Session du 29 mars 2013 : Intervention de Christophe Porquier sur le Canal Seine-Nord Europe

M. LE PRESIDENT : J’ai reçu une motion relative à la réalisation du Canal Seine Nord Europe, présentée par Mme Maryse Fagot, au nom du groupe Envie de Picardie. Elle a la parole.

 

MME FAGOT : Merci, Président. Lorsque nous avons préparé le vœu que je vais vous présenter, Président, chers collègues, nous ne pensions pas être à ce point au plein cœur de l’actualité. « Le Canal Seine-Nord Europe constitue un enjeu majeur pour le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie et l’Ile-de-France. Un récent appel de 80 élus (parlementaires et maires de Picardie et du Nord-Pas-de-Calais, toutes tendances politiques confondues) est venu interpeller monsieur le Ministre pour réaffirmer leur plein et entier soutien à la réalisation de cette infrastructure déterminante pour le développement de nos territoires, de la France et de l’Europe.

Aujourd’hui, le temps de la décision est venu. Après avoir demandé au Conseil général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) d’expertiser la faisabilité technique et financière du projet et dont le rapport était attendu pour la mi-mars, après avoir sollicité la mission mobilité 21, afin d’expertiser le Schéma national des infrastructures de transport, dont le rapport devait être rendu public en janvier dernier, il est désormais temps, pour le Gouvernement, de s’engager en faveur de ce dossier.

Par ailleurs, l’Union Européenne a publiquement confirmé qu’elle était prête à augmenter significativement sa contribution financière au projet à hauteur de 30 %. Cet engagement européen est un signal majeur pour la réalisation du projet Seine-Nord Europe. Il est désormais indispensable que la France profite de cette opportunité et saisisse officiellement Bruxelles sur une demande de financement.

En conséquence, le Conseil régional de Picardie, réuni en session ce jour :

– demande au Gouvernement que soient rendus publics les rapports réalisés par le Conseil général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) et la mission mobilité 21,

– demande au Gouvernement de saisir officiellement l’Union Européenne d’une demande de finance pour la réalisation de cette infrastructure. »

Voici donc une proposition très consensuelle qui vous tend la main, Président, chers collègues.

 

(…)

 

M. PORQUIER : Je voudrais intervenir en essayant de ne pas polémiquer sur ce sujet, même si c’est un sujet sur lequel j’ai déjà eu l’occasion d’intervenir de nombreuses fois.

Aujourd’hui, quelque part aussi, je suis un peu triste, je suis un peu triste pour les élus, pour les habitants des secteurs qui sont concernés et qui ont cru sincèrement que ce projet avait un certain degré de réalité, et qu’on leur présentait quelque chose qui allait se faire, qui ont cru en toute honnêteté que cette arlésienne allait résoudre tous les problèmes.

Aujourd’hui, on est dans le flagrant délit, le flagrant délit d’imposture avec ce que ce rapport révèle. Ce que j’ai pu dire ici à de nombreuses reprises sur ce dossier, sur ce qu’il contenait, je l’ai retrouvé presque en tout point dans ce rapport ! À la fois le fait que la question de l’eau n’était pas prise en compte, le fait que le ferroviaire n’était pas suffisamment pris en compte non plus par rapport au canal et qu’il risquait même d’être pénalisé.

Le chiffrage financier, bien sûr… Parfois, on était même optimiste puisque l’on parlait de 6 milliards. Là, on est à 7 et il est dit que cela pourrait même être au-delà. Les estimations. Vous dites : « Vous pourriez dire 15 milliards, vous pourriez dire 20 milliards…! » Je regrette, mais les estimations qui ont été avancées par VNF, par Alain Gest et d’autres, et par le Gouvernement quand vous y étiez : c’était des dizaines de milliers d’emplois, des flux commerciaux estimés à la louche, sur lesquels il n’y avait aucune retenue, qui ne reposaient sur rien et qui sont maintenant mis à découvert dans ce rapport de l’Inspection Générale des Finances et du CGEDD.

Et on sait très bien depuis longtemps que Bercy était opposé à ce projet, et que l’on a tordu le bras aux personnes qui à l’époque envoyaient des signaux rouges en disant « danger financier, PPP, ce n’est pas un bon projet… » À Bercy et au Gouvernement, à l’époque où vous étiez aux affaires, il a été tordu le bras aux fonctionnaires qui envoyaient ces signaux-là, afin de passer en force parce qu’il fallait faire un numéro de pipeau et de claquettes avant la présidentielle ! Voilà ce qui s’est passé, vous avez monté ce dossier en épingle et vous n’avez pas hésité à passer toutes les barrières et avoir un déni de réalité par rapport aux données de ce dossier, pour pouvoir le mettre en avant comme s’il allait être la solution à tous les problèmes.

Ce n’est pas le cas, ce rapport revient, il est aujourd’hui douloureux parce que c’est un dossier qui, je crois, pour certains élus sincèrement, a été perçu comme une opportunité. Ce n’est pas le cas, c’est ce que nous disions depuis longtemps, tout est avéré !

Vous disiez que Marie Blandin a soutenu cette lettre… Vous avez raison, je vais retourner voir Marie Blandin que je n’ai pas vue depuis quelque temps… Donc Marie-Christine Blandin, que je n’ai pas vue depuis quelque temps, et donc je n’ai pas eu l’occasion d’ouvrir le dossier avec elle pour qu’on le regarde bien. Finalement, que s’est-il passé ? Depuis que la mission a été décidée par le Ministre Cuvillier, je n’ai pas envoyé un seul courrier au Ministère, je n’ai pas rencontré cette mission, je n’ai envoyé aucun message. Pourquoi ? Parce que j’étais très confiant sur l’issue, parce que j’avais ouvert le dossier. Je suis allé voir mes collègues écologistes des autres régions, Ile-de-France, Haute-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, et j’ai ouvert le dossier avec eux… Quand on commence à rentrer dans le dossier et à voir le prix à la tonne pour faire Seine-Escaut, on voit qu’il est impossible d’amortir le plan de financement. Quand on voit qu’il y a quatre plateformes sur 100 kilomètres et que cela ne correspond à rien d’un point de vue économique et territorial… Quand on regarde l’ensemble des données du problème telles qu’elles ont été dites dans le rapport et que je ne vais pas répéter, et que l’on voit que rien ne tient debout, au bout d’un moment, la raison revient au galop !

Il y a des personnes qui n’ont pas ouvert le dossier, comme vous… Vous avez choisi de rester sur une espèce d’affichage : « On va faire ce canal, il faut le faire, bla-bla-bla, bla-bla-bla, bla-blabla…! » Aujourd’hui, la réalité est dure. On ne fait pas de la politique comme ça, on ne finance pas des projets comme ça. Aujourd’hui, dans le SNIT, il y a 240 milliards à financer… Parce qu’avant l’élection présidentielle, on en mettait des projets, on en met, on en met des projets… On va financer tout ça comment ? C’est impossible ! Vous êtes les champions du verbe, du pipeau-claquettes, et après vous venez donner des leçons aux autres… C’est complètement inconséquent.

Aujourd’hui, il y a un certain nombre d’arbitrages qui doivent être faits dans le SNIT, et fort heureusement ; c’est de cela dont on devrait s’occuper. Il y a des projets picards qui vont être soutenus : Picardie-Roissy est en tête des projets du SNIT, comme vous l’avez peut-être vu. Pourquoi ? Parce qu’il est intéressant d’un point de vue environnemental, parce qu’il est finançable, parce que d’un point de vue territorial il est extrêmement intéressant. Voilà les arguments.

Et aujourd’hui, les questions que l’on doit se poser sur le canal Seine-Nord, ce n’est pas s’il faut faire un canal et si l’on doit le faire à tout prix, c’est comment résout-on les problèmes pour les centaines de millions de tonnes de fret qui sillonnent le nord de la France. Et il n’y a pas qu’une solution, il y a des solutions. Il y a une solution ferroviaire, avec notamment un axe rocade nord de Paris qui est aussi dans les projets du SNIT et qui mériterait d’être soutenu par la Région. Également, il y a la possibilité de soutenir le réseau fluvial tel qu’il est, de le moderniser et de l’améliorer pour augmenter les tonnages.

Se pose aussi la problématique des ports français, puisqu’aujourd’hui, ce sont bien Le-Havre et Dunkerque qui méritent d’être soutenus. Construire l’hinterland d’Anvers et de Rotterdam avec le canal Seine-Nord, avec un bout de canal qui était de 4 400 tonnes ici perdu, ça ne correspond à rien d’un point de vue économique si l’on veut développer notre territoire !

Comment développe-t-on notre territoire ? Ça aussi, c’est l’autre question. Je ne crois pas que l’équation posée par le canal y réponde, puisqu’il s’inscrit dans un développement international des flux de marchandises qui ne va pas ici nous apporter une réponse. Mais on a déjà abordé ces questions-là un certain nombre de fois.

Je ne vais pas développer davantage, vous savez très bien qu’à chaque fois, on a développé, argumenté sur ce sujet. Pour vous dire toute l’inconséquence qu’il y avait au niveau de VNF… Je les ai rencontrés, il n’y a pas si longtemps d’ailleurs, et leur ai demandé pourquoi faire un canal de 4 400 tonnes alors que le réseau Seine-Escaut, au nord, en termes de tirant d’air et de tirant d’eau, ne permet pas d’aller au-delà de 3 000 tonnes ? Je leur ai demandé pourquoi faites-vous ça ? Ils m’ont répondu très simplement : parce que c’est la norme !

Quand on en est à ce niveau d’argumentation, de dire que c’est la norme et qu’il faut faire ça, que cela coûtera 6 milliards à la fin, que vous le vouliez ou non, même si ça ne sert à rien… Je trouve que l’on est complètement irresponsable avec les territoires concernés, irresponsable avec l’argent du contribuable, et l’on monte vraiment les dossiers cul par-dessus tête : on se fout du monde !

Monsieur Gest a écrit, le 7 février : « Le coût du canal Seine-Nord n’a jamais été sous-estimé. Ce coût a été évalué en 2009 à 4,3 Md€ ; en tenant compte de l’évolution des prix, il peut donc être estimé à 4,6 ou 4,7 Md€. Prétendre, affirmer même, que le coût de construction sera de 6 Md€, c’est au mieux une incompréhension, au pire un mensonge. »

Qui est le menteur aujourd’hui ? Qui doit s’expliquer ? Qui doit rendre des comptes ? C’est Alain Gest, Président de VNF, candidat aux dernières législatives, soutien de Nicolas Sarkozy. Toute cette imposture a le mérite d’être levée et, oui, la question de la démission se pose.

 

(…)

 

MME FAGOT : Monsieur Porquier, vous ne voulez pas de polémique, mais ce que l’on vient d’entendre, franchement, pour le coup, si ce n’est pas polémique, c’est que je n’ai rien compris ! Vous parlez d’imposture, mais c’est peut-être la façon dont vous amenez les choses qui est une imposture en soi !

Tout de même, quelque part, vous prenez toujours à parti la droite, mais je suis désolée, tout à l’heure on parlait de cette fameuse liste de signataires…. Je vais vous dire, je l’ai sous les yeux, que l’on retienne bien au moins ce chiffre, puisque vous nous dites que l’on est totalement ignare en chiffres… Allons-y ! L’imposture, elle est là ! Sont signataires : 31 personnes de droite (23 UMP, 8 UDI), 46 personnes de gauche (37 PS, 1 MRC, 1 Europe Ecologie, 1 PRG, 6 communistes) et 1 sans étiquette. Effectivement, monsieur Guiniot, il n’y a pas de Front National !

 

(…)

 

M. PORQUIER : Vous savez, la haine, l’amour, en politique… À votre égard, je n’ai aucune forme de haine, ni d’amour d’ailleurs, qui serait une notion bien personnelle. Je pense que c’est bien joué d’essayer de placer le débat sur ce terrain-là, mais ce n’est pas le bon débat.

Dans ce débat, j’ai essayé à chaque fois d’apporter sur la table des arguments de fond. Je n’ai pas de haine, mais je vous en veux de ne pas répondre aux arguments de fond, et de ne pas répondre aux arguments techniques, de ne pas répondre aux arguments financiers, et de rester sur un registre incantatoire, comme si tout cela n’avait pas été prononcé, comme si tout cela n’existait pas, alors que ce sont des arguments lourds. Et aujourd’hui, ce n’est pas ma parole dans l’histoire d’intervenant dans cette assemblée que vous devriez prendre en considération, mais c’est bien le rapport qui redit presque mot pour mot les mêmes choses. Et au lieu de regarder les faits et les chiffres, qui sont têtus, et les faits sont les faits, vous continuez à être dans l’incantation, et même vous essayez d’aller sur le registre émotionnel.

Ça, déjà, ce n’est pas « entendable »… Alors répondez sur le fond, et on sera bien à ce moment-là d’accord pour discuter sur le fond et les arguments.

Je vais même dire qu’à titre personnel, je suis choqué que M. Guiniot ait pu parler de « conneries » quand vous étiez en train de parler. De ce point de vue-là, je fais un rappel au règlement au Président, je trouve inadmissible qu’un Président de groupe ait pu tenir ce genre de propos à votre égard alors que vous étiez en train de prendre la parole, madame Fagot.

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