Intervention de Mickaël Marie dans l’Assemblée Plénière du 24 février 2011

Assemblée Plénière du 24 février 2011

La vidéo de l’intervention

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs, mes chers collègues.

 Je voudrais commencer par remercier Alain Tourret de nous avoir rappelé dans quel contexte mondial se déroulent les journées de notre assemblée. Lorsqu’on se trouve dans un lieu, et dans un pays, où l’on vit la démocratie, l’exercice de la démocratie, sans même avoir à y penser, et sans même avoir à se rappeler au quotidien ce que ça a coûté, je pense qu’il est juste de rappeler que d’autres luttent encore pour jouir des mêmes droits que ceux dont nous jouissons. Le monde est un plus bel endroit depuis que Hosni Moubarak et Ben Ali ne sont plus au pouvoir.

Je ne vous surprendrai probablement pas en parlant moi aussi de la Ligne à grande vitesse.

La question est posée, autant ne pas la détourner. Je sais que notre position provoque de l’agacement ; je sais que l’union sacrée, au-delà des clivages et au-delà des familles politiques, au service de l’ambition grande vitesse est quelque chose que certains voudraient voir étendue aux écologistes. Je comprends : je suis, et je crois que les écologistes le sont de façon générale, de ceux qui pensent qu’il y a des causes, il y a des combats, il y a des ambitions qui méritent qu’on aille au-delà des clivages, et au-delà des familles politiques. Je ne pense pas que sur ce sujet-là, ce soit le cas, mais j’y reviendrai.

 Je comprends l’agacement, donc. Mais je mesure aussi à quel point ce débat-là peut servir de débat de diversion, de commode évitement, de façon à ce qu’on ne parle pas, on ne puisse pas parler d’autre chose. La minorité est ici une minorité, et il est normal et sain dans une démocratie, que la minorité puisse s’exprimer, et demande des comptes à la majorité. Mais il est aussi normal que la minorité soit rappelée à son statut de solidarité d’une autre majorité, celle qui est nationale et qui produit, dans son action, des résultats concrets – positifs, peut-être je les cherche encore, mais négatifs très certainement – dans notre région. Et si nous devons parler, comme le président l’a fait, et d’autres l’ont fait, des questions nationales, c’est parce que nous ne sommes pas tout à fait hors sol, parce que nous devons bien inscrire notre propre action dans un contexte plus large.

 Education Nationale

 Il n’est pas possible de considérer que la Région, comme collectivité, ne puisse pas se mêler des questions, par exemple, d’éducation, des questions liées aux moyens qu’on accorde au service public d’enseignement. Là, très sérieusement, je crois que chacun peut considérer qu’après cinq années de baisse consécutive des effectifs adultes, d’enseignants, d’équipes éducatives ; au bout de cinq années comme celles-là, je crois, effectivement, qu’on est  en train de gratter l’os, que chacun s’en rend compte. Et, je le dis ici parce que je crois qu’il est bon que les Bas Normands le sachent, lorsqu’au Conseil Académique de l’Éducation nationale (CAEN), les représentants  de la majorité régionale ici présents ont voté contre les décisions, le représentant de l’opposition , l’estimable Jean-Louis Valentin, s’est lui-même abstenu. Je pense que ce vote de l’opposition régionale, censé être en solidarité vis-à-vis de la majorité nationale, en dit long et bien plus long probablement que beaucoup de discours sur le malaise que provoque un certain nombre des décisions autoritaires et non concertées de l’État.

 Pollutions agricoles : la campagne de FNE

 Je veux revenir aussi sur  cette campagne de France Nature Environnement et, plus exactement, sur les réactions qu’elle suscite. Je passe, Mme de la Prôvoté, sur les facilités démagogiques avec lesquelles vous avez tenté d’illustrer votre propos. Je veux juste dire que ce qui me frappe, très personnellement, dans toute cette affaire, c’est que manifestement, nous sommes en situation dans notre pays de faire bien peu de cas de la liberté d’expression.

Je suis extrêmement frappé du fait que, lorsqu’une vérité dérange (puisque manifestement chacun reconnaît, monsieur Bruneau l’a fait lui-même, qu’il s’agit bien de la vérité dans l’énoncé des faits), lorsqu’une vérité dérange, lorsque le message dérange, il faudrait faire taire le messager. Et ça, effectivement, c’est une conception de l’exercice de la démocratie, de l’exercice du débat contradictoire, qui n’est pas la nôtre, quel que soit encore une fois ce qu’on pense, sur le fond et sur la forme, de cette campagne.

Je pense qu’il n’est pas sain que des élus de la République, que des démocrates, puissent considérer comme normal que cette campagne soit interdite d’affichage dans le métro ou fasse l’objet de poursuites judiciaires. Tout ça n’est pas normal. On doit débattre en démocratie par des voies et des moyens qui ne peuvent pas être ceux de la censure ou du recours à la justice.

J’avais cru comprendre, et j’ai le souvenir de quelques cours d’histoire, que le libéralisme avait quelques vagues familiarités avec la question de la liberté. Je vous avoue que les réactions outrées des différents ténors et responsables de la majorité UMP-Nouveau Centre me laissent pantois quand à ce que j’imagine être leur conception de la liberté.

Sur le fond maintenant de ce sujet, les pollutions agricoles.

 J’ai dit à quel point je trouvais démagogique la façon dont certains illustrent leurs propos. Je vais prendre deux arguments. Le premier, c’est que dans les situations de crise dans lesquelles nous sommes, dans les situations de constats objectifs, vous l’avez vous-mêmes rappelé Monsieur Bruneau, de ce qu’un certain nombre de pratiques – et pas seulement agricoles –  ont produit un certain nombre de problèmes, et parfois même de catastrophes ; quand on est dans cette situation, il n’y a pas d’un côté, il ne peut pas y avoir, et c’est en tout cas ne pas chercher les solutions que de fonctionner comme cela, il ne peut pas y avoir d’un côté les amis des paysans et de l’autre côté, les amis de l’environnement. Il n’y a pas d’un côté les amis des pêcheurs, de l’autre côté, les amis des poissons. Si on raisonne comme cela, et tant qu’on raisonnera comme cela, il n’y aura pas de solution possible.

Mais par contre, et c’est mon second argument, Mme De la Prôvoté, puisque je vois que vous souriez, je vais me permettre de vous rappeler qu’au conseil municipal de Caen qui s’est réuni il y a quelques jours, vous-même et vos amis avez refusé de voter un rapport proposé par la majorité municipale caennaise et visant à mettre en conformité la Ville de Caen, s’agissant de la protection des périmètres de captage d’eau, avec une obligation légale de 1992 ! Et dix-huit ans après, vous êtes encore à vous battre pour savoir si effectivement on doit ou pas respecter la loi. Enfin soyons sérieux.

Ligne à grande vitesse

Je vais en venir au sujet qui a occupé déjà certaines interventions, c’est un grand sujet, puisque le montant de la facture d’abord en fait un grand sujet.

Le montant de la facture, sur lequel j’ai bien entendu que l’État serait appelé à se positionner, je le dis quand même ici de façon à ce que ce soit dit aussi simplement que cela. Pour l’instant, c’est-à-dire depuis 2009 et le discours de Nicolas Sarkozy au Havre, l’Etat n’a pas bougé, n’a pas indiqué de quelque façon que ce soit, fût-elle détournée, quel était ou quel serait le montant de son engagement sur un projet comme celui-là. Je pense que c’est un préalable important que d’avoir au moins des éléments, je ne demande pas une réponse définitive, mais au moins des éléments de réponse de l’État sur ce point.

La position des écologistes, je vous le dis honnêtement, et peut-être certains d’entre vous auront-ils du mal à le croire, n’est pas une position d’ayatollahs. Mais j’ai bien noté que Philippe Augier n’est pas là, je ne pourrai donc pas poursuivre avec lui ce passionnant dialogue.

Notre position est le fruit d’une longue réflexion, d’une réflexion sur ce que sera le monde, sur ce que sera en tout cas le contexte dans lequel nous serons amenés à intervenir à la date où l’on nous parle de la mise en service de la LGV, à savoir 2020. Je vais faire distribuer, si c’est possible, une petite revue de presse, simplement pour illustrer de quelle façon nous avons réfléchi à ce sujet.

Ce sont des articles de presse que j’ai piochés exclusivement dans les journaux parus la semaine où le comité de pilotage s’est réuni et nous a annoncé les premières fourchettes de chiffrage, entre 9 et 13 milliards. Ce sont donc des articles récents, des derniers jours et qui, au fond, pour la plupart d’entre eux, si vous les prenez isolément, ne disent pas forcément beaucoup. Si vous les reliez les uns aux autres, là vous avez quelque chose qui commence à dessiner un paysage un petit peu plus cohérent. Vous avez cet article paru par exemple dans Ouest France sur la manière dont l’essence plombe le budget des jeunes, notamment étudiants, et la façon dont ils doivent arbitrer leur propre budget, souvent modeste, est parfois très difficile.

Vous avez, sur le même sujet, un peu plus loin, un article paru hier dans « Le  Parisien-Aujourd’hui en France », sur la manière dont le prix des carburants affecte évidemment et chacun le comprendra, Jean Châtelais en a parlé, les conditions de vie concrète et quotidienne des ménages et des automobilistes.

Dans le même article, titré « le pétrole flambe, l’essence augmente », vous lirez une analyse de Philippe Chalmin, qui est un économiste , spécialiste des matières premières. Et je m’empresse de préciser qu’il n’est pas particulièrement écologiste, mais son analyse rejoint en bien des points les nôtres, pour montrer qu’effectivement la question du prix des matières premières, de leur  raréfaction, pour des raisons notamment climatiques, va bousculer nos vies et nos vies quotidiennes.

Il y a aussi des bonnes nouvelles dans cette revue de presse, je vous rassure tout de suite : par exemple, « Total repasse la barre des 10 milliards d’euros de profit ». Je pense que chacun d’entre nous se félicitera qu’un champion industriel français soit leader à ce point sur son secteur. Mais, je le dis simplement, la question de l’énergie va être une question cruciale au 21e siècle, et j’invite chacun à réfléchir à l’hypothèse évoquée par Jean Châtelais : je ne suis pas sûr que sur des questions aussi cruciales que celle-ci, nous puissions, en tant que puissance publique et là encore une fois, qu’on soit de droite ou qu’on soit de gauche, laisser toute la latitude de décision à des acteurs privés. Ça posera un certain nombre de soucis si nous ne pouvons pas y répondre autrement.

Je laisserai donc chacun à la lecture de cette revue de presse, en disant simplement qu’elle vous montrera ce qui nous guette, le monde qui vient devant nous.

Le monde qui vient

 J’y ai aussi glissé quelques éléments sur l’héritage. Il y a notamment un très bel article paru dans « Les Echos » sur la facture des travaux consécutifs à la catastrophe de Tchernobyl. La communauté internationale ne sait pas gérer cet événement, qui fait partie des éléments qui seront demain aussi le patrimoine, noir, mais le patrimoine quand même, de l’humanité, de notre humanité, du 20e siècle tel que nous le laissons en gestion à ceux qui viendront après nous.

Le monde qui vient, c’est aussi les prix alimentaires, c’est aussi les questions agricoles, ce sont aussi les inondations – dans une région aussi littorale que la nôtre, on est concernés. Tout cela, ce sont des défis absolument colossaux. Et personne, la vérité oblige à le dire, personne, y compris les écologistes qui sont ceux qui ont, le plus tôt, le plus avant, et je crois le mieux, posé ces questions-là, posé  la difficulté de ces mutations-là ; personne ne sait exactement comment nous allons faire. Personne ne sait quelle est l’ampleur exacte des transformations à accomplir. Personne ne sait comment nous allons surmonter ces défis-là.

Et parce que nous faisons cette analyse, nous considérons qu’effectivement, il revient de prioriser tous les efforts de l’action publique sur cette mutation-là. Et de ne pas les renvoyer à 2030, à 2040, à 2050.

Toutes les négociations internationales sur le climat, alors que nous connaissons la réalité des risques, alors que nous savons ce que nous disent les scientifiques depuis plus de quinze ans maintenant, toutes les négociations internationales sur le climat, si on en fait le bilan, obligent à dire que nous n’avons rien fait. Nous avons écrit des résolutions, nous avons approuvé des résolutions, certaines d’entre elles étaient ambitieuses, la plupart ne l’étaient pas. Nous nous fixons des objectifs de maintenir le réchauffement climatique planétaire à moins de deux degrés, nous savons déjà que nous n’y parviendrons pas. Et tout cela aura des conséquences, pas simplement en Inde, pas simplement au Bangladesh, pas simplement dans des pays et dans un temps lointains, ça aura des conséquences et c’est déjà commencé. Et toutes les collectivités, toutes les puissances publiques sont concernées par ce sujet-là, et si nous n’y mettons pas le paquet, je ne vois pas comment nous pourrions y arriver.

Je vous le dis, dans ce monde-là, dans ce monde qui vient, dans le monde qui se dessine devant nous, je ne crois pas, nous ne  croyons pas, qu’il soit prioritaire d’engager un investissement de  plus de 10 milliards d’euros pour une ligne à grande vitesse. C’est aussi simple que ça : dans ce monde-là, cet investissement-là ne peut pas être prioritaire.

Je note d’ailleurs qu’au-delà même des difficultés liées à l’État,  le président de la région Haute-Normandie, Alain Le Vern, ne semble pas lui-même d’un enthousiasme absolument délirant : il a évoqué 20 millions d’euros par an, pour que chacun se fasse bien une idée, 20 millions d’euros, c’est le prix d’un kilomètre de LGV. Il va falloir beaucoup, beaucoup d’années, pour qu’on puisse arriver à la totalité de la facture. Ceci est toutefois un détail. Ce qui compte pour nous, c’est que vraiment nous ne pensons pas que cet investissement-là, dans le monde qui vient, dans les dix ans qui viennent, soit prioritaire et qu’il résoudra des problèmes ou des questions ou des défis d’emploi, de développement économique, tels que les a évoqués Alain Tourret.

Maintenant, je ne voudrais pas rester là-dessus et vous laisser penser que la majorité régionale est irréductiblement divisée sur ce point stratégique. Ce point est stratégique pour ceux qui pensent qu’il l’est, pour ceux qui favorables ; pour nous, très honnêtement, comme nous sommes à la fois sceptiques sur l’utilité de la réalisation et sur la possibilité de cette réalisation, nous sommes assez peu inquiets, je vous le dis.

 Si, par hypothèse, nous pouvons après tout nous tromper, c’est possible ; si par hypothèse, donc, ce grand chantier devait voir le jour, j’espère que nous serions tous d’accord pour considérer que les financements  d’investissement devant aller à un grand chantier d’infrastructure ferroviaire à  Grande vitesse pourraient à parité être portés sur le ferroviaire de proximité. Dans ces cas-là et encore une fois, si jamais les choses devaient arriver à terme pour la LGV, j’espère que nous pourrons trouver un accord tous ensemble, et là encore au-delà des clivages, pour considérer qu’à 1 euro investi pour la LGV, il faudra investir 1 euro sur le ferroviaire de proximité.

Je terminerai sur un point. Et c’est vraiment mon dernier point, Monsieur le Président, mes chers collègues. Je ne crois pas qu’on puisse creuser beaucoup plus loin la question des divergences internes à la majorité constituée par la gauche et les écologistes sur ce sujet-là. Parce que dans le monde complexe, dans les bouleversements qui nous attendent et que j’ai déjà évoqués, la solution n’est jamais dans l’alignement en petits pois, par exemple, des uns derrière les autres. La solution, elle ne pourra naître que de la confrontation respectueuse des différents points de vue, non instrumentalisée. Elle ne pourra naître que dans le débat et j’espère que nos positions, si elles agacent, pourront contribuer à faire avancer le débat. Auquel cas je crois que nous serons nous-mêmes assez fiers de nous, et que surtout nous aurons été utiles pour tous les Bas Normands.

 Je vous remercie.

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