Simulation d’acident nucléaire de La Hague NC : le récit de Clara Osadtchy publié par Rue 89

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J’ai assisté à une simulation d’accident nucléaire… qui m’a inquiétéePlus d'options de partage

L’article sur le site de Rue 89.

Clara Osadtchy, Conseillère régionale EELV

Le 8 décembre, Areva a effectué une simulation d’incident nucléaire dans son usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague. Clara Osadtchy, conseillère régionale Europe Ecologie – Les Verts de Basse-Normandie, y était. Voici son récit de la journée.

9 heures. J’arrive à la préfecture de Saint-Lô dans La Manche. Membre de la commission locale d’information du site « Areva NC », plus connue comme étant l’usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague, je viens assister comme observatrice à une simulation d’accident nucléaire sur ce site.

9h10. J’arrive en salle du centre opérationnel départemental (COD). Un membre du cabinet du préfet me reçoit mais m’installe dans la salle connexe, où des journalistes attendent le démarrage de l’exercice. « Cela aurait dû commencer à 8h15. En plus, il n’y a même pas de café. » Ils n’ont pas le droit d’entrer dans la salle où tous les responsables, chefs de la gendarmerie et services secours sont réunis.

9h15. Je rentre finalement dans le COD où je suis invitée à me faire discrète. Une vingtaine de personnes est installée à différents postes dans la salle, service départemental d’incendie et de secours (SDIS), gendarmerie, chargés de communication de la préfecture, etc.

Des ordinateurs et téléphones partout, une carte du site projetée sur un écran. J’y croise le directeur de cabinet du préfet. Celui-ci explique que l’accident fictif aurait dû être déclenché depuis une heure. « Mais on va tout de même pas appeler Areva puisque c’est l’exploitant qui est censé nous appeler pour nous informer d’un accident… »

Hésitations

9h21. Quelqu’un indique qu’un internaute vient de parler du départ d’un incendie à Areva sur Facebook. Réaction dans la salle :

« Est-ce qu’on considère cela comme une information suffisamment importante pour appeler l’exploitant ? »

Attente.

« Ah oui mais en temps normal, personne n’aurait mis l’information sur Internet avant ; là, la personne a dû lire dans Ouest-France qu’on faisait une simulation. »

Attente.

« Oui, mais si ça arrivait vraiment et qu’un internaute l’écrive en dehors d’un exercice, on prendrait cela au sérieux, non ? On appellerait l’exploitant ? »

Attente.

« On appelle l’exploitant. »

9h25. « Allo, monsieur le directeur ? » Sourire soulagé du directeur de cabinet du préfet. Areva l’informe qu’un conteneur de déchets nucléaires a explosé dans le bâtiment T2, il y a quatre personnes blessées et une fuite potentielle en dehors de l’atelier. Un plan d’urgence interne (PUI) a été déclenché. Il s’agit d’une alerte interne. Tant que l’accident n’est pas « sorti » du site, on ne déclenche pas le plan particulier d’intervention (PPI) qui lui a pour vocation d’alerter la population et de la confiner.

Mais la situation semble suffisamment grave pour qu’il soit décidé de mettre en place le centre opérationnel départemental en préfecture et le poste de commandement opérationnel à Ludiver, à quelques kilomètres du site, où gendarmes et pompiers se préparent à intervenir.

9h45. L’alarme contamination sonne. Une fuite vers l’extérieur pourrait avoir lieu. Le PPI « préventif » est finalement déclenché.

10 heures. Le directeur de la communication de la préfecture entame la rédaction d’un communiqué de presse [PDF]. Une audio-conférence est fixée avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et Areva à 10h20.

10h18. Le service départemental d’incendie et de secours fait le point sur les blessés. Il n’y pas encore de radio-contaminés constatés. La gendarmerie indique que 41 agents ont été rapatriés sur Beaumont-Hague pour se préparer à boucler le secteur lorsque l’ordre sera donné.

10h18. Je reçois un e-mail sur mon téléphone, comme tous les membres de la comission locale d’information, pour m’informer qu’un PPI vient d’être déclenché.

10h23. Le directeur de cabinet m’autorise à l’accompagner en salle d’audio-conférence.

« Personne ne répond »

10h30. Premier essai d’appel de l’ASN à Paris. Personne ne répond. Les personnes ont apparemment des difficultés à se connecter à la conférence téléphonique.

10h40. En attendant la connexion à la conférence téléphonique, les pompiers font le point. Une charge de quatre tonnes est tombée dans l’atelier. Sept personnes sont radio-contaminées, quatre sont blessées. Il y a un début d’incendie dans la salle du dessous et une suspicion de contamination à l’extérieur de l’atelier. Le SDIS ordonne le départ des renforts et la prise en charge des radio-contaminés.

10h45. Je reçois un message de Yannick Rousselet de Greenpeace. Les sirènes sont déclenchées dans les villes riveraines du site d’Areva. « Personne ne réagit. La vie suit son cours », m’écrit-il. Avant d’ajouter : « Pourquoi encore aucune info à la radio ? »

10h47. Le directeur de la communication de la préfecture s’inquiète parce que le communiqué de presse est toujours en validation chez Areva. Les médias, qui sont pourtant le premier relais d’information de la population dans un tel cas d’accident, ne sont toujours pas informés.

10h49. Le technicien informatique arrive dans la salle d’audio-conférence. Il recherche des codes pour se connecter, l’ASN n’arrivant pas à nous joindre. Un haut responsable de la Mission nationale d’appui à la gestion du risque nucléaire (MARN) s’agace :

« Ce serait dommage de dire qu’on a passé quarante minutes à se connecter à une audio-conférence… »

Quelqu’un plaisante : « On est vraiment trop dépendants de la technique, c’est terrible ! » Sourires figés.

« Est-ce qu’on parle des blessés ? »

11h03. Le technicien informatique devient un héros : l’audio-conférence commence ! Areva fait le point. Les blessés et radio-contaminés sont pris en charge médicalement. L’incendie détecté par les services de sécurité à 10h40 a provoqué le déclenchement des sirènes dans un rayon de deux kilomètres. Le directeur de cabinet du préfet demande quel est le risque radiologique. Selon l’ASN, les mesures radiologiques sont sans danger. Un système de surveillance par balises est activé dans un rayon de 3 kilomètres sous le vent.

11h08. Il est décidé de rédiger un nouveau communiqué de presse avec les éléments suivants : il y a eu un incident ce matin, une mise à l’abri de la population dans un rayon de 2 kilomètres, la mise en place de mesures de radioactivité dans le périmètre. S’engage un débat :

« Est-ce qu’on parle des blessés ?

– Il y a quoi ? Sept radio-contaminés et quatre blessés ? On n’a qu’à donner les quatre blessés, on dit aussi qu’ils sont pris en charge. »

Le pompier présent insiste sur le fait de mentionner l’incendie. « Les gens, ils réagissent à un incendie, c’est efficace d’en parler, et surtout avec le vent d’ouest qu’il y a aujourd’hui, ça fait panache, alors pour peu qu’il y ait de la contamination… ». Le communiqué de presse part chez Areva.

11h35. Retour en salle de centre opérationnel départemental. On interdit à France 3 de filmer avec le son. Le périmètre de bouclage des routes est élargi à cinq kilomètres à l’ouest du fait du vent.

Incompréhension totale

11h45. Le communiqué de presse est toujours en validation chez Areva. Les chargés de communication de la préfecture attendent dans l’incompréhension totale.

12 heures. Dans la salle d’à côté, les quelques journalistes présents sont en colère. Personne n’accepte de leur donner une interview. Ils n’ont toujours pas reçu de communiqué de presse officiel annonçant l’accident et n’ont donc pas encore pu faire leur travail d’alerte et d’information de la population. En contexte d’accident majeur, ce rôle est pourtant essentiel.

12h05. Le communiqué de presse part finalement, soit près de deux heures et demie après le début de l’accident.

Fin de la simulation.

Un système d’alerte nucléaire limité

Selon Greenpeace, un accident de type Fukushima dans le Nord-Cotentin s’étendrait à la Bretagne, une partie des Pays de la Loire et les deux Normandie.

Au Japon, la contamination concerne un périmètre de près de 250 kilomètres autour de la centrale. La question de l’évacuation de Tokyo, à 200 kilomètres de là, et de ses 35 millions d’habitants, a même été envisagée par les experts français de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire au pire moment de la catastrophe.

En France, le plan particulier d’intervention prévoit l’évacuation sur 2 kilomètres autour du site et le confinement sur 5 kilomètres. Il ne prend pas en compte la concentration géographique des installations nucléaires et l’effet domino : 15 kilomètres seulement séparent la centrale de Flamanville du centre de retraitement des déchets de La Hague.

Un exercice comme celui de La Hague montre donc bien les limites de la sécurité de la population : qu’adviendrait-il de la capacité des pouvoirs publics à répondre à un accident d’ampleur bien plus importante, comme celui de Fukushima ?

La proximité des installations nucléaires et des grandes villes rend la question d’autant plus préoccupante (l’agglomération de Cherbourg et ses 91 000 habitants se situent à moins de 30 kilomètres de La Hague et de Flamanville).

Les limites du système français d’alerte et d’évacuation de plusieurs milliers d’habitants pourraient avoir des conséquences directes sur la politique énergétique de la France si elles étaient enfin prises en compte.

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