Quid du projet de « Silicon Valley » à la française sur le plateau de Saclay ?

Le Monde 28 mai 2012 – Angela Bolis

Vue aérienne du plateau de Saclay.

Cinq mille hectares, dont 3 100 de terres agricoles, des universités qui concentrent 13 % des effectifs de la recherche française, le tout à moins de 20 kilomètres de Paris… C’est sur le terreau du plateau de Saclay – où cohabitent les vocations agricole et scientifique – que l’Etat a projeté son ambition de « faire émerger un écosystème de l’innovation de rayonnement mondial », selon le projet Schéma de développement territorial de Paris-Saclay (document PDF) adopté le 13 janvier 2012. Un cluster qui rivaliserait avec Oxford ou Cambridge.

« Depuis Louis XIV [qui alimentait les jardins du château de Versailles avec l'eau du plateau], l’Etat considère le plateau de Saclay comme son domaine royal », sourit Jean-Francis Rimbert, vice-président EELV de la CAPS (communauté d’agglomération du plateau de Saclay). Le chantier - inclus dans le projet de Grand Paris voulu par Nicolas Sarkozy - est en effet piloté par l’Etat, à travers l’Etablissement public Paris-Saclay (EPPS), et la déclaration de la zone en OIN (Opération d’intérêt national) en 2009.

Mais, avec le changement de gouvernement, la ligne du projet pourrait être revue : après Christian Blanc et Maurice Leroy, c’est désormais Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement et (bientôt) ex-secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), qui est en charge du dossier. Proposera-t-elle une autre vision de l’aménagement de ce territoire francilien ? Sur place, en tout cas, les élus EELV ont multiplié les réserves envers le projet. Inventaire des points de friction.

  • Le cluster

 

 

 

Emplacements prévus au sein du quartier Polytechnique - Campus Paris-Saclay.

 


 

« Ce sera la première université de France« , annonce Pierre Veltz, président de l’EPPS. Prévue pour 2014, elle doit rassembler plus de 12 000 chercheurs et 30 000 étudiants. Y seraient incluses les deux universités d’Orsay et de Versailles, mais aussi des grandes écoles et des entreprises de haute technologie. Le terrain est loin d’être vierge : s’y trouvent déjà le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), un centre de recherche Danone, Thales, ou encore Polytechnique, Supélec…

Mais, selon Pierre Veltz, « ça manque de synergie ». Vingt-trois établissements sont partenaires du projet : entre autres, AgroParisTech, HEC, l’Ecole des Mines, l’ENS Cachan ou encore le CNRS, l’INRA, et Central ou l’entreprise Horiba, dont les bâtiments sortent déjà de terre. Cette « zone campus », au sud du plateau, générerait 20 000 emplois sur quinze ans, selon l’EPPS.

Ce cluster, au cœur du projet d’aménagement du plateau, est loin de faire l’unanimité. Du côté de l’association Terre et Cité – dont le président, Thomas Joly, parle de « supermarché scientifique » -, comme chez les élus locaux du parti de Cécile Duflot, on critique un projet « en retard sur son temps ». Pour Marie-Pierre Digard, vice-présidente de la CAPS et candidate EELV aux législatives, nul besoin d’une proximité géographique pour améliorer la production scientifique. « En fait, c’est une opération immobilière, pour des établissements qui se situent au centre de Paris, comme AgroParisTech, et qui déménagent sur les terres agricoles du plateau », dénonce-t-elle.

 

 

En vert, les zones agricoles ; en vert foncé, les zones naturelles et forestières ; en rouge, le tracé prévu du futur métro Grand Paris Express.

 

 

Face à un territoire « en déficit de transports publics », où priment les déplacements en voiture, l’EPPS défend l’installation d’un métro qui traverserait le plateau, de Versailles à Orly en passant par Palaiseau. Un schéma d’ensemble du Grand Paris Express a été décrété en août dernier tandis que la mise en service des premiers tronçons est prévue pour 2018.

Le projet cristallise les oppositions, tout d’abord sur la question d’un métro aérien - préféré par l’EPPS - ou enterré. Les habitants craignent des nuisances et de voir le paysage champêtre du plateau défiguré. Quant aux agriculteurs, ils ne voient pas d’un bon œil des pylônes plantés dans leurs champs.

Les élus locaux EELV vont plus loin, remettant en question la pertinence même d’installer un métro « au milieu des champs« , avec le risque que cette ligne induise davantage d’urbanisation que prévu. Pour Jean-Francis Rimbert, il faut d’abord renforcer les réseaux de bus en site propre et privilégier un mode de transport plus léger, au lieu de « sortir 2,5 milliards d’euros pour une ligne qui sera la moins fréquentée d’Ile-de-France, avec 5 000 voyageurs par heure prévus ».

  • L’aménagement

« Il faut rompre avec un modèle d’aménagement très extensif, des écoles sur des grands domaines, des golfs, des lotissements dévoreurs d’espace… Le mot-clé, c’est la compacité », annonce Pierre Veltz. Ecoles, entreprises et transport vont en tout cas de pair avec la constructions de logements. L’EPPS en prévoit autour de 16 000 sur la zone campus, dont plus de la moitié prévus pour les étudiants. Et imagine des quartiers « mixtes », avec habitants permanents et commerces, disposés au sein même du campus, en petits pôles urbains d’environ 2 000 habitants.

Alors que d’aucuns craignent l’urbanisation du plateau et la perte de son identité rurale, le président de l’EPPS laisse entendre qu’à l’avenir « un peu plus encore de logements, ce ne serait pas plus mal« , avançant le déficit et les prix des logements en Ile-de-France. Du côté d’EELV en tout cas, on a voté une motion (PDF) de la CAPS en mai 2011, retenant l’objectif de 3 000 logements familiaux sur la frange sud et de 3 000 logements étudiants.

  • Les terres agricoles

« Sur le fond, on se serait bien passés d’un vaste programme d’aménagement du territoire qui ampute des terres agricoles qui sont les meilleures de France », tranche Thomas Joly, président de l’association Terre et Cité.

L’urbanisation du plateau de Saclay se fait en effet au détriment de terres agricoles, dont 2 300 hectares sont toutefois sanctuarisés par la loi.