Sophie Bringuy, vice présidente au Conseil régional, en charge de l’environnement, apporte un éclairage sur ce mille-feuille juridique et souligne la nécessité de faire évoluer le droit de la mer français et international pour une meilleure mise en œuvre des principes de prévention, de responsabilité et pollueur-payeur. Elle prône également la mise en place d’un régime juridique reconnu et équilibré pour une réelle prise en compte du préjudice écologique.
Rappelez-vous, c’était en juillet 2009 : l’État s’était engagé lors du Grenelle de la mer à promouvoir de nouvelles règles pour le FIPOL* pour une meilleure réparation des préjudices subis. Un engagement très attendu, dix ans après le naufrage de l’Erika. Mais cette priorité n’a à ce jour pas été concrétisée. En revanche, l’État n’est pas resté inactif : des réunions ont été organisées avec la compagnie pétrolière Total pour encourager les victimes à accepter une transaction avec l’affréteur du navire pollueur. L’Etat a été nettement plus énergique pour faire aboutir ce protocole d’accord que pour remettre à plat le droit de la mer. Certes, cette transaction amiable était une bonne solution à l’époque pour les victimes de la pollution mais cela nous montre aussi, qu’encore une fois, la vision à court terme – régler cette affaire – a pris le pas sur une réflexion plus profonde sur le droit maritime. Le problème étant qu’aujourd’hui, au niveau du droit, rien n’a sérieusement évolué dans ce domaine.
Et cette inertie est scandaleuse. Depuis 10 ans, a minima depuis 2009, les autorités compétentes auraient dû ouvrir le chantier nécessaire de rénovation du droit maritime français et international. C’est en ce sens que l’on peut parler d’une forme de connivence entre différents acteurs, et qui maintient un système défaillant en place.
En matière de pollution, le plus important est la prévention, c’est-à-dire prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage environnemental. Le pendant du principe de prévention est la responsabilisation de toute la chaîne du transport maritime, pour que ses acteurs ne puissent pas échapper au principe pollueur-payeur.
Le dossier de l’Erika : quand la complexité juridique vient entraver une décision juste
Le problème c’est que nous nous retrouvons face à des textes complexes, voire contradictoires : un mille-feuille de conventions internationales et de dispositions françaises, mal articulées, et qui fragilise grandement le système. Aujourd’hui, l’Avocat général estime que le texte français en vigueur à l’époque des faits ne serait ni applicable en zone économique exclusive (l’espace maritime où a eu lieu le rejet), ni conforme à la Convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer. Par conséquent, il ne pourrait être utilisé comme fondement aux poursuites. Sans fondement, pas de condamnation pénale possible.
Dans les semaines qui viennent, la Cour de cassation aura donc le choix entre faire pencher la balance du côté des pollueurs, et briser des années de combat juridique, ou bien être innovante et poser un acte symbolique fort.
Dans les faits, si la Cour de cassation devait privilégier une interprétation restrictive de la convention de Montego Bay et en déduire que les juridictions françaises sont incompétentes, l’affaire de l’Erika serait renvoyée aux juridictions maltaises, au risque de voir les responsabilités fortement diluées (…) Ceci ne peut que contribuer à nourrir le système actuel : navires vétustes, déballastage en mer pour éviter les frais occasionnés pour ce faire dans les ports, etc.
Une affaire qui révèle douloureusement la faiblesse du droit de la mer actuel
Dans ses conclusions, l’Avocat général ne se contente pas de démonter le droit applicable à l’époque du naufrage de l’Erika, il souligne à diverses reprises la faiblesse du droit actuellement en vigueur.
Nous sommes donc encore aujourd’hui dans un contexte de forte insécurité juridique. Quelle que soit l’issue de l’affaire Erika, et pour éviter à l’avenir de se retrouver dans des situations similaires, il importe de mettre à plat le droit de la mer et d’ouvrir un chantier conséquent pour s’assurer d’une mise en œuvre effective des mesures de prévention tant en matière de sécurité que de prévention. Ce travail devra aussi clarifier le champ des compétences, la chaîne des responsabilités, et permettre une préservation efficace des milieux marins. Ce serait aussi l’occasion de clarifier les régimes d’exploitation off-shore…
Le préjudice écologique sur la sellette
Autre point important du dossier : la reconnaissance du préjudice écologique** . La déception sur ce point est à la hauteur de l’enthousiasme soulevé lors de la première décision dans cette affaire. Pourtant, le Tribunal correctionnel de Paris n’a fait que mentionner ce préjudice, ce qui était déjà remarquable, sans le mettre en œuvre. Quant à la Cour d’appel, elle est allée beaucoup plus loin avec une mise en œuvre ostensible du préjudice écologique. Et aujourd’hui, on viendrait remettre en cause cette avancée ?
Un constat : sur ce volet, tant le droit écrit français que le droit écrit international sont insuffisants. (…) Rien que le fait que deux juridictions aient mentionné le préjudice écologique a été un séisme en droit français. La Cour de cassation pourrait jouer d’audace et surfer sur cette vague, ne serait-ce que pour bousculer le législateur. Mais cette décision resterait très fragile au regard du droit international. (…) La mise en place d’un régime clair en la matière, à l’appui d’une gouvernance transparente et partagée est nécessaire quelle que soit l’issue du dossier.
Plus que jamais, nous devons nous mobiliser pour que le nouveau Gouvernement rouvre le chantier du droit de la mer, et plus largement celui de la responsabilité environnementale, avec une vraie reconnaissance du préjudice écologique. Les sénateurs et sénatrices écologistes ont d’ores et déjà interpellé le Gouvernement précédent à ce sujet. Affaire à suivre de près.
*Fonds internationaux d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures
**Préjudice écologique : « Toute atteinte non négligeable à l’environnement naturel (…) sans répercussions sur un intérêt humain particulier, mais qui affecte un intérêt collectif légitime ». Définition de la Cour d’appel de Paris, arrêt du 30/03/10.
Texte complet de Sophie Bringuy sur le site des élus EELV du Conseil régional : ici