Sur le plateau de Saclay, les derniers paysans de Paris

Le Monde.fr

 

Champ d'orge à côté de Vauhallan, sur le plateau de Saclay.

Le vent souffle sur le plateau de Saclay et dessine des vagues qui filent dans les champs d’orge. Nadine Vilain avance sur le chemin agricole bordé de coquelicots, montrant ce qu’il restera bientôt de son exploitation : sur les 40 hectares, seule une parcelle de 13 hectares devrait être épargnée des constructions. Juste à côté passe la N118 - route nationale qui coupe en deux le plateau et rejoint Paris à une quinzaine de kilomètres. Derrière, les bâtiments de Supélec et d’autres grandes écoles ont déjà poussé en lisière des champs, prémices du projet de cluster scientifique et technologique qui doit s’installer sur les terres du plateau francilien, dans le cadre du Grand Paris.

>> Lire le cadrage : « Quel avenir pour le projet de ‘Silicon valley’ à la française ? »

Ce n’est pas pour elle que Nadine Vilain s’inquiète, mais pour sa fille, Elodie. Et c’est par son époux, qui exploitait en fermage des terres du Plateau, que commence son récit : « Il est décédé en 1999 d’un cancer du cœur. Mes deux filles étant mineures, un juge des tutelles m’a conseillé de ne pas laisser tomber l’exploitation, au cas où l’une d’entre elles souhaiterait reprendre l’activité. » Ce fut le cas : après son bac et quelques réorientations, la cadette se sent une vocation d’agricultrice, spécialité maraîchage bio et équitation. « Avec le cancer de mon mari, à 45 ans, on s’est posé des questions… Elle ne veut pas toucher aux produits chimiques », dit sa mère.

Un dernier diplôme à remporter et Elodie Vilain sera fin prête pour s’implanter, dès cet été, sur l’exploitation paternelle, avec un projet de ferme pédagogique et de vente directe de fruits et légumes bio sous le bras. Elle a déjà racheté le hangar contenant charrue, herse, semeuse et autres matériels onéreux. Mais voilà, « arrive sur ça le projet du Grand Paris », lâche Nadine Vilain. Et la possible amputation de plus de deux tiers des terres de l’exploitation. « Ça remet complètement en question mon installation », s’inquiète Elodie.

 

Au loin, le hangar d'Elodie Vilain, derrière des champs destinés à passer sous les constructions du cluster.


UN AVENIR EN SUSPENS

Une dizaine d’agriculteurs exploitent les terres du plateau de Saclay. Comme Elodie Vilain, cinq exploitations au total doivent êtretouchées par le projet de cluster, selon l’association Terre et Cité. Deux, selon l’Etablissement public Paris-Saclay (EPPS) pilotant ce vaste chantier – qui doit voir sortir de terre un campus universitaire, des écoles et entreprises du secteur scientifique et technologique, des milliers de logements et un métro.

Il y a Emmanuel Laureau et sa ferme de la Martinière, construite au XIXe siècle et exploitée par sa famille depuis plusieurs générations, qui pourrait perdre près d’un tiers de ses 220 hectares - ce qui menacerait, selon l’agriculteur, la viabilité et l’avenir de son exploitation. Il y a Emmanuel Vandame, dont un champ doit être traversé par le futur métro aérien et dont une partie des terres est menacée par le transfert d’un golf. D’après Dorian Spaak, de l’association Terre et Cité, il y a aussi la famille Trubuil, et les terres expérimentales de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique).

Pour Antoine du Souich, directeur développement durable à l’EPPS, tout va rentrer dans l’ordre, notamment en redistribuant les terres des agriculteurs qui partent à la retraite sans repreneurs. « Les voyants sont au vert », assure-t-il. Dans le cas d’Elodie Vilain, en cas d’échec d’un accord à l’amiable, « l’EPPS pourrait acquérir ces terrains par voie d’expropriation », annonce le fonctionnaire. Tout en s’engageant à trouver une solution pour permettre son installation, et plus généralement, « à encourager les échanges entre la ville et l’agriculture« .

Mais ce qui pèse le plus sur les agriculteurs franciliens, c’est le manque de visibilité, et donc de confiance, concernant l’avenir de leurs terres, sans cesse menacées par l’avancée de l’urbanisation. « Il y a trois ans, j’ai acheté une moissonneuse-batteuse. Puis j’ai perdu 30 hectares. Ça va donc être plus long de rentabiliser l’engin… Comment investir correctement si on n’a pas de vision claire, à long terme, de notre entreprise ? » interroge Emmanuel Vandamme. « S’ils veulent prendre ces champs, qu’ils les prennent, mais pas à petit feu comme ça ! » proteste-t-il.

UN ÎLOT AGRICOLE SANCTUARISÉ

« Chez les agriculteurs du plateau, l’idée plane que la disparition totale des terres est déjà programmée », note Bernard Saugier, ex-président de l’Académie de l’agriculture et membre de Terre et Cité. Selon un rapport de l’EPPS (document PDF), 977 hectares de terres agricoles, soit un quart des surfaces cultivées du plateau, ont été perdues depuis 1982. Une urbanisation en mitage, sans vision d’ensemble, au coup par coup.

Pourtant, les terres du plateau de Saclay sont considérées comme les plus fertiles de France et parmi les plus fertiles d’Europe. Les rendements de blé moyens oscillent entre 85 et 90 quintaux par hectare sur le plateau, pour 74 qx/ha en France et 56 qx/ha en Europe. « On fait pousser de l’orge d’hiver, du blé, parfois du maïs et du colza… Tout cela sans jamais irriguer », assure Nadine Vilain. « Ce sont des terres limoneuses, avec en souterrain une épaisse couche d’argile qui retient l’eau, explique Dorian Spaak. Historiquement, le plateau était un marécage, avant d’être drainé par Louis XIV pour alimenter le jardin du château de Versailles. C’est grâce à ces conditions naturelles et à cette intervention humaine qu’il est devenu un territoire agricole très fertile. » Aujourd’hui encore, rigoles et étangs forment le système vasculaire du plateau.

La majeure partie de ces terres agricoles sont toutefois sanctuarisées par la loi relative au Grand Paris de juin 2010 : 2 300 hectares sont inscrits dans une zone de protection « intouchable », pour 340 hectares destinés à être aménagés. « Ce sont des années de mobilisation pour en arriver à cette carte », note Jean-Francis Rimbert, élu local Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et vice-président de la communauté d’agglomération du plateau de Saclay (CAPS). Au-delà de ce compromis, les points de friction portent désormais sur le tracé précis de cette zone – qui sera déterminé par décret, après enquête publique, d’ici à l’automne prochain, selon l’EPPS.

 

Projet de zone de protection naturelle, agricole et forestière, au 7 décembre 2011. En vert clair, les zones agricoles, en vert foncé les zones naturelles.

« RURBAINS » ET AGRICULTURE PÉRIURBAINE

Derrière la question du nombre d’hectares à conserver, se pose aussi celle du type d’agriculture le mieux adapté à cette situation périurbaine, en pleine région parisienne. Pour l’instant, la cohabitation entre exploitants et citadins n’est pas toujours aisée : champs piétinés, pris pour des terrains de quad ou une décharge, routes inadaptées aux engins agricoles et, côté habitants, nuisances, quand il faut moissonner de nuit par exemple. « Les gens veulent la campagne, mais pas ses inconvénients », sourit Emmanuel Laureau.

L’idée de rapprocher, donc, agriculteurs périurbains et citadins en quête de ruralité est dans tous les esprits. Loin de s’appuyer sur le marché francilien, l’agriculture saclaysienne est encore dominée par de vastes exploitations céréalières dont la production est en partie destinée à l’exportation. Mais les choses bougent. « On a tous fait des efforts pour se repositionner par rapport à la demande », estime Nadine Vilain. Alors que son mari vendait ses fruits et légumes à la sortie de la gare du RER B Lozère, sa fille a aussi prévu de se lancer dans le maraîchage et la vente directe.

Pionnière dans le domaine, la Ferme de Viltain propose de venir cueillir directement ses fruits, légumes et fleurs dans son jardin potager. Charles Monville élève des poulets bio. Une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), les Jardins de Cérès, s’est installée. Et les Jardins de Cocagne, une association qui fait de la réinsertion sociale et professionnelle par le maraîchage, s’installent cet été dans une ferme anciennement tenue par les bonnes sœurs de l’abbaye de Vauhallan.

Quant à