Nauru. Nauru est une île du Pacifique de 21km2. Découverte par les anglais en 1798, qui l’appellent « pleasent Island ». A la fin du XIXème siècle, on y trouve du phosphate, exploité par les australiens, les britanniques et les allemands. Les Nauruans touchent, pour chaque tonne extraite, 0,1 cent. En 1945, seulement 2% des revenus du phosphates leur reviennent. Cette situation change avec l’indépendance en 1968, l’exploitation du phosphate est nationalisée, c’est alors le début d’une prospérité sans précédent pour les 4000 habitants de l’île, qui devient dans les années 70 l’un des Etats les plus riche du monde. Les Nauruans accèdent à un niveau de vie très élevé : santé, éducation, automobile, télévision… A partir des années 80, l’extraction du phosphate décline, les dettes s’accumulent. Au début des années 2000, le pays est au bord de la ruine.
Sommes-nous 6 milliards de Nauruans ? Pas exactement, car si la planète montre aujourd’hui ses limites physiques, nous ne sommes qu’une petite minorité d’humains à pouvoir bénéficier d’un très bon niveau de vie matériel. On sait aujourd’hui, si l’on accepte d’être lucide, que cette abondance ici est fondée sur l’exploitation des ressources et des hommes quelque part à l’autre bout de cette planète. J’ai parlé de Nauru, j’aurai pu cité le delta du Niger, qui fournit 10 % du pétrole consommé en France, où chaque année se répand l’équivalent de la marée noire de l’Exxon Valdes, j’aurai pu citer également les sweatshop d’Indonésie qui fournissent de grandes marques de textile, la misère des petits paysans du Brésil, chassés par l’extension des grandes exploitations de soja destiné à l’exportation, ou celle des riziculteurs de Madagascar, ruinés par le dumping pratiqué par les Européens.
Si je choisi cet angle mondial, c’est parce que j’ai beaucoup vu, lu, et entendu pendant cette campagne, un discours « national », d’ailleurs souvent teinté d’écologie, qui plaide la relocalisation contre les étrangers, contre l’Europe, contre « la finance internationale » ou contre tout à la fois. Bien entendu, je ne pense pas que l’union européenne actuelle soit un modèle abouti de démocratie, je ne pense pas non plus que le système économique libéral mondial soit une réussite pour l’épanouissement de tous. Mais, pour paraphraser Jacques Chirac et sa maison qui brûle, je pense que ces discours font aussi partie du détournement de regard. Que ce soit les immigrés, les grecs, les technocrates, les riches, la désignation comme cible privilégiée de catégories de la population plutôt peu nombreuses, facilement identifiables, permet surtout de faire porter à d’autres que nous une responsabilité collective. Ce n’est pas la faute des « technocrates de Bruxelles » si l’eau de nos rivières est polluée, si les maladies environnementales touchent de plein fouet nos agriculteurs, c’est bien la faute du modèle agricole productiviste français. Ce n’est pas la faute des grecs ou des immigrés si notre pays est touché par le chômage ou la précarité, mais bien celle de politiques menées visant d’abord à déréguler le marché du travail au nom de la compétitivité. Et ce n’est pas uniquement la faute des plus riches, même si leur impact sur la planète est largement plus important que celle d’un français moyen, si les politiques d’aménagement du territoire ont sacrifié des transports collectifs de proximité au profit de projets autoroutiers, de lignes à grande vitesse, ou d’aéroports pour compagnie low cost. L’exemple de Nauru nous montre bien que l’enjeu de la survie d’un pays ne dépend pas de ses frontières ou d’une plus juste répartition des richesses entre ses habitants. L’enjeu n’est pas de tous devenir plus riches, qu’ont fait de leur richesse les Nauruans ? Que faisons-nous de la notre ?
Oui, il faut supprimer le secret bancaire, il faut relocaliser l’économie, il faut créer des taxes qui favorisent les produits de qualité fabriqués dans de bonnes conditions et pénalisent les plus polluants, il faut partager le travail. Mais il faut aussi remettre profondément en question nos modes de vie, pour vivre mieux. « Vivre simplement pour que simplement d’autres puissent vivre ».
La simplicité n’est pas seulement un modèle pour transformer nos modes de consommation, c’est aussi un outil pour faire de la politique. J’ai été marqué par deux héros littéraires : l’Idiot de Dostoïevsky et Don Quichotte de Cervantès. Dans les deux cas, les personnages centraux, considérés comme « idiot » par le reste de la société qu’ils côtoient, on cette extraordinaire capacité à dire simplement les choses, à ne pas calculer, puisqu’ils en sont incapables, ce qu’ils expriment. Depuis que j’ai commencé, je défend empiriquement l’idée de naïveté en politique : poser des questions simples, croire en la décision collective… et puis j’ai lu l’an dernier un discours de P. Meirieu. La lecture de son discours de jeune sexagénaire en politique a été très motivante pour un vieux politicien de 35 ans comme moi. Il utilisait, pour parler des écologistes démocrates et turbulents, l’expression de « militants obstinés de la modestie ». Je crois qu’il a raison. L’identité de « candide » en politique est précieuse : parce qu’elle est inattendue par les professionnels du genre, elle permet une parole plus libre, mais surtout, en démythifiant le discours, en rendant l’orateur humain sans démagogie, elle facilite la participation de non spécialistes.
La naïveté en politique demande des pratiques et une éthique assez rigoureuse, mais plus on s’y attache, plus on en est convaincu, et moins les pratiques habituelles semblent acceptables. La politique est une chose trop sérieuse pour la laisser à des politiciens professionnels. Il faut que vous fassiez de la politique. Il faut que vous posiez des questions à vos élus, il faut leur demander de donner à tous les moyens de comprendre et de choisir. Quelque soit votre chapelle, il faut que nous soyons plus nombreux à faire de la politique.
Pour finir, je voudrais revenir à Nauru. Dans les années 90, la question qui se pose est : comment sauver le pays ? Nauru devient l’un des dix premiers paradis fiscaux de la planète. Puis, changement de stratégie, Nauru sort de la liste noire des paradis fiscaux : l’Australie paie chaque année pour les centres de rétentions pour clandestins qu’elle a installé sur l’île entre 2001 et 2007. Nauru est devenu membre de l’ONU, membre de la commission baleinière internationale, il a soutenu la fin du moratoire sur la chasse à la baleine. Nauru est soutenu financièrement par le Japon. Nauru a reconnu l’Ossétie du Sud, Nauru est également soutenu financièrement par la Russie. Aujourd’hui le pays connaît un taux de chômage de 90 %, les pistes de développement privilégiées par l’Etat Nauruan sont notamment l’accord de licences à des puissances étrangères pour l’exploitation de ses ressources halieutiques, et la relance de l’exploitation minière de phosphate.
La fuite en avant. Seule solution si l’on refuse de remettre en cause nos modes de vie.