Ma proposition de loi

PROPOSITION DE LOI RELATIVE À LA PROTECTION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS FACE AUX EFFETS DE LA PUBLICITÉ TÉLÉVISUELLE,

 

 

Présentée par M. Jacques MULLER, Mmes Marie-Christine BLANDIN, Alima BOUMEDIENE-THIERY, Dominique VOYNET et M. Jean DESESSARD, Sénateurs

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La télévision est un phénomène social de première ampleur. Elle est entrée dans l’intimité de la quasi-totalité des foyers de notre pays : 98,5 % d’entre eux possèdent au moins un poste téléviseur. Il en résulte que nos concitoyens passent un nombre d’heures considérable devant leur écran de télévision, au premier rang desquels se distinguent les enfants et les adolescents.

En effet la consommation matinale des enfants de 4 à 14 ans (entre 7 et 9 heures) est plus importante que celle des adultes : 35 % des enfants regardent la télévision tous les jours avant de partir à l’école. Il en est de même pour la consommation de télévision durant l’après-midi et la soirée : 60 % des enfants la regardent tous les jours en rentrant de l’école, déjà aux environs de 16 heures, alors que les adultes ne s’installent en général devant l’écran qu’entre 18 h et 18 h 30.

Dès lors se pose la question de ce qu’enfants et adolescents regardent à la télévision. Selon l’institut de sondage Médiamétrie, les 4-10 ans sont exposés à la publicité en moyenne durant 10,8 % du temps passé quotidiennement devant leur écran de télévision, pourcentage sensiblement plus élevé que celui des adultes.

Dès lors est-il normal voire acceptable que les enfants et adolescents, qui sont des êtres dépendants et en pleine construction psychologique, soient davantage soumis à la publicité que les adultes ?

De même, le but de la publicité étant de pousser à acheter des produits, c’est-à-dire concrètement à réaliser des contrats d’achat de biens ou services, est-il normal que les enfants qui sont incapables d’un point de vue juridique soient davantage soumis à la publicité  que les adultes ?

Cette question est d’une importance cruciale, d’autant plus que les publicitaires font des enfants leur coeur de cible. En effet, comme il l’était judicieusement affirmé dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, qui instaurait entre autres la fin de la publicité sur les chaînes de télévisions du service public, « la publicité clive, elle impose de raisonner en termes de cibles, de segments. »

À cet égard, tous les spécialistes de la communication publicitaire, qu’ils en soient des opérateurs directs ou des observateurs avisés, s’accordent sur un point précis, que l’on doit considérer comme central : l’enfant est devenu un véritable pilier des stratégies de marketing. En effet, il est désormais appréhendé par les opérateurs publicitaires comme un prescripteur essentiel des achats dans la plupart des compartiments de la consommation familiale.

À titre d’exemple, selon une étude approfondie publiée par une des nombreuses associations de consommateurs dans notre pays, 71 % des parents pensent que leur enfant est influencé par les publicités dans ses préférences alimentaires, 32 % indiquent que leur enfant réclame souvent ou très souvent des produits vus à la télévision… et 40 % estiment qu’il est devenu très difficile de résister à ces demandes, au regard de la pression sociale.

Au-delà du respect dû à l’enfant en tant que personne, de surcroît exposée et fragile, son utilisation massive et systématique à des fins publicitaires, et plus particulièrement au travers du petit écran dont la capacité de séduction transcende tous les autres média, n’est pas anodine. Bien au contraire, elle a des conséquences graves : en effet les spécialistes estiment qu’elle a une incidence très négative sur l’exercice de l’autorité parentale dont le déficit actuel devenu patent constitue aujourd’hui un vrai problème de société.

Au regard de ces considérations particulièrement préoccupantes, l’utilisation de l’enfant à des fins commerciales doit cesser.

Par ailleurs cette pression publicitaire a des effets sur la santé physique des enfants, au premier rang duquel se trouve l’obésité.

Même s’il est reconnu que cette maladie résulte de causes multifactorielles, la Fédération Française des Consommateurs constate un lien direct entre l’obésité et les publicités ciblant les enfants. Ainsi, selon une analyse réalisée sur un panel de 1 039 publicités diffusées pendant des émissions pour enfants, 87 % portaient sur des produits trop riches en graisses, en sucre ou en sel.

L’obésité est une préoccupation d’ampleur nationale, européenne et internationale. La France et d’autres pays européens ont ainsi signé la Charte européenne sur la lutte contre l’obésité du 16 novembre 2006. Cette charte stipule « que l’impact sur les objectifs de santé publique devrait être une considération prioritaire lors de l’élaboration des politiques économiques «, « que les mesures doivent s’articuler autour du principal domaine d’activité concerné, par exemple la production, le marketing et les informations sur les produits… ».

Ce phénomène de santé publique touche particulièrement les plus jeunes. L’organisme des enfants et des adolescents est en pleine croissance et peut rester marqué à vie par les premières habitudes alimentaires. La protection particulière des enfants se justifie d’autant plus que l’obésité acquise dans l’enfance, persiste à l’âge adulte, dans 20 à 50 % des cas lorsqu’elle est acquise avant 5 ans, et dans 40 à 70 % de cas lorsque l’obésité est acquise avant la puberté.

Or, de l’avis de nombreux professionnels (nutritionnistes, pédopsychiatres, sociologues etc.), le régime actuel de la diffusion de publicité de produits alimentaires pose un problème de fond. En témoigne l’évolution de la proportion dans la population de personnes atteintes d’obésité dans notre pays : en dépit des campagnes d’information et de sensibilisation qui ont été menées jusqu’à présent, elle ne fléchit toujours pas et continue de faire des ravages au sein des populations défavorisées.

Au regard de l’impératif de santé publique, il faut agir.

Enfin les publicités télévisées véhiculent de nombreux stéréotypes portant notamment sur les origines sociales et ethniques, les différences de genre, le clivage des rôles sociaux selon le sexe, etc. Parmi ces stéréotypes largement diffusés, l’un des pires est celui qui tend à réifier la représentation du corps de la femme. Ainsi, de l’avis de très nombreux experts et de la majeure partie des associations féministes ainsi que de certaines associations luttant contre le racisme et les discriminations, le régime actuel de contrôle a priori de la publicité à la télévision n’apporte pas les garanties nécessaires pour empêcher ces dérives dont l’impact sociétal est particulièrement préoccupant, notamment en termes de violences au quotidien.

À cette étape du constat, une réalité s’impose : les enfants et les adolescents confrontés à la publicité à la télévision sont en situation de danger, face à laquelle la législation actuelle présente de graves carences : incontestablement, l’autorégulation mise en oeuvre par les annonceurs ne fonctionne pas. Par conséquent, il revient au législateur de renforcer considérablement le régime de protection des enfants et adolescents face aux effets de la publicité télévisuelle.

Au-delà des ses effets sanitaires préoccupants en termes de santé publique, il s’agit véritablement d’un problème de société, qui exige une réponse forte. En effet, la télévision est entrée dans tous les foyers et elle y restera durablement. Et cette présence pérenne se combine avec l’évolution technologique multimédia consistant en un double phénomène d’éclatement et de convergence des écrans : les foyers voient à la fois le nombre d’écrans se multiplier (écran téléviseur, ordinateurs fixes et portables, tablettes informatiques, téléphones cellulaires « intelligents », etc.) - qui offrent aux annonceurs la capacité de diffuser toujours plus de publicité via la télévision, internet et la téléphonie mobile – et chacun de ces écrans dispose de la capacité de diffuser l’ensemble de ces contenus.

Face à ces défis sanitaires, technologiques, sociétaux, il n’est pas concevable de rester inactif. Les initiateurs de la présente proposition de loi proposent de se référer aux pays où des dispositions législatives innovantes et protectrices ont été adoptées et mises en oeuvre avec succès. Parmi ceux-ci, figurent au premier rang le Québec, l’Espagne et la Suède.

La présente proposition de loi s’articuleautour de quatre axes :

- la sanctuarisation des programmes pour enfants et adolescents et la maîtrise des contenus publicitaires (Titre I) ;

- le renforcement du contrôle et des sanctions (Titre II) ;

- l’éducation et la sensibilisation des enfants et adolescents (Titre III) ;

- la défense de la production de l’animation audiovisuelle en France (Titre IV).

L’axe principal de la présente proposition de loi consiste à sanctuariser les programmes pour enfants et adolescents (Chapitre I). Ces programmes ont pour but de contribuer au divertissement, à l’éducation et donc au développement culturel, intellectuel, psychologique et citoyen des enfants et adolescents. L’article 1er dispose ainsi que ces programmes doivent être libres de toute incursion commerciale et donc exempts de toute publicité. Cette absence de publicité s’étend également aux sites Internet des programmes et des chaînes concernés et à tout support multimédia. Ces dispositions entreront en vigueur à compter du 1er de l’année qui suivra la promulgation de cette loi.

S’inspirant d’un avis du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, l’article 2 donne une définition législative de ce qu’est un programme destiné aux enfants et adolescents.

Compte tenu du fait que les enfants et adolescents ne se contentent pas de regarder la télévision durant les programmes qui leurs sont dédiés, il est dès lors indispensable de renforcer leur protection au-delà de ces espaces. Le chapitre II propose donc une série de mesures tendant à limiter en général l’influence des contenus publicitaires sur les enfants et adolescents.

La première d’entre elles consiste à interdire que tous les messages publicitaires diffusés par les services de télévision, quelle que soit l’heure de leur diffusion, soient conçus de manière à attirer spécifiquement l’attention des enfants de moins de douze ans (article 3). L’âge retenu s’inspire à la fois des modèles de signalétique actuellement utilisés par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, des réflexions de psychologues et de pédopsychiatres portant sur l’âge auquel un enfant dispose de la capacité de déceler les pratiques publicitaires et de s’en détacher, ainsi que des législations de la Suède et du Canada.

S’inspirant des pratiques des annonceurs mises en oeuvre par certains professionnels, l’article 4 précise le régime de cette limitation. En effet en dépit des règles posées en la matière, les limites de l’auto-régulation sont manifestes, elles se révèlent insuffisamment contraignantes et souffrent d’une application insuffisamment stricte.

Les articles 5, 6 et 7 concernent directement les messages publicitaires à caractère alimentaire.

Face aux conséquences sanitaires dues à la consommation de certains aliments et boissons et face à l’ampleur de la puissance financière des groupes agro-alimentaires aux budgets publicitaires colossaux, l’article 5 renforce les dispositions de l’article L. 2133-1 du code de santé publique en incluant pour les messages publicitaires en faveur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou de produits alimentaires manufacturés l’obligation de faire mentionner une information indiquant que la consommation régulière de ces produits peut être dangereuse pour la santé. De plus, la contribution financière prévue pour les annonceurs et promoteurs qui dérogeraient à cette obligation est doublée. Ce doublement a également pour but de renforcer les moyens budgétaires de l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES), en charge du suivi de campagnes télévisées sur l’équilibre alimentaire et qui manque aujourd’hui des moyens financiers nécessaires à la conduite d’actions efficaces.

L’article 6 instaure un régime consistant à conditionner la diffusion des messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés portant sur des boissons et des produits alimentaires manufacturés pendant les plages horaires dites de « prime time » au respect de profils nutritionnels définis par décret, pris après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation. Ce contrôle basé sur des considérations strictement scientifiques est nécessaire : au regard des enjeux sociétaux en termes de santé publique, la seule sanctuarisation par rapport à la publicité des émissions télévisées spécifiquement destinées aux enfants ne suffit pas. En effet les enfants regardent d’autres émissions, notamment lors des horaires dits de « prime time », en général avec leurs parents. Mais les spécialistes soulignent que cette présence parentale ne permet pas d’empêcher l’imprégnation des enfants par les images publicitaires qui y sont diffusées.

L’article 7 propose de compléter le code de la consommation, en vue d’interdire spécifiquement les publicités commerciales qui présentent certaines caractéristiques des produits alimentaires de façon à leur attribuer des avantages et propriétés nutritionnelles sans rapport avec l’incidence sanitaire réelle selon le mode de consommation généralement pratiquée.

Le titre II concerne le renforcement des interdictions légales. Les articles 8 et 9 visent à inscrire dans la loi d’une part, l’interdiction du placement de produits dans les programmes des services de communication audiovisuelle destinés aux enfants et aux adolescents, d’autre part, l’interdiction de la publicité clandestine.

Le titre III comporte l’article 10 qui conditionne à la validation par le Programme National Nutrition Santé (PNNS) la diffusion de toutes les émissions développées par les professionnels, ainsi que l’article 11 qui propose de mettre en oeuvre un programme pédagogique de lecture de l’image et des médias à la destination des élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées.

Enfin, la dernière partie de la présente proposition de loi, comporte un titre IV qui concerne la défense de la production d’animation en France, principaux programmes diffusés à l’attention des enfants. En 2009, les chaînes « historiques » (TF1, France 2, France 3, Canal+, France 5 et M6) diffusent 4 231 heures de programmes d’animation (y compris 194 heures de films d’animation). L’offre d’animation progresse, de 8,4 % en 2009. Il est nécessaire non seulement de préserver le secteur de l’animation en France, dont la qualité est reconnue y compris au plan international, mais de favoriser son développement, via son financement. À cet effet, une partie du dispositif de l’ancienne taxe dite COSIP est modifiée, les annonceurs de messages publicitaires télévisés en deviennent redevables (articles 12, 13 et 14).