De l’autre côté de la rive de la Méditerranée, 500 000 migrants frappent chaque année aux portes de l’Europe constituée en véritable forteresse : 50% de ces populations a moins de 25 ans proviennent de pays dont le PIB par habitant est quatre fois inférieur à celui des pays européens. Ce différentiel démographique amène les démographes et économistes à qualifier cette situation de complémentarité « d’aubaine démographique » pour les deux rives méditerranéennes (sans doute plus pour la rive Nord !). :
D’après des données Eurostat, en 2005, les migrants en Europe ont envoyé 14 milliards d’euros de transferts de fonds à destination de leurs pays d’origine ce qui constitue l’une des premières sources de devises pour ces pays. Cependant, leur productivité est contestée car près de la moitié de ces fonds passe par des canaux informels et viennent grossir le marché parallèle. « A moins d’une « bancarisation » plus sûre, ces devises constituent davantage un apport dans le développement économique des familles mais pas réellement du pays ». Quoiqu’il en soit, il reste que le transfert de devises des étrangers dans leur pays d’origine est deux fois supérieur au montant de l’aide au développement versé par l’Union Européenne. C’est bien cette donnée qu’il nous faut garder à l’esprit et la nécessité de promouvoir les conditions d’un réel dialogue et des processus de décision multilatéraux sur les migrations, sur le développement des PED sans oublier une réflexion politique pour éviter l’exode des cerveaux venus des Suds et notamment d’Afrique.
La question politique de la « gestion » des flux migratoires analysée au regard de l’évolution démographique européenne pose des problèmes éthiques qui ne sont pas sans effet sur les relations Nord-Sud (maintien de la fuite des cerveaux, gestion d’une immigration sélective et choisie au profit du développement économique de l’Europe…).
Toute politique en matière d’immigration et d’asile doit être fondée sur le respect des droits fondamentaux et de la vie privée et familiale de chacun, conformément aux principes de la convention de Genève de 1951 et de la Convention européenne des droits de l’homme, lesquels ont été largement revisités dans le cadre des lois nationales.
Elle doit nécessairement s’articuler, sans les confondre, à une politique d’aide au développement qui, refusant le pillage des cerveaux dans les pays des Suds, encourage une réelle capacité d’action et d’investissement solidaire et durable. Aujourd’hui, ce risque de confusion est réel et préjudiciable si l’on considère la tentation pour certains états de puiser dans le vivier des pays du sud leur main-d’œuvre qualifiée sans compensation pour les pays d’origine.
En France et en Europe plus globalement, la question migratoire est indissociablement liée au contexte socio-démographique où elle se développe. L’évolution démographique observée dans l’espace de l’Union Européenne place de nombreux pays devant des défis majeurs que sont la dénatalité, le vieillissement démographique, et la baisse de la population active.
Cependant et paradoxalement, les politiques d’immigration restrictives et répressives mises en œuvre en France notamment, contribuent à précariser davantage les migrants et à l’érosion de leurs droits. Tout comme elles s’inscrivent résolument dans une perspective d’immigration sélective et choisie.
Aujourd’hui la législation nationale en matière d’immigration en matière de protection sociale et de regroupement familial se révèle non conforme aux droits de l’Homme (et au respect de nombreuses conventions internationales) et totalement contre-productive pour ce qui concerne l’objectif recherché d’intégration des migrants.
Preuve du cynisme de cette politique, la France, à l’instar de tous les états membres de l’UE, n’a toujours pas ratifié la Convention des Nations Unies sur la protection des travailleurs migrants et des familles (résolution adoptée en 1990), et d’autres encore à l’exemple de la convention n°143 de l’OIT, relative à la protection sociale des travailleurs migrants. Or, nous savons que les droits en matière de regroupement familial et de protection du statut des migrants (intégrant le droit du travail et de protection sociale) sont les conditions préalables au processus d’intégration. De fait, force est de constater que les politiques dites de maîtrise des flux migratoires en France, obnubilée par le contrôle des frontières, s’avèrent aujourd’hui totalement inefficaces en termes d’intégration sociale et de maîtrise du travail illégal. Car rien n’empêchera la circulation des hommes et des femmes qui fuient la guerre et/ou la faim, à la recherche de meilleures conditions de vie ; des mouvements de populations induits par une mondialisation des déplacements et qui perdureront tant que les écarts de richesse et de développement existeront entre les pays du Nord et du Sud. Car rien n’empêchera l’aspiration à la mobilité des populations.
De fait il nous faut :
- proposer et mettre en œuvre une politique d’accueil digne pour les personnes étrangères et reconnaissant une citoyenneté pleine et entière par l’accès à l’égalité des droits (parmi lesquels le droit de vote, le droit à l’éligibilité aux Prud’hommes pour les travailleurs immigrés…) et des devoirs ;
- créer des instruments nouveaux de défense et de protection des migrants face aux exactions, humiliations, discriminations qu’ils subissent; à travers notamment de la ratification par la France de la Convention des Nations-Unies sur « la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur familles » ;
- abroger toutes les lois et différentes circulaires restreignant les conditions d’accès au travail pour les demandeurs d’asile, les conditions de séjour des étudiant(e)s étrangers/ères…
- garantir l’accès à l’Aide Mé dicale d’Etat à tous les étrangers ;
- une approche de la mobilité et surtout des compétences, qui doit s’inscrire dans un cadre de partenariat et être accompagnée de mesures compensatoires ;
- reconnaître les associations de personnes issues de l’immigration et des organisations des sociétés civiles des pays d’émigration comme des partenaires institutionnels dans une perspective de coopération et de co-élaboration des politiques ;
- mettre en œuvre une autre politique d’asile moins gestionnaire et plus respectueuse des droits de l’homme : refonte des dispositifs d’instruction des dossiers, revisiter le pouvoir discrétionnaire des préfets et supprimer la gestion externalisée des procédures d’asile et d’immigration ;
- mettre en œuvre une autre politique du droit au séjour réduite à une politique de quotas qui ne vise pas à hiérarchiser les droits des migrants et à opposer la migration qualifiée de la non qualifiée, mais à garantir la circulation des personnes : retour du principe de la régularisation systématique après 10 ans de présence sur le territoire, régularisation des sans papiers, refuser l’approche sectorielle par catégories de migrants, libération de toutes les personnes emprisonnées pour défaut de papiers et fermeture des centres de rétention ;
- lutter plus efficace contre les filières clandestines et le travail clandestin
Lela Bencharif