L’EPR, un projet incohérent à dénoncer ici et maintenant
Débat Public sur le projet de centrale nucléaire EPR Penly 3
Réunion publique – Abbeville – mercredi 16 juin 2010
http://www.debatpublic-penly3.org/
Intervention de Christophe Porquier
Nous participons aujourd’hui à ce débat public et pourtant celui-ci n’a pas été respecté dans son principe au plus haut niveau de l’Etat puisque les annonces effectuées tant au niveau du gouvernement que d’EDF laissent entendre que les décisions sont déjà prises et qu’il s’agit d’un exercice purement formel.
C’est regrettable pour notre démocratie et pour la crédibilité de la démarche de débat public. Je veux néanmoins croire que la commission et son président auront le souci de répondre aux questions et préoccupations qui s’exprimeront dans ce débat. Pour ma part, je voulais intervenir à propos de plusieurs postulats qui sont développés par le maître d’ouvrage.
Un projet incohérent qui enchaine les déconvenues
Peut-on imaginer un constructeur d’automobiles lancer un modèle de voiture en série alors que son prototype ne fonctionne pas et qu’il connaît une succession de déconvenues techniques et financières.
C’est exactement ce qu’on s’apprête à faire ici avec l’EPR. Au moment où nous nous réunissons à Abbeville pour débattre du projet Penly 3, AREVA et l’électricien finlandais TVO ont annoncé un nouveau retard dans la construction de la centrale EPR en Finlande. Le délai de retard dans la livraison est porté à 44 mois. La centrale qui devait entrer en service en 2009 ne le fera pas avant 2013, avec un surcoût déjà estimé à 3 milliards d’euros et qui va encore croître.
Ceci est en même temps assez logique puisque les autorités de sureté nucléaire française, britannique et finlandaise ont demandé à EDF et à AREVA «d’améliorer la conception initiale de l’EPR du point de vue de la sécurité » puisque celle-ci était défaillante.
Voilà une donnée de départ qui nous amène à douter sérieusement des hypothèses optimistes présentées dans le document de maître d’ouvrage qui nous dévoilent une disponibilité optimale, une diminution de la consommation de combustible, un renforcement de la sécurité, une radioactivité sur le site « inférieure à la radioactivité naturelle » et une contribution aux grands enjeux de société : l’indépendance énergétique, l’emploi, la lutte contre les gaz à effet de serre.
A l’inverse de cet affichage, la multiplication incohérente des prototypes, les surcoûts, les erreurs répétées, les décisions qui tombent les unes après les autres comme si ce débat n’avait pas lieu … Tout ceci laisse penser que le projet de Penly 3 est davantage le fruit des guerres intestines entre les grandes entreprises publiques et privées de l’énergie (EDF, GDF-SUEZ, AREVA…), que le fruit d’une véritable stratégie – si ce n’est énergétique – au moins industrielle pour notre territoire et pour les générations qui arriveront après la notre, au moment où cette centrale est sensée fonctionner.
L’EPR s’inscrit dans un scénario d’augmentation de la consommation d’énergie et du prix de l’électricité
Les hypothèses développées dans le document du maître d’ouvrage (cf. pages 28 à 33) insistent sur les nouveaux usages et les consommations d’énergie à venir, avec des hypothèses qui s’inscrivent dans une hausse qui se veut « modérée » mais néanmoins réelle de la consommation d’électricité. Il convient de préciser que d’autres scénarios existent. Je ne citerai que ceux développés par l’association Negawatt qui élabore des scénarios permettant de diminuer notre consommation énergétique. Évidemment, un tel scénario rendrait caduque la construction de nouveaux réacteurs. Il est pourtant au cœur de la politique du Grenelle qui propose de développer les énergies renouvelables et de maîtriser la consommation d’énergie. Avec ce projet d’EPR, on peine à trouver la cohérence d’ensemble de la politique de l’Etat.
Au moment où nous parlons, la disponibilité du parc nucléaire français est tombée à 78%, ce qui est un chiffre historiquement bas qui traduit le vieillissement du parc électro-nucléaire français et son incapacité à répondre aux pics hivernaux : 57 jours d’importation en 2009 avec une énergie importée à grand frais. L’EPR n’apparaît pas comme une réponse à ce problème crucial des pics de consommation hivernaux. EDF semble connaître des difficultés pour répondre à ces enjeux. L’entreprise pourrait faire le choix de la maîtrise de l’énergie, des énergies renouvelables, associée à une amélioration des performances des centrales existantes en prévision de leur démantèlement (ce qui constitue au passage un gigantesque vivier d’emplois en France et à l’étranger). Au lieu de cela, le scénario ressemble davantage à une fuite en avant : nouveaux réacteurs et hausse du tarif de l’électricité pour les ménages pour financer ces investissements lourds (10 milliards) et à l’amortissement lointain. Le dernier dirigeant d’EDF en a fait les frais en faisant des déclarations publiques sur les tarifs. Le nouveau ne peut échapper à cette équation de l’augmentation du prix puisqu’il reste avec une stratégie identique, qui est celle de l’Élysée. Sur quelle tarification électrique repose les prix au kw et au Mgw qui ont été présentés ?
L’EPR ne participe pas à l’indépendance énergétique
Page 15, il est indiqué que l’énergie nucléaire permet à la France d’assurer son indépendance énergétique. Il est écrit « bien que le minerai d’uranium soit importé, le combustible nucléaire est considéré comme une ressource nationale pour transformer le minerai en combustible ». Transposé à l’industrie pétrolière, ceci reviendrait à dire que la France n’est pas dépendante de son approvisionnement en pétrole ou en gaz car elle possède des raffineries sur son territoire.
Ceci ne résiste pas à l’épreuve des faits. L’uranium est une matière première importée qui est produite dans un nombre limité de pays (6 pays se partagent 80% de la production : Russie, Niger, Namibie, Kazakhstan, Australie et Canada).
Les réserves d’uranium mentionnées page 13, dont il est dit qu’elles sont accessibles à un coût inférieur de 130 $ le kg, représentent une réserve de 60 ans selon la SFEN (Société Française d’énergie nucléaire). Mais ce chiffre est contesté. D’autres experts évoquent plutôt 50 ans.
Le coût de l’uranium a fait l’objet de nombreuses fluctuations ces dernières années, mais du fait de l’augmentation de la consommation et de la raréfaction de la ressource, le prix de l’uranium sera conduit fatalement à une hausse qui va amener une tension sur les marchés et sur l’approvisionnement, dans un contexte où l’augmentation de la demande sera surtout le fait de la Chine, de la Russie et de l’Inde ont sont situés bon nombre des projets de nouveaux réacteurs. Or, à supposer que Penly3 soit construit et qu’il le soit dans les délais prévus, il s’agit d’un réacteur qui sera exploité dans une période de forte hausse du coût de l’uranium. En ajoutant un réacteur supplémentaire à un paysage électro-nucléaire déjà saturé, la France renforce sa dépendance énergétique à l’uranium et à l’évolution de contextes politiques, sociaux et économiques qu’elle ne maîtrisera pas dans les décennies qui viennent.
Certes, le maître d’ouvrage va indiquer que l’uranium ne représente que 5% du coût. Mais des scénarios d’augmentation du prix de l’uranium ont-ils été intégré dans le modèle économique de Penly 3 pour afficher un coût de revient dans une fourchette allant de 55 à 60 euros le MWh ?
Quelles conditions de sécurité pour les populations riveraines ?
Il est annoncé que la centrale peut résister au crash d’un avion. De quel type d’avion parlons-nous ? J’ai lu qu’elle ne pouvait résister au choc d’un avion de ligne. Le risque zéro n’existe pas et elle peut être à l’origine d’incidents plus ou moins graves. Or, la région Picardie est à quelques kilomètres du site de Penly et exposée aux vents dominants, puisque nous avons maintenant la certitude depuis 1986 que la pollution nucléaire ne s’arrête pas aux frontières.
Par ailleurs, le combustible et les déchets nucléaires sont acheminés vers et depuis la centrale par les voies de communication classiques (le train et les routes), exposant directement la population sur les trajets, traversant notamment des zones fortement urbanisées et peuplées.
Enfin, les salariés du nucléaires sont directement exposés aux risques de cette industrie. C’est plus particulièrement le cas des salariés de la sous-traitance. Je veux donner ici mon soutien aux demandes de ces derniers qui ont rédigé des demandes précises auprès la commission par l’intermédiaire de leurs syndicat dans le cadre d’un cahier d’acteurs argumenté.
Je souhaite également savoir où en est le plan ORSEC-Rad nécessaire pour assurer la sécurité des populations sur l’ensemble des circulations et près du site de la centrale ? Est-il prévu une actualisation ? Les moyens prévus sont-ils effectifs ?
Pour conclure, je veux dire ici – et je prends ici un instant ma casquette de vice-président en charge de la politique climat-énergie – que les efforts de la région Picardie s’inscrivent dans ce cadre de maîtrise de l’énergie et de développement des énergies renouvelables. Le fonds régional de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, piloté en commun par le Conseil régional et par l’ADEME vise à assurer une maîtrise de la consommation énergie sur le territoire régional. Dans sa stratégie d’éco-développement, la région Picardie investit dans les éco-activités, en partenariat avec le Conseil général de la Somme, en accompagnant les projets dans le secteur des énergies renouvelables, des éco-matériaux dans la construction… ce sont des investissements importants pour la population de notre région. Des entreprises se diversifient dans les énergies renouvelables, créent les matériaux d’isolation de demain… Nous formons les hommes et les femmes qui peuvent ainsi trouver des emplois durables.
L’EPR ne donne aucun écho à ces politiques volontaristes qui permettent le développement soutenable de nos territoires. Au contraire, il faut composer avec des contraintes toujours plus exigeantes pour les énergies renouvelables, avec une politique énergétique nationale qui reste illisible et faite de coups de butoir.
C’est pourquoi je m’exprime ici à titre personnel et au nom du groupe Europe Ecologie au Conseil régional de Picardie, contre ce projet qui semble voulu au plus au niveau de l’État mais qui ne répond pas aux défis énergétiques, climatiques, économiques et sociaux de notre pays et de nos territoires.
Je vous remercie.