Décentralisation énergétique : passons de la parole aux actes !
Tribune de Peggy KANÇAL – Mars 2011
Accélération de l’Histoire. Mercredi 9 mars 2011 : fin du moratoire gouvernemental sur le photovoltaïque, brisant la filière solaire française. Vendredi 11 mars 2011 : séisme et accident nucléaire au Japon. Cette conjonction dramatique d’événements nous propulse dans l’après-Fukushima, ouvrant une nécessaire réflexion et révision de nos politiques énergétiques.
Rappelons la situation extrêmement paradoxale dans laquelle nous nous trouvons en France, qui a fait le choix de sacrifier les énergies renouvelables, alors même que le modèle nucléaire fondé sur le mythe de la croissance infinie de la consommation électrique et l’absence de risques sanitaires est en train de voler en éclats !
Dans un tel contexte, le virage vers la décentralisation énergétique doit être incontestablement amorcé par les régions et les collectivités locales, sans plus rien attendre des concertations d’en haut type Grenelle, qui débouchent sur les résultats décevants, voire indignes, que l’on connaît.
Ce virage, il doit se matérialiser pour nous, à travers trois grands types de mesures :
1- Un engagement déterminant et conjoint de toutes les Régions sur la sobriété énergétique
La séance plénière du 28 mars 2011 nous a donné l’occasion d’interpeller le Président Rousset, en tant que Président de l’Association des Régions de France, pour impulser au niveau de toutes les Régions une dynamique commune qui pourrait s’intituler «Régions Facteur 4» afin que toutes prennent les mêmes niveaux d’engagement lors des discussions avec l’Etat dans le cadre des Schémas Régionaux Climat-Air-Energie.
Les Régions pourraient ainsi se hisser de façon cohérente et coordonnée au rang des ambitions européennes, autour de 25 à 30% de réduction de GES à 2020, tant pour des raisons de santé publique que de soutenabilité économique. En mutualisant des niveaux d’objectifs, les Régions françaises pourraient mieux mesurer, évaluer, éventuellement réorienter les choix partagés de politiques publiques qui en découlent (aménagement, transports, urbanisme).
Pour ce qui concerne l’Aquitaine, nous comptons sur l’implication de son Président, Alain Rousset, au prochain comité de pilotage du SRCAE avant l’été, qu’il co-présidera avec M. Le Préfet, pour porter une position maximaliste de la Région axée sur un scénario dit «Négawatt».
Au-delà de ces négociations qui déboucheront en fin d’année, un certain nombre d’initiatives pourraient être prises dès maintenant par la Région Aquitaine, dont par exemple :
- La mise à disposition par la Région, d’outils de planification et de reconversion énergétiques pour toutes les grandes agglomérations (caractérisation thermique et énergétique du patrimoine bâti, débouchant sur modélisation des besoins « par quartiers », inventaire détaillé des gisements EnR et fatals locaux, réalisation d’un Système d’Information Géographique (SIG) croisant besoins et gisements, demande et offre énergie) – outils testés actuellement par l’A’URBA et de l’ALE sur le territoire CUB.
- L’expérimentation d’une politique énergétique dite « Demand Side Management », associant les fournisseurs, distributeurs et consommateurs d’énergie, basée sur les besoins, qu’il s’agit d’évaluer, puis de satisfaire au moindre coût global (y compris écologique et social) ; dans ce système, les fournisseurs sont amenés à maîtriser l’évolution de la demande, et investissent massivement dans les économies d’énergie chez leurs clients et le développement des énergies décentralisées (donc EnR)
- L’étude et la réalisation d’opérations pilotes dans les domaines suivants : stockages de chaleur intersaisonniers (chaleur perdue rejetée 5 mois par an par une Unité d’Incinération d’Ordures Ménagères [UIOM] : après la fermeture de l’UIOM, des capteurs solaires haute température prendraient le relais) ; séchoirs solaires à dimension industrielle, pour le séchage de la biomasse humide (on utilise le plus souvent de la biomasse à 50 % d’humidité, donc on transporte et on « brûle » 50 % d’eau).
2- Des moyens renforcés sur l’efficacité énergétique
Selon les premières données que nous recueillons dans le cadre du Schéma Régional de l’Air, de l’Eau et de l’Energie (SRCAE), les deux postes sur lesquels nous devons faire porter le plus gros de nos efforts sont les transports et l’habitat.
Evoquons un projet symbolique et exemplaire, touchant aux lycées d’Aquitaine. Plus globalement, l’enjeu sur l’efficacité énergétique des bâtiments est immense : la consommation d’énergie a augmenté de 37% depuis 1990, ce qui porte les GES pour ces bâtiments à 20% dans notre région (+20% entre 1990-2007) et nous ne parvenons pas à enrayer la croissance de la consommation et des émissions.
Les outils de rénovation énergétique à grande échelle, notamment dans les quartiers où les habitants n’ont pas les moyens de réaliser ces travaux, sont vraiment à inventer et à mettre en place sous l’impulsion de la Région.
En ce qui concerne l’efficacité énergétique dans l’industrie, notre Région a, il est vrai, investi sur le stockage de déchets CO2. Le chantier qui s’ouvre à nous est bien celui de l’écologie industrielle, qui n’est encore qu’au stade des projets expérimentaux, et dont il faudrait dès aujourd’hui envisager le développement sur tout notre territoire en y mettant des moyens incitatifs conséquents pour les entreprises.
3- Des initiatives très attendues pour le développement raisonné et concerté des énergies renouvelables dans notre région.
Bien sûr, nous ne pouvons qu’approuver la création d’un Fonds EnR, destiné à accompagner les entreprises, notamment TPE, PME-PMI, des filières vertes à surmonter la crise aigüe. Beaucoup de Régions ont en effet pris ce type d’initiatives. Nous ne doutons pas que des moyens financiers importants pourront être débloqués par la Région Aquitaine, en allant aussi chercher des fonds auprès de la Banque Européenne d’Investissements.
Il s’agit pour nous d’une mesure tout à fait nécessaire… mais non suffisante. Les mesures d’ordre économiques doivent s’imbriquer dans la politique climat qui fixera une programmation à long terme des investissements énergétiques par territoires (pour répondre aux besoins locaux, réduire les pertes en réseau) et par technologies en fonction des potentiels/contraintes.
De façon complémentaire et parallèle aux aides économiques qui seront distribuées, nous préconisons une série de mesures volontaristes de soutien à la production d’électricité à partir de sources renouvelables sur notre territoire.
* Photovoltaïque :
- Développer le marché local, en faisant des acteurs publics (communes, syndicats intercommunaux) le moteur du marché. Il faut encourager la commande en gros de panneaux photovoltaïques afin d’équiper différents sites immobiliers publics. Lançons sans plus tarder notre appel à projets pour le photovoltaïque en toiture (hangars industriels, bâtiments publics) !
- Inscrire des critères environnementaux dans toutes les commandes locales de panneaux, que ce soit en terme de technologie utilisée (exclure des technologies toxiques au tellurure de cadmium ; privilégier les technologies type trackers préservant les sols), ou en terme de provenance (bilan carbone des panneaux comme critère de choix).
- Stimuler l’équipement des particuliers (création avec les crédits municipaux de livrets d’épargne Photovoltaïque, solliciter les assurances pour annuler le surcoût de l’assurance décennale des panneaux, en offrant par exemple la gratuité de l’extension d’assurance pour le bâti de plus de 15 ans. Cette action stimulera l’équipement des particuliers en annulant le surcoût de l’assurance d’environ 20%.)
- Elaborer un dispositif de conseil et d’accompagnement pour les collectivités (charte ou guide), comme l’avait fait la préfecture de Région en décembre 2009, en actualisant les informations, de manière à introduire de la régulation dans les projets, par une maîtrise globale de l’usage des sols.
* Eolien :
- Affirmer publiquement le soutien de la Région aux premiers projets parcs d’éolien terrestres, au stade du permis de construire (Naujac sur Mer). A cette occasion, pourquoi ne pas expérimenter l’éolien citoyen, étant donné que nous avons la chance d’avoir des opérateurs locaux experts sur ce sujet. Les acteurs du territoire seront ainsi directement impliqués dans l’élaboration et le financement du projet.
- Création d’un site pilote et/ou expérimental porté par les collectivités mis à disposition des industriels (outil d’essai pour les industriels, outil de certification pour les assureurs et les banquiers, outil pour la formation pour l’ensemble des métiers de la fabrication et de l’entretien d’une éolien, outil de communication pour vulgariser cette technologie auprès du grand public).
* Mais aussi … :
- Mieux développer les réseaux de chaleur bois énergie dans tous les départements, y compris en zone rurale.
- Lancer dès que possible un nouvel appel à projets « méthanisation ».
- Valoriser le potentiel géothermique aquitain ; créer un fonds de garantie pour les collectivités souhaitant étudier le recours à la géothermie sur leur territoire.
- Acter l’adhésion de la Région à la plateforme technologique portée par l’IFREMER sur les énergies marines, installer une première hydrolienne en mer en 2011 (projet presque mûr).
Toutes ces initiatives peuvent être engagées dès maintenant, s’il y a une réelle volonté politique de favoriser les énergies renouvelables dans notre région, et d’y consacrer les moyens adéquats.
Les positions des écologistes sur la question du nucléaire sont claires, connues depuis de nombreuses années : nous demandons la fermeture immédiate des réacteurs les plus dangereux (dont Fessenheim et Blaye qui a déjà subi des incidents très graves en 1999, des inondations et des défaillances de la digue en 2004) ; nous souhaitons également l’engagement d’un processus national de sortie du nucléaire sur une période de 25 ans.
Nous ne sommes pas dans l’utopie, au contraire quand nous prônons le scénario négawatt et la substitution progressive du nucléaire et du pétrole aux EnR, nous sommes dans une posture de réalité économique et de bon sens environnemental :
- Sur le plan de l’indépendance énergétique : si l’on prend en compte l’importation de l’uranium, les taux d’indépendance respectifs sont de 9 % pour la France et 30 % pour l’Allemagne.
- Sur la question de l’emploi : la création d’emplois dans le secteur du nucléaire est très inférieure à celle que permettent les EnR (à somme égale investie, on produit 2 fois plus d’électricité et on crée de 2 à 5 fois plus d’emplois sur un projet éolien qu’un programme nucléaire, sur une période d’exploitation de 40 ans, sources : études Éole ou Pluton).
- Sur la question de la gestion des risques : malgré un accroissement des risques (+17% des incidents recensés en France en 2010), le plafond de responsabilité en cas d’accident reste ridicule.
- Enfin bien entendu en matière de santé publique : la France cumule aujourd’hui par habitant 10 fois plus de déchets de cette activité vie courte, 9 fois plus de déchets de faible activité, et 4 fois plus de déchets à haute activité que l’Allemagne. La question du démantèlement des centrales, et de son coût est à l’heure actuelle dans le flou le plus total.
Le scénario Négawatt ne demande qu’à être enclenché… Les énergies renouvelables peuvent couvrir localement, à l’échéance 2040 – 2050 : 80 % des besoins électriques totaux – 85 % des besoins de chaleur des bâtiments ( chauffage et eau chaude sanitaire ) – 50 % des besoins de chaleur de l’industrie – 50 % des besoins de déplacement motorisé (étude ALEAB/CUB).
A nous, élu/es écologistes au sein du Conseil régional d’Aquitaine, de montrer la direction et de prendre en main notre avenir énergétique, pour toutes les générations d’Aquitains. Agir en faveur de la décentralisation énergétique, c’est construire un modèle de proximité dans lequel les particuliers, les industries et les collectivités sont auto-producteurs en énergie et sont en mesure d’adapter les usages aux besoins.
L’expérience montre que la richesse énergétique peut être à l’origine d’un développement économique. Nous souhaitons prendre notre part dans ce virage décisif !