite pour atteindre au moins 30 milliards en 2020.