Démocratie participative et urbanisation à Fontaine : Ou comment corriger notre myopie pour mieux construire!
Préambule
Comme citoyen engagé et comme modeste militant écologiste, je participe depuis de nombreuses années à des commissions extra-municipales, des groupes de travail associatifs, etc. Sur Fontaine, dans les comités d’habitants, les commissions de l’Agenda 21 et depuis 2 ans au sein des Conseils Citoyens Fontainois, j’ai pu mesurer la difficulté que nous avons à dialoguer, à écouter, à négocier et les importantes énergies dépensées avec des résultats assez souvent décevants et frustrants. A l’issue du CCF « construire la ville durable ensemble » du 18 avril 2013, j’ai quitté la réunion une fois de plus avec un sentiment ambigu mêlant satisfaction, déception, énervement voire frustration. Lors de la réunion quelques jours après à la salle Edmond Vignes sur les « portes du Vercors », je suis même parti un peu avant la fin devant le fiasco relatif, à mes yeux, de la soirée. Je m’explique :
Satisfaction devant la participation des habitants (49 au CCF), devant l’avancée de certaines idées, et surtout d’une bonne volonté certaine de chercher le consensus plutôt que la polémique frontale et stérile. La municipalité, élus et techniciens, a répondu positivement aux réactions, au départ en partie négative, du collectif des riverains de Robespierre. Stratégie fructueuse puisque tous les partenaires sont gagnants et surtout le projet.
Déception devant les difficultés d’analyse, d’objectivation et son corollaire d’écoute et dialogue, mais surtout déception devant le manque de solidarité des citoyens dans un pays des droits de l’Homme et de la « fraternité ».
Frustration que les arguments favorables au projet et d’une manière générale à la nécessité de densification urbaine soient peu et/ou mal compris, soit parce qu’ils se heurtent à ceux subjectifs, souvent intéressés, soit parce qu’ils ne sont pas assez explicités par les uns ou des autres (en particulier des élus et techniciens tellement immergés dans le sujet qu’ils simplifient les argumentaires).
Devant ce constat, j’ai pris un temps de réflexion et de recherche bibliographique sur la démocratie participative pour rédiger modestement quelques idées sur les freins et obstacles à une telle approche de gouvernance. J’ai emprunté à des philosophes, psycho-sociologues, etc, des concepts dans lesquels mon vécu, mon expérience, mes idéaux se retrouvent. Ce document n’est qu’un témoignage un peu critique mais sans jugement de valeur catégoriel et individuel. Certains points d’analyse paraitront sans doute idéaliste ou utopique car remettant en cause des aspects de la nature humaine, mais je crois en l’Homme, alors….
RETOUR sur les projets Robespierre et « portes du Vercors ».
Tout d’abord, les analyses sont souvent subjectives et un peu égocentriques : nuisances esthétiques, visuelle, moins value immobilières, etc. Dans ces deux exemples, c’est inévitable car il y a une catégorie de citoyens qui sont quasi absents ou non représentés aux réunions : ce sont les futurs habitants de ces « éco-quartiers ». Les habitants et riverains parlent en leurs noms mais ne défendent la plupart du temps que leurs propres intérêts. Dans la balance « qu’ai-je à perdre ou à gagner », c’est souvent le premier élément qui est pris comme clé de lecture d’un projet, d’une réforme. De là découle tout le processus d’argumentaires défavorables au changement souvent à court terme, car on ne sait souvent pas ce que sera vraiment la réalité dans une dizaine d’années. Rappelons-nous le tollé soulevé par l’annonce de la condamnation de la rue devant l’hôtel de ville qui allait bouleverser les habitudes des automobilistes (qui étaient forcément bonnes et « gravées dans le marbre ») !
Deuxièmement : le manque de vision à long terme et globale. A la décharge des citoyens, cela implique une certaine formation, éducation, curiosité et surtout un effort d’imagination. Naturellement, chacun préfère la proie à l’ombre, ou comme écrivait la Fontaine, « un tien vaut mieux que deux tu l’auras ». L’argumentaire devient réducteur voire fallacieux. On analyse les scénarii avec les paramètres actuels et non ceux à venir sans changer de paradigme. Impensable de concevoir un projet de logements avec un coefficient de véhicules inférieur à 2. Comment se déplacer, vivre….sur de telles bases contraignantes !! On objecte avec des arguments segmentaires : pas d’approche globale, systémique, qui se traduirait par des mini-révolutions culturelles dans nos habitudes.
Troisièmement : on ne prend pas assez en compte les évolutions technologiques, et les améliorations qui rendront les choses durables, fiables, vivables. Exemple d’argument fallacieux ou erroné : « Il y aura quelques centaines de véhicules de plus, donc plus de pollution, dans nos rues et l’air ». La réponse qui aurait du être donnée : Dans 10-20 ans, il y aura moins de véhicules par foyer, par contrainte, par raisons financières et pratiques (coût carburant, covoiturage, transport collectif), etc, et ceux-ci seront beaucoup moins polluants. Si la densification urbaine ne se fait pas et si ce ne sont pas les futurs habitants du quartier qui passent sous nos fenêtres, ce seront ceux qui auront été obligés de se loger à quelques kilomètres plus loin qui le feront en passant sur nos boulevards pour aller travailler!
Globalement : ces 3 catégories de critères d’analyse se conjuguent souvent pour produire les arguments d’opposition aux projets portés en débat. Mais comment dépasser les intérêts individuels au bénéfice des intérêts collectifs. C’est là un aspect délicat car pouvant être perçu comme manichéen et moralisateur avec des aspects idéologiques très polémiques, allant jusqu’à des remises en cause des plus values, d’héritage, d’avantages et privilèges, etc. Intellectuellement et psychologiquement, comme pour la notion de liberté, le sens de l’intérêt collectif n’est pas une démarche naturelle, il est par essence idéologique, donc politique. C’est le fameux mode de fonctionnement humain NIMBY « not in my back yard » : pas dans mon jardin. Oui, il faut construire ! oui ; il faut réduire le mitage agricole et rural et l’étalement urbain, mais…construisez ailleurs !.
Cette analyse rapide, donc réductrice et caricaturale, me conduit à faire quelques modestes suggestions et remarques sur nos fonctionnements dans l’optique de la démocratie participative.
Gérer, c’est prévoir ; donc corriger sa myopie !
Dans tous les débats de société, il est difficile pour le simple citoyen, travailleur, parents, de se projeter à long terme sans une vision un peu égocentrique, pour ne pas dire égoïste, qui accompagne le refus inconscient du changement. Pour les élus, il y a des enjeux électoraux où le long terme est souvent difficile à rendre compatible avec certains objectifs de mandat. La société formate depuis des générations les hommes en consommateurs de l’immédiateté. De manière caricatural, je dirais « tout et tout de suite », nos anciens reprochent (aient) aux jeunes générations de vivre à crédit et de ne plus épargner. Dans un tel contexte socioculturel, comment s’étonner que le changement soit perçu comme un problème plutôt qu’une solution. Qu’ai-je à perdre dans tel ou tel projet ? En termes d’aménagement du territoire, c’est encore plus compliqué : Comment avoir une vision globale si je ne change pas de lunettes pour corriger ma myopie et voir au loin et plus large ? Au fil de mes lectures et expériences, je me permets sans prétention de partager quelques uns des idées que j’ai ainsi cumulées.
Différentes échelles de participation. Les citoyens peuvent être invités à des rencontres qualifiées :
d’« information »,
de « consultation »,
de « concertation »,
de « co-construction ».
L’intitulé de « démocratie participative » est souvent appliqué à la combinaison pragmatique de ces différentes échelles et méthodes en fonction du sujet et de l’objectif recherché. Pour la «co-construction», l'habitant, expert « usager », est souvent oublié derrière les bureaux d'études et services techniques.
Mettre les gens en situation de responsabilité et de solidarité. C’est un objectif ambitieux qui est difficile à faire valider par les différents groupes, habitants, techniciens et élus, car c’est permettre à chaque citoyen, dans sa dignité, dans sa singularité, d’être coproducteur et copropriétaire de l’intérêt général.
Il est vrai qu’à vouloir jouer la carte de la démocratie participative, on se heurte parfois à certains réflexes « naturels » des habitants. Le syndrome « NIMBY », acronyme anglais de « pas dans mon jardin », désigne la fâcheuse tendance des administrés à privilégier leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général lorsqu’un projet collectif est soumis à concertation.
« Il y a bien souvent de la différence entre volonté de tous et la volonté générale » écrivait J.J Rousseau en 1762 dans son « contrat social » en soulignant l’écueil de vouloir prendre en compte tous les intérêts particuliers. On devine aisément la difficulté à susciter le changement en misant sur la participation citoyenne.
« Rien ne se fera sans les habitants » écrivait H. Dubedout, maire de Grenoble, en 1983 (« Ensemble, refaire la ville »).
Le pourquoi de nos échecs est facilement identifiable, le remède, lui, reste plus compliqué à trouver.
Fertilisons les 3 acteurs de la démocratie, les élus avec leurs responsabilités et leur légitimité, les techniciens avec leur expertise technique et les habitants avec leur expertise d’usage.
Pour la réussite de la démocratie participative, il faut donc mettre plus et mieux en œuvre les différentes étapes qui peuvent cohabiter dans une même réunion, mais avec une gestion difficile :
Informer, Sensibiliser, Former, Débattre, Décider.
CONCRETEMENT QUELQUES REPONSES que j’aurais souhaité entendre ou mieux développer de la part des techniciens et élus lors des CCF sur le projet Robespierre.
A l’objection « pourquoi densifier la ville ? », plusieurs arguments de réponses :
Solidarité : donner un peu de notre cadre privilégié en tant que riverains pour accueillir et partager l’espace en évitant aux gens de devoir s’installer loin de l’agglo où ils travaillent.
Stopper le mitage de l’espace rural qui consomme les meilleures terres agricoles en les minéralisant pour l’urbanisation. 500 000 ha (un département) de terres rurales sont consommés tous les 7 ans pour construire lotissements, zones économiques et infrastructures.
Devoir habiter à plusieurs dizaines de km de son travail devient déjà un problème financier pour les ménages modestes avec le surcoût croissant des dépenses de transports. Pour les municipalités périurbaines, comment répondre à une demande de transports en commun avec l’étalement urbain ?
Rentabiliser et améliorer les infrastructures comme les transports en commun sans que cela se traduise automatiquement par des augmentations de la fiscalité locale.
Pourquoi des projets de construction de logements collectifs et non pavillonnaires ? Parce ce modèle d’aménagement urbain de la maison individuelle avec ses 3 à 500 m2 de terrain, s’il est un souhait légitime pour les ménages, sera à terme un luxe pour la majorité et non supportable pour les collectivités car il consomme beaucoup plus d’espace et génère un étalement urbain. Il faut repenser le « vivre en ville » avec des petits collectifs confortables, bien isolés phoniquement, dans un cadre agréable, avec des terrasses végétalisées, jardins collectif pour favoriser le lien social, etc..
Des centaines de logements, ce seraient des nuisances et beaucoup plus de voitures et donc plus de pollution en particulier de l’air déjà chroniquement dégradé sur l’agglo : c'est faux. Certains habitants sont opposés au coefficient, 1.3 voiture par logement. « Il faut 2 !! ». Cet argument raisonne sur les critères et le contexte et mode de vie de fin du 20ème siècle. Or un projet d'urbanisation n’est pas pour demain mais pour les20-30 ans à venir. Il faut un peu plus d’imagination. Nous ne vivrons pas dans une vingtaine d’années, actuels et futurs résidents de Fontaine, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui : Nous serons incités, contraints peut-être, à n’avoir qu’un véhicule par ménage, d’une part, mais celui-ci sera surement plus propre et écologique, L’augmentation restreinte, voire la réduction, du parc automobile local ne dégradera donc pas la qualité actuelle de l’air, etc. D’autre part, si le quartier Robespierre ou des Portes du Vercors, par exemple, n’existaient pas, les centaines de voitures de ces non-résidents fontainois passeraient tout de même quotidiennement sur Fontaine vers l’agglo avec les déplacements des résidents extérieurs. Autre avantage d’une densification raisonnable, y compris en terme de plus value foncière, sera l’amélioration nécessaire et concomitante des transports en commun de nouvelles lignes ou surtout une fréquence horaire plus importante pour les quartiers qui bénéficiera aussi aux riverains (cf le 55 qui est tellement rare … !). Et puis, le covoiturage, les formules comme auto-partage, le développement des transports doux, le télé-travail, etc., tout cela changera le paradigme qui préside aux modes de vie actuels qui deviendront obsolètes ou inappropriés.
Autre avantage: les commerces de proximité existants ou créés seront aussi plus fréquentés, donc plus rentables et durables.
Donc place à l’imagination et à la solidarité pour les générations futures en changeant notre paire de lunettes pour voir plus loin, plus large et mieux.
Jean-Philippe VINCENT, février 2014.
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