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Par Antoine Bonduelle, pour réponse au Nouvel Obs sur le Danemark.
Le Danemark et la France : qui est le cancre de Rio ?
Reproduit avec l’autorisation de l’auteur
On entend beaucoup de bêtises sur le Danemark ces temps ci. Jean-Marc Jancovici dans l’Observateur nous sert un vrai festival de poncifs (N° spécial Hulot du 14 décembre 2006). On peut ne pas aimer tout ce que font les Danois : leurs fromages fades, leur conformisme et leur propreté qui en font un peu les Suisses de la Scandinavie. Mais le qualificatif de « pollueur » ou de « charbonnier » venant des anti-éoliens et des pro-nucléaires (qui sont parfois les deux) doit faire réagir. C’est faux et en voici la preuve en quelques pages de statistiques comparées. On devrait plutôt parler de la « tortue » du traité de Rio quand le « lièvre » France s’est arrêté de courir en 1986.
Extrait :
(...) à titre de comparaison, l’Espagne produit aujourd’hui 10 000 MW, l’Allemagne 20 000 et le Danemark 3000. Ce qui fait de ce petit pays de 5,4 millions d’habitants le champion incontesté du secteur. Et l’un des plus gros pollueurs européens !(sic) Car au Danemark, patrie du non catégorique au nucléaire, l’alternative à l’éolien, c’est le charbon : le plus polluante des sources d’énergie en terme d’émission de CO2, toutes catégories confondues. L’enfer est pavé de bonnes intentions. « Cet engouement pour l’éolien est pour le moins surprenant, souligne Jean-Marc Jancovici, l’un des meilleurs spécialiste du secteur. (re-sic !). Faut-il passer des années à se focaliser sur une part aussi faible de la consommation, quand dans le même temps un programme un peu sérieux d’économies d’énergie, comme l’isolation de logements existants, qui ne demanderait pas plus d’argent public, pourrait facilement faire baisser la consommation d’énergie de 10% ». Une économie énorme pour le pays.
Cet extrait du Nouvel Observateur (« Ces coûteux désirs d’avenir », p.90-92 N°2197 spécial Hulot du 14 décembre 2006) représente en quelques phrases un somme considérable de poncifs et de contrevérités. La comparaison écologique et politique entre France et Danemark est éclairante, mais encore doit on se baser sur des statistiques récentes, avec un œil moins idéologique, et regarder aussi les changements à venir. De « cancre », on en vient à « bon élève » si on prend des lunettes un peu objectives. Vaut-il mieux la « tortue » Danemark ou le « lièvre » France ? En gros, trois points sont développés par l’Observateur, tous faux :
Les Danois investissent peu dans le logement et dans l’efficacité énergétique
Ils ont mis la priorité sur l’éolien, qui produit encore peu
Leur économie est basée sur le charbon
Examinons maintenant les faits. Le Danemark est le pays de l’OCDE qui a le plus changé en quinze ans ; tandis que la France stagnait sur le plan énergétique entre 1990 et 2005 comme l’indique le tableau suivant :
La dépendance pétrolière du Danemark a plus baissé que celle de la France (de 67% à 41% contre de 60% à 46% pour la France) [1] C’est d’autant plus remarquable que ce pays est pourtant devenu producteur de pétrole et de gaz durant la dernière décennie mais n’a pas gaspillé cet atout.
De même, la contribution du nucléaire à l’énergie consommée par la France ne joue en énergie finale que pour 18% du bilan. C’est à peine plus que l’augmentation des énergies renouvelables au Danemark (+13 points). La France vit de sa rente de l’hydraulique passée, tandis que le Danemark s’est créé une ressource renouvelable en dix ans.
Pour l’électricité, l’éolien et la biomasse produisent désormais 29% de l’électricité danoise, le double de la part française de l’hydraulique dont nous avons hérité de nos grands pères de l’après la guerre. Les Danois ont atteint ce taux en partant de 6% de l’électricité en 1990 (et 3% en 1980). Vous avez dit « négligeable » ?
L’éolien est une réussite danoise, mais la politique de ce pays a concerné aussi d’autres ressources renouvelables, comme la biomasse, la paille et le biogaz, qui fournissent non seulement le tiers des renouvelables électriques [2] , mais aussi sont utilisées pour le chauffage et représentent au total une contribution de plus de 80% au bilan final, bien plus que l’éolien ! (voir graphe suivant). Encore un mythe « anti-éolien » qui s’effondre, les Danois ne se « focalisent » pas seulement sur l’éolien »...
Outre l’équilibre entre les énergies où l’éolien n’est pas dominant, ce graphe montre aussi la spectaculaire montée en puissance des énergies renouvelables thermiques au Danemark : La production d’énergies renouvelables (en énergie primaire) représente aujourd’hui dans ce pays 16% du total de la consommation, contre 7% il y a dix ans, soit plus qu’un doublement. En France, la production d’énergies renouvelable a peu bougé depuis l’après-guerre et la construction des grands barrages.
Et le charbon danois ?
La priorité de dépense d’infrastructure au Danemark, dès les années 80, a été de construire des réseaux de chaleur permettant de récupérer l’énergie thermique des centrales électriques. Aujourd’hui ce sont près de la moitié des logements qui sont branchés sur ces réseaux, dans tout le pays y compris ses zones rurales [3] La montée en puissance des autres énergies (biomasse, gaz) en cours dans le pays est démultipliée par ce système énergétique particulièrement efficace. Chaque unité de chauffage vendue par les réseaux a ainsi diminué ses émissions de gaz carbonique CO2 de moitié entre 1990 et aujourd’hui [4].
A propos de charbon, le Danemark a interdit il y a dix ans la construction de nouvelles centrales charbon ou à gaz sans récupération de chaleur. La France, elle, autorise deux nouvelles mines de charbon et une centrale privée, et va même jusqu’à leur attribuer gratuitement des permis d’émissions [5]. Le Ministère de l’Industrie annonce un triplement de la consommation de charbon en France pour l’électricité à l’horizon 2030 [6] soit un retour aux consommations observées pour la production électrique durant les années record à la fin des années 70 [7]. Qui est un pays « charbonnier » ?
Les centrales électriques du Danemark sont pour 60% des centrales fonctionnant en cogénération (contre 40% en 1996) [8]. Paradoxalement, cela fait du Danemark un pays exportateur net de courant électrique car ce pays -contrairement à la France- a stabilisé la consommation électrique par les ménages [9]. Heureusement, la proportion de biomasse croit encore fortement dans les réseaux de chaleur, ce qui assure au pays une importante marge de progrès. C’est ainsi que le contenu en carbone de l’électricité du Danemark a été divisé par deux en descendant à 517 en partant de 937 grammes en 1990 ! Cette évolution est illustrée par le graphe suivant, qui montre la proportion croissante de renouvelables dans les réseaux de chaleur danois, et la baisse du charbon :
Respect de Kyoto
Du point de vue du respect de Kyoto, le Danemark est dans les clous avec une baisse de 20% de ses émissions... mais la vitesse du changement opéré dans le pays le met en position de réaliser l’objectif de -30% dont l’Union Européenne devra se doter pour 2020 (en émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’année 1990).
La situation de stagnation de la France après 1990 et de progrès côté danois est illustrée par le graphe suivant, qui représente les émissions de gaz carbonique (énergie) des deux pays ramenés par habitant :
Le Danemark reste plus émetteur de CO2 que la France. Mais quel pays a mis en place une dynamique ? Quel pays est le mieux préparé au défi du facteur quatre des prochaines décennies ?
Des géographies différentes
Il faut prendre en compte également plusieurs différences importantes entre les pays. Le Danemark n’a pas de montagnes ni même de collines notables, et donc n’a aucun potentiel hydro-électrique. La France, elle, a non seulement ses barrages, mais aussi le second potentiel éolien après la Grande-Bretagne. Cela en fait le pays européen le moins utilisateur du vent comparé à son potentiel. Et le Danemark est tout de même... 45% plus riche que nous par habitant [10], ce qui se retrouve au moins en partie dans les modes de consommation de ses habitant...
De façon plus majeure, la température moyenne au Danemark est de 7,8°C (3,7 en janvier !) contre 12°C en France métropolitaine (et 17°C à Menton). En degrés-jours, l’unité qui permet d’évaluer les besoins de chauffage du logement et des bureaux, cela fait presque le double de besoins de chauffage ! Malgré un climat nettement défavorable, l’habitat de ce pays a également évolué bien plus vite qu’en France, avec un corps d’ingénieurs publics, de diagnostiqueurs et de bureaux d’études particulièrement performants. Au Danemark, la norme une fois adoptée est acceptée de tous, avec un sérieux surprenant pour le Français en visite. Le Danemark a ainsi fait évoluer son indice d’intensité énergétique (ODEX)
[11] pour les ménages de -12% depuis 1990 alors que celui de la France n’évolue plus que grâce aux changements de structure de l’industrie, et stagne pour les particuliers [12].
Le tableau plus haut montre donc bien que les changements se sont opérés en France avant 1990 (et donc que Rio et Kyoto n’y ont eu aucun effet), tandis que le Danemark a poursuivi nettement ses efforts durant le contre choc pétrolier et les bas prix de l’énergie des années 90, en utilisant notamment la taxation des énergies, la TVA sur les équipements, etc...
Un des plus gros pollueurs européens, nous dit l’Observateur ? Encore une affirmation de Jean-Marc Jancovici, qui avait raison... mais en 1980. Aujourd’hui, le Danemark est du côté des bons élèves européens sur tous les critères, même sans tenir compte de l’arrivée des Nouveaux Membres.
Au fait, pourquoi la France reste-t-elle mieux placée que ses voisins en matière d’effet de serre ? Le nucléaire ? Cette fausse évidence est répétée à satiété au point de faire rengaine. Pourtant, la maîtrise de l’énergie des années 80, un programme initié sous Giscard (l’Agence des Economies d’Energie) puis sous la Gauche (l’AFME puis l’ADEME) représente plus de carbone économisé, encore aujourd’hui. En particulier, la France consomme moins grâce à une norme lancée plus tôt que chez ses voisins sur la consommation des logements, et par des procédés performants employés par son industrie [13]. Ce ne sont pas quelques écologistes fumeux qui le disent, mais les statisticiens du Ministère de l’Industrie, qui estimaient en 1987 cette économies de la France et les ont suivi depuis [14]. Convertis en énergie finale, ces économies -essentiellement faite au détriment du pétrole - représentaient respectivement 325 PJ pour les économies et 221 PJ pour le nucléaire. La même comparaison à la fin de la construction nucléaire des années 90 devient 422 pour le nucléaire et 406 PJ pour les économies. Entre temps, l’effort français a été quasiment gelé. Reste que sans les économies réalisées au début des années 80, avec notamment les fameux Fonds Spéciaux de Grands Travaux de la période Mitterrand, nucléaire ou pas, la France serait aujourd’hui nettement rattrapée par le Danemark.
Economie
Le Danemark est aussi devenu un pays fortement exportateur de biens et de services liés à l’énergie, triplant sa part du marché mondial de ce secteur (8% du marché mondial) soit un bilan net de 5 milliards de couronnes (800 M€) en 1990 passé à 40 milliards (7 milliards d’€).
Enfin, l’industrie éolienne a dépassé depuis longtemps celle de la pêche en terme d’emplois (la construction de réseaux de chaleur aussi, de même que les emplois nouveaux dans l’isolation des maisons). Pour le Danemark, la politique de l’énergie c’est aussi une politique sociale de plein emploi, pendant que la France se complait de ses illusions nucléaires et maintient son chômage.
[1] En énergie finale (PJ), c’est-à-dire l’énergie utile aux secteurs consommateurs. Si l’on considère la Tonne équivalent pétrole (Tep) d’énergie primaire, qui gonfle la part du nucléaire, ce chiffre passe pour la France à 36% soit à peine mieux.
[2] 9% de l’électricité contre 18% pour l’éolien. Sur l’énergie totale, l’éolien représente
[3] La densité du Danemark (125 hab./km²) est inférieure à celle de l’Ile de France (912), l’Alsace (200) ou du Nord Pas de Calais (322). Il n’y a donc pas d’avantage de densité côté danois, seulement celui d’une urbanisation très planifiée et concertée démocratiquement.
[4] De 62 à 34 kg/GJ vendus dans les réseaux entre 1990 et 2004, source Energy in Denmark 2005, Danish Energy Authority.
[5] Le PNAQ (Plan National d’Allocation des Quotas) prévoit d’attribuer gratuitement des permis aux nouveaux entrants du marché de l’électricité sur la base des technologies gaz. Au Danemark, ces centrales thermiques sans cogénération sont interdites car de rendement trop faible.
[6] L’Energie, Observatoire de l’Energie MINEFI 2004. Cet annuaire de référence se base sur le « scénario tendanciel 2004 » de la DGEMP et projette une consommation de charbon pour la production d’électricité de 9,9 Mt en 2003 à 29,1 Mt en 2030 (contre 9,9 MT en 2003 et 28 en 1979, année record pour la France).
[7] Bilans de l’énergie, MINEFI 2005
[8] Paradoxalement, ce rendement très élevé fait du Danemark régulièrement un exportateur de courant électrique, ce qui pose des problèmes économiques et électriques plus complexes que les excès d’électricité éolienne, qui pose peu de problème au système énergétique du Danemark.
[9] Cependant le tertiaire et l’industrie de ce pays ont augmenté leur consommation sur la période 1990-2005 (au total, 20% d’augmentation contre 34% en France sur la même période).
[10] PIB du Danemark 1555 Mds de couronnes(214 Mds d’€) contre 1650 Mds d’€ pour la France
[11] ODEX est un indice de la consommation d’énergie par unité de valeur (intensité énergétique) pondéré par l’importance des secteurs, et utilisé en Europe pour mesurer le progrès de la maîtrise de l’énergie. Source Energy in Denmark 2005 et MINEFI 2005.
[12] « L’évolution de l’indice ODEX pour les particuliers montre même une stagnation depuis 1996 » ! (source F. Moisan ADEME, colloque Certificat d’Energie, 8 novembre 2005)
[13] Cet argument utilisé ici contre la rengaine du « nucléaire seul responsable des baisses d’émissions de la France » peut être nuancé par d’autres comparaisons vis-à-vis de nos voisins : forte proportion d’industrie lourde en Allemagne, importante pénétration du diesel (qui émet moins de poids de carbone) dans le parc automobile en France, potentiel important du bois et de l’hydraulique que n’ont pas les pays plus denses de l’Europe, moindres besoins de chauffage dans la moitié Sud de la France. Mais ces situations ne doivent pas masquer le fait que les économies d’énergie ont économisé en France bien plus d’argent et de carbone émis que le nucléaire.
[14] Note du 16 septembre 1987 de la Direction générale de l’Energie et des Matières Premières (DGEMP). "L’intérêt des économies d’énergie au vu des résultats acquis depuis 1973 »
La note utilise des données en Tonne-équivalent-pétrole selon un équivalent qui n’a plus cours en France. Conversion et totaux par E&E. Les économies considérées sont celles données par l’Observatoire de l’Energie (MINEFI), dans « L’Energie, références et chiffres clé », édition 2004 p.164, tableau « économies d’énergie cumulées 1973 à 1990 » et « « 1990 à 2001 »
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