C’est le déni qui fait les affaires du Front national. Réponse à «Libération» (Mickaël Marie)

17 juillet 2010

Mickaël Marie, trésorier national des Verts et conseiller régional de Basse-Normandie, répond au «clergé des raisonnables» qui estime que «la résistance à l’extrême droite impliquerait donc… de se taire».

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Ainsi donc, «le populisme ambiant» ferait «les affaires du Front». C’est Libération qui nous l’apprenait, le 15 juillet dernier, expliquant que le FN ne pouvait que « sortir vainqueur » d’un tel climat de surchauffe. Implacable argument, qui invite tout le monde à la retenue, écrasant les velléités de dissonance sous le poids accablant de la République menacée par les fascistes, les vrais, cette fois-ci. La résistance à l’extrême droite impliquerait donc… de se taire. De se faire discrets. De ne pas en rajouter.

Soyons justes : Libé n’est pas seule à entonner le refrain. L’article emboîte le pas au clergé des raisonnables, pompiers de la vertu publique qui s’étaient déjà reconnus dans le mémorable «Halte au feu» de Simone Veil et Michel Rocard, inquiets de ce que la critique des «affaires» ne nourrisse la «broyeuse populiste». On pourrait déjà, si d’autres ne l’avaient fait avant nous, examiner longuement l’emploi banalisé de ce mot, «populiste», qui dénote une étrange conception, vaguement méprisante, de ce qu’est « le peuple » ou de ce qui est «populaire». Des recherches poussées seraient bienvenues pour comprendre comment ce terme, désignant tout autre chose il y a encore une trentaine d’années, est devenu peu à peu une sorte de synonyme paresseux d’un autre, plus précis : démagogique.

Et la démagogie n’est peut-être pas seulement dans la sinistre rengaine du «tous pourris». Évidemment, il faut mettre en garde : l’immense majorité des élus de notre pays ne sont pas des pousse-au-crime roulant en voitures de fonction, brûlant en cigares et vins millésimés les moyens publics ou usant de l’autorité de leur fonction pour la déchoir en privilèges de parvenus. Les élus de la République sont, pour la plupart d’entre eux, animés par l’esprit public, le souci du service rendu aux citoyens, et ne ménagent pas leur peine pour cela, sans être toujours bien considérés de ceux-ci.

Le rappeler est légitime, et justifie qu’on ne laisse pas grossir la rumeur misérable qui soupçonne indistinctement tous et toutes, les vertueux comme les escrocs. Mais la démagogie, cette flatterie de «la pensée réduite à l’état de Gramophone», serait aussi de brandir l’épouvantail du Front National devant toute critique du comportement des élus, lorsqu’il est délictueux ou moralement condamnable.

Car c’est ce déni, bien plus sûrement que les indignations ou les réprobations – légitimes – devant les manquements, qui reste le meilleur moteur de l’extrême droite. C’est lorsque les pouvoirs, politiques ou médiatiques, donnent aux citoyens ce sentiment d’une solidarité de corps constitué, que la rhétorique du Front National devient tristement plus audible. Ce n’est pas simplement des «affaires» dont la famille Le Pen se réjouit, mais des réactions effarouchées de celles et ceux qui, voyant un ministre attaqué, se sentent obligés de porter secours à la République, nourrissant par là la confusion entre les dérèglements d’un seul et les agissements de tous.

Libération
a raison sur un point : plus que jamais, le Front attend son heure. Raison de plus pour ne pas tomber dans le piège qu’il nous tend. Si l’on veut réellement que ne grossissent ni le Front ni l’abstention, il nous revient de ne pas nous conduire en imbéciles. De ne pas regarder le doigt, lorsque l’on nous montre la Lune.

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