La « smart specialisation » au service des territoires et de la démocratisation de l’enseignement supérieur ?
L’université numérique est-elle une réponse à la crise du logement étudiant et la démocratisation de l’enseignement supérieur ?
Le logement étudiant est une préoccupation de la Région aquitaine car elle s’inscrit dans ses compétences universitaires. Malgré de nombreux soutiens financiers à des opérations de rénovation et construction de logements universitaires, qui ont permis d’accroitre l’offre sur le territoire de la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB), la problématique du logement reste une préoccupation majeure des étudiants. L’offre de logements abordables reste malgré tout insuffisante.
Pourra-t-on résoudre ce problème en ne s’occupant seulement que de l’offre sans agir en parallèle sur la demande ? Car si au fur et à mesure que l’offre augmente, la demande augmente aussi, tout simplement parce qu’on souhaite démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur et donc augmenter la population étudiante en la concentrant sur une partie restreinte du territoire, comment arrivera-t-on à rétablir un jeu équilibré de l’offre et de la demande qui permettrait d’envisager une baisse des loyers ?
La réponse mathématique saute évidemment aux yeux, car il suffirait de faire baisser la demande en « logements étudiants » sur la CUB pour que la formule rétablisse l’équilibre en faveur de l’offre. Mais comment résoudre une équation qui consiste à diminuer la demande de logements tout en souhaitant une plus grande démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur donc une augmentation du nombre d’étudiants ?
Et c’est là que nous nous tournons vers la technologie, « comme quoi, contrairement aux stéréotypes ou caricatures, les écologistes ne sont pas des technophobes » car nous considérons que l’université numérique est une réponse systémique à cette problématique régionale. La « smart specialisation », qui est un nouveau concept européen de développement nous apprend qu’il faut savoir apporter de la valeur ajoutée à une activité locale, en greffant sur de l’existant des techniques nouvelles qui vont irradier plusieurs secteurs dans une dynamique nouvelle qui apportera de nouveaux modes de faire, adaptés aux besoins des territoires régionaux. Telle est la philosophie du concept européen, déclinée en réunion des exécutifs sur l’Europe le 24 Février au conseil régional, par son inventaire, M. Foray. Et cette valeur ajoutée et dimension créative ne se réduisent pas au seul secteur de l’entreprise et de l’économie mais peuvent concerner l’innovation sociale au service d’un aménagement plus équitable du territoire et d’une plus grande démocratisation de l’accès à la connaissance.
C’est donc l’esprit de la « smart specialisation » que nous proposons de faire pénétrer sur le territoire aquitain pour rénover le service public de l’enseignement supérieur en vue de deux objectifs : une plus grande démocratisation et égalité territoriales de la poursuite des études universitaires.
Comment ? Par un développement sans précédent de l’université numérique. Pour éviter les malentendus, d’où naissent souvent des résistances aux projets, précisons bien que « université numérique » ne signifie pas « enseignement à distance ». Elle est un mix de « présentiel » et « distanciel », c’est-à-dire d’enseignement en « présentiel », étudiants et enseignants « face à face », et d’enseignements en « distanciel » c’est-à-dire médiatisés par une plate forme numérique. Précisons d’ailleurs que la question de la distance dans l’enseignement ne répond pas qu’à des critères physiques. Quid en effet d’un cours d’amphi qui est certes du « présentiel » mais sans interactivité ? Et quelle est la pertinence de faire venir des quatre coins du territoire aquitain des étudiants toute une semaine sur Bordeaux, avec tout ce que cela comporte comme besoins d’infrastructure pour leur dispenser des cours d’amphis, souvent dans certaines disciplines retransmis de surcroît, en parallèle sur écrans vidéos dans plusieurs salles de l’université ?
A l’heure du numérique, il est temps de repenser la pédagogie universitaire. Nous sommes un certain nombre d’enseignants à l’expérimenter à Bordeaux, en segmentant nos enseignements « en distanciel » d’une part, sous formes de vidéos ou diaporamas commentés et « en présentiel » d’autre part, sous forme de travaux dirigés qui reprennent sous forme interactive l’enseignement dispensé en « distanciel ».
Avantages ? Pour avoir suivi une formation à cet enseignement numérique j’ai tout d’abord apprécié qu’on puisse enfin à l’université échanger et partager des préoccupations pédagogiques, cela faisait longtemps que ce n’était pas arrivé !
Autre avantage : en organisant judicieusement le « présentiel », on peut imaginer faire venir les étudiants sur deux journées à l’université en faisant des allers-retours sur Bordeaux dans la journée, par trains avec des tarifs avantageux, ce qui leur éviterait de devoir s’installer pour une année sur la CUB avec les coûts que cela comporte.
Autre avantage : éviter d’agrandir sans cesse les locaux universitaires par la diminution de la présence des étudiants et réduire ainsi l’inflation des coûts de fonctionnements liés à des investissements de plus en plus importants.
Le bémol ? On m’a souvent rétorqué que j’allais entraver l’autonomie étudiante et la nécessaire socialisation entre pairs qui correspond à un besoin important de cette période de la vie. Car une vie éloignée du cercle familial aurait l’avantage de créer de l’autonomie. J’aurais deux remarques à faire à ce sujet : la première est que l’université n’est pas ce lieu mythique où parce qu’ « il y a du nombre », « il y a du lien ». Au contraire, l’université est vécue par de nombreux étudiants comme un lieu anonyme, où la relation enseignant-enseigné reste très distante et peu chaleureuse et où il n’est pas aussi facile de faire de nouvelles connaissances! Et puis, est-il nécessaire de rappeler que si l’autonomie a un coût financier élevé, elle ne peut concerner qu’une partie de la jeunesse aquitaine ?
Je n’ai pas trop d’inquiétudes, par ailleurs, pour que notre jeunesse reconstruise « naturellement » des lieux sociaux de convivialité dans ce nouveau contexte et je fais confiance à leur capacité créative dans le domaine !
On peut aussi imaginer, que dans chaque département, on puisse créer des espaces de tutorat avec la présence de doctorants allocataires, qui pourraient servir de relai sur les territoires, entre les enseignants et les étudiants qui accompagnerait si nécessaire le « distanciel ». Une façon de recréer dans chaque partie du territoire aquitain des lieux de convergence pour la vie étudiante moins impersonnels et plus conviviaux que des grands campus universitaires. Ce qui redonnerait de surcroît un « coup de jeune » et de la vitalité à tous nos territoires.
Car au bout du compte (si on ne veut que compter), cette nouvelle organisation a des conséquences financières positives pour la collectivité, pour les familles, les jeunes et ne peut que contribuer à réduire le déficit public tout en conservant voire en amplifiant et démocratisant la poursuite d’études supérieures. Reste donc à accompagner cette nouvelle forme d’autonomie de l’accès au savoir et faire appel à des contributions créatives pour rendre opérationnel ce projet en comptant sur le potentiel énorme de l’intelligence aquitaine qu’il ne manquera pas de réveiller.
Martine Alcorta, Vice Présidente Région Aquitaine chargée des politiques de l’habitat et Maitre de conférences en Psychologie à l’université de Bordeaux-2