Bangladesh – Damné-e-s de la Terre, pour combien de temps encore ?
Il y a un an, au Bangladesh, le Rana Plaza, un bâtiment abritant des ateliers de confection textile, s’est écroulé, entraînant la mort de près de 1200 personnes et plus de 2000 blessés. Retrouvées dans les décombres, des étiquettes prouvent que ces ateliers répondaient à des commandes de grands groupes occidentaux. Pourtant la plupart de ces multinationales refusent de reconnaître leur responsabilité et donc d’indemniser les victimes.
En suivant le fil de l’industrie textile, c’est tout un tissu d’aberrations économiques, environnementales et sociales qui apparaît. Les grands groupes donneurs d’ordre imposent de tels délais et de tels coûts que la sous-traitance sauvage est inévitable, avec des risques accrus de violations des droits humains et de dégâts environnementaux. Mais ces mêmes grands groupes fuient leur responsabilité.
En l’état actuel du droit, il est très difficile , pour ne pas dire impossible, de remonter la chaîne de décision lorsque des dommages humains ou environnementaux se produisent dans un pays tiers. Le seul contrôle repose sur les bonnes pratiques et la bonne volonté des entreprises commanditaires. C’est une bonne chose, beaucoup l’appliquent, mais ce n’est pas suffisant.
Sollicité-e-s par les ONGs regroupées sous la bannière du Forum citoyen pour la RSE, épaulé-e-s par des juristes extérieurs, nous avons commencé à travailler, avec mes deux collègues socialistes, Dominique Potier et Philippe Noguès, sur ce sujet près d’un an avant le drame du Rana Plaza. Le secteur du textile n’est en effet pas le seul touché. Depuis la catastrophe de Bhopal, en Inde, nous savons que les multinationales reconnaissent difficilement leur responsabilité. Shell au Nigeria, Areva au Niger… les exemples ne manquent pas. Face à leurs bataillons d’avocats, les victimes et les ONGs sont démunies. C’est la raison pour laquelle il est impératif, aujourd’hui, de se doter d’un cadre juridique stable, qui permette de faire passer l’intérêt général avant les intérêts privés.
Notre proposition de loi* marque une première étape. Déposée par les quatre groupes de gauche à l’Assemblée, elle n’est pas révolutionnaire. Cependant, elle suscite une violente opposition des lobbies patronaux, qui utilisent des arguties juridiques pour tenter de nous faire reculer. Pourtant plusieurs experts en droit, à commencer par Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU, soutiennent la faisabilité juridique de cette proposition de loi.
Avec l’appui de Pascal Canfin, nous sommes arrivés à introduire cette notion de responsabilité dans la loi développement, sur le principe seulement, qui dépend de la bonne (ou mauvaise) volonté des multinationales.
Le nouveau gouvernement aura-t-il le courage de s’affranchir du poids des multinationales et de faire valoir la nécessité, pour la France, de montrer l’exemple en matière d’éthique, et d’équité ? Nous lui demandons avec force, soutenu-e-s en cela par un mouvement citoyen qui rassemble ONG, syndicats, juristes, élu-e-s, et qui refuse d’être complice de l’exploitation des salarié-es du textile, majoritairement des femmes.
A la veille des élections européennes, cet enjeu de solidarité est fondamental. La pression citoyenne et parlementaire a permis de faire évoluer la directive détachement des travailleurs, et limiter les méfaits du travail low cost au sein des frontières européennes. La lutte contre le dumping social doit aussi s’étendre au-delà de l’Union, c’est là le sens de notre proposition de loi, qui demande à la France d’assumer son rôle précurseur en matière de défense des droits fondamentaux.
Nous ne pouvons accepter qu’il existe encore des damné-e-s de la Terre, enchaîné-e-s à leurs machines pour des salaires de misère.
Danielle Auroi, présidente de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, députée écologiste du Puy-de-Dôme.