Deux spécialistes de l’habitat à Strasbourg, font l’état des lieux des économies d’énergie dans nos immeubles. Selon eux, on peut mieux faire. Dans l’intérêt de tous.
Dans le cadre de notre campagne des législatives, j’ai voulu aborder les grandes questions qui se posent à notre société aujourd’hui, sous un angle concret. C’est selon moi, la meilleure façon de démontrer que les propositions écologistes sont non seulement réalistes, mais qu’elles constituent l’alternative la plus judicieuse pour sortir de la crise.
Notre première réunion publique s’est déroulée, le 16 mai, à l’Esplanade. Derya Topal et moi avons voulu entrer dans le vif du sujet pour voir comment, au niveau de nos logements, on pouvait agir à la fois pour limiter notre consommation énergétique et améliorer notre vie de tous les jours.
Nous avons invité deux spécialistes de l’habitat qui ont accepté à titre privé, de décoder pour nous un certain nombre de questions énergétiques. Camille Bouchon, est un thermicien, spécialiste des installations de chauffage, de production d’énergie et de climatisation. Expert pour tout ce qui relève du thermique dans l’habitat, il est intervenu en Allemagne sur le fameux éco quartier Vauban à Fribourg et travaille à présent à Strasbourg. L’autre, Marcel Wolff, est membre de la Confédération Nationale du Logement, membre de la CGT et siège au Conseil d’Administration de CUS Habitat. Il analyse depuis de longues années l’évolution du parc de logement social.
Tous les deux ont une expérience concrète du bâtiment et de l’habitat et ce qu’ils en disent à est à la fois utile et plein d’enseignements. Ci-dessous, un résumé la teneur de leur propos et de nos échanges.
Charges : chauffage de plus en plus cher
Le bâtiment constitue plus du tiers (43%) de la consommation énergétique de notre pays, une consommation en constante augmentation, malgré les nouvelles normes basse consommation dans l’habitat. Ce qui signifie que pour nous chauffer, nous épuisons nos réserves, et puisons de plus en plus dans nos porte-monnaie.
C’est ce que constate Marcel Wolf au Conseil d’Administration de Cus Habitat: « Depuis 2009, j’étudie attentivement les dépenses de chauffage. Pour un appartement de 80 m2 situé Cité Rotterdam, j’ai calculé que sur 1460€ de charges annuelles, 1160€ sont imputables au chauffage et à la fourniture d’eau chaude. J’ajoute qu’entre 2007 et 2010, ces charges ont augmenté de 35% chez CUS Habitat et de 27% chez 3F, un autre bailleur social. . Il est utile de préciser que les immeubles sont classes au même niveau en performance énergétique et sont branché sur la même chaufferie. Vous imaginez ce que ça représente pour le pouvoir d’achat des locataires? »
Marcel Wolf est de ceux qui, comme nous, considèrent que le bailleurs sociaux doivent montrer l’exemple en lançant de vastes programmes d’économie d’énergie : « sur 40 000 logements sociaux que compte la CUS, 20000 sont gérés par CUS Habitat, et 40% des logements HLM sont au bas de l’échelle du diagnostic de performance énergétique (DPE),. Pour mettre un terme au gaspillage de l’énergie d’une part, et à l’écrasement du pouvoir d’achat des locataires HLM d’autre part, il est urgent de développer une politique volontariste. Pour cela il faut revoir à la hausse les investissements des bailleurs mis à mal par la loi Boutin de 2009 . »
Appliquer des mesures incitatives efficaces
Pour Camille Bouchon, si les bailleurs sociaux doivent jouer un rôle moteur c’est d’abord parce que « il est plus facile de lancer un programme dans un ensemble de logements sociaux détenus par un seul propriétaire que dans une copropriété privée gérée par dix ou vingt propriétaires. » Il nous rappelle à juste titre, que ce n’est pas parce que les gens sont propriétaires de leur appartement, qu’ils sont riches. « Les jeunes peuvent espérer obtenir des prêts auprès de leur banque, mais les retraités sont souvent obligés de puiser dans leurs économies ou, faute de réserves, de vendre leur appartement. » D’expérience, cet expert thermicien sait aussi que plus on vise l’efficacité dans l’isolation d’un appartement ancien, plus le coût est élevé. Et que plus long sera le retour sur investissement.
Pour toutes ces raisons, il pense qu’il faut réviser les mesures incitatives actuelles pour les rendre plus efficaces et plus justes. Par exemple remplacer les crédits d’impôts qui ne concernent que les Français les plus riches par des emprunts à taux zéro sur de longue durée. C’est ce qui se fait en Allemagne où une banque d’Etat finance les travaux de rénovation.
Cela n’a rien de choquant dans la mesure où la transition énergétique est de l’intérêt général.
Tour de passe-passe
Mais Camille Bouchon a surtout attiré notre attention sur l’évolution des normes BBC (Bâtiment Basse Consommation) invisible par les non-spécialistes. »Une régression » estime notre expert. Il rappelle que dans la foulée du Grenelle de l’environnement qui prévoyait une division par quatre de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, ces normes illustraient la forte implication de l’Etat en 2006/2007. »Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. On assiste à une régression, partout. » La raison ? une directive du ministre du Développement Durable, publiée fin 2011 qui a rendu l’obtention du label BBC pour les immeubles neufs moins contraignante. Grâce à une complexe méthode de calcul énoncée dans un document de 1377 pages (!), l’Etat a changé les règles, en augmentant la surface de référence ce qui in fine, diminue le niveau d’isolation des bâtiments et donc la performance kwh/m2. « Ce qui est commercialisé aujourd’hui n’est pas mieux isolé que ce qui l’était il y a trois ans » constate Camille Bouchon » de surcroit, en France, les méthodes de calcul de la performance énergétique sont invérifiables et ne traduisent pas la consommation effective. »
Qui a intérêt à ce tour de passe-passe ? Vraie question que nous, écologistes, devons poser. Marcel Wolf n’y va pas par quatre chemins : « Nous nous heurtons à des lobbies, ceux de l’énergie qui veulent à tout prix nous faire consommer des kW. C’est dans leur intérêt. Et c’est pour cela sans doute que certains d’entre eux n’hésitent pas à entretenir la peur auprès de nos concitoyens avec des discours sur le retour à la bougie!! »
L’immobilier traverse actuellement une sérieuse crise de financement en France. Réduire les normes BBC est une façon de permettre aux promoteurs de limiter le coût de construction du m2 (1200€ H.T. en France contre 1500€ H.T. en Allemagne). Résultats : bon nombre de nouveaux éco quartiers, y compris à Strasbourg, s’alignent désormais sur un moins disant écologique. Conséquence ? « Cette régression qui ne répond pas aux exigences du facteur 4 empêchera une réelle transition énergétique. »
Penser global
Depuis des années, les écologistes tirent la sonnette d’alarme. Nous savons que les ressources de notre planète sont limitées, et que si nous ne changeons pas de modèles, la rupture risque d’être brutale. Voire d’entrainer des violences planétaires.
Il est donc essentiel que EELV ait un groupe influent à l’Assemblée Nationale. Car nous sommes les seuls, vraiment déterminés à tout faire pour que soient mis en Å“uvre, sans plus tarder, les éléments fiables d’une véritable transition énergétique maitrisée. Ce faisant, nous réussirons non seulement à baisser notre consommation, réduire la facture énergétique, mais nous créerons aussi près de 450 000 emplois dans des nouvelles filières porteuses d’avenir.
Eric Schultz