Tribune de Denis Baupin publiée le 13 juin 2012
L’Organisation Mondiale de la Santé a confirmé hier que les particules fines émises par les moteurs diesel sont cancérigènes. Depuis des années déjà la dangerosité de ces particules était connue : l’OMS les avait classées jusque-là comme « probablement cancérigènes » et avait estimé le nombre des victimes à 40 000 rien qu’en France. De nombreuses études épidémiologiques avaient évalué la lourde surmortalité liée au diesel. La dernière en date, l’étude Aphekom, estimait la perte de durée de vie des habitants des grandes villes vivant dans un air toxique à 6 mois.
Et pourtant, malgré les nombreux signaux d’alarme, les dirigeants de l’industrie automobile française ont refusé d’agir. Conséquence : la France a aujourd’hui le parc automobile le plus diéselisé du monde. Comme les fabricants de tabac hier, ou ceux de l’amiante, comme les laboratoires Servier, les dirigeants de l’industrie automobile française ont privilégié la rentabilité immédiate à la protection de la santé, alors que dans le même temps, d’autres pays, comme le Japon, interdisait purement et simplement ces véhicules.
On le sait dorénavant, les nombreux artifices inventés par les constructeurs automobiles pour tenter de masquer le problème (filtre à particules, pot catalytique) se sont révélés des emplâtres sur des jambes de bois, voire comme aggravateurs d’autres pollutions tels que les oxydes d’azote. Ils se sont en tous cas révélés incapables d’enrayer la diffusion des particules les plus fines, les plus dangereuses.
On sait aussi aujourd’hui clairement que le développement du diesel en France résulte bien d’une volonté industrielle, elle-même liée à une autre mono industrie française particulièrement dangereuse, celle du nucléaire. C’est parce que le général de Gaulle a lancé le parc nucléaire français que Peugeot notamment a été incité à produire massivement des véhicules destinés à écouler la surproduction de gazole. Conséquences de cette pensée unique : la France a ainsi aggravé les coûts d’importation d’énergies fossiles et donc le déficit de la balance des paiements, et, par ailleurs, en diéselisant le parc automobile à outrance elle rend d’autant plus long et difficile le virage indispensable.
A politique industrielle dépassée doit donc répondre aujourd’hui une politique industrielle d’avenir, permettant à la fois d’assainir l’air que nous respirons, tout en préservant l’appareil économique et industriel et donc les emplois.
Les mesures les plus urgentes concernent évidemment la santé publique avec la réduction des risques lors des pics de pollution dans les zones les plus polluées. Cela implique de réduire la circulation des véhicules les plus polluants (poids lourds, gros véhicules hors normes, etc) tout en apportant une offre alternative de transport collectif bon marché. Cette action menée en urgence lors des pics devra elle-même être progressivement déployée tout au long de l’année. Un accompagnement social en direction des ménages les plus vulnérables, destiné à accompagner la transition est indispensable (gratuité des transports collectifs pour ceux qui abandonnent un vieux véhicule, etc.)
Cette priorité doit être accompagnée d’un effort pédagogique maximal en direction des consommateurs. Pendant des années, nos concitoyens ont été biberonnés d’un discours anesthésiant selon lequel le diesel était bon, voire même écologique (sic) ou propre (resic). Il est aujourd’hui indispensable d’expliquer que c’est exactement l’inverse.
La prochaine condamnation de la France par la Cour de Justice Européenne pour non-respect des directives en matière de qualité de l’air devrait d’ailleurs contribuer à sensibiliser les derniers réfractaires.
Pour aider à la transition, les signaux économiques doivent être inverses. Rien n’est pire d’un point de vue pédagogique que des signaux économiques publics qui dissuadent les comportements vertueux. Toutes les niches fiscales favorables au diesel doivent être supprimées, comme le proposait déjà Philippe Seguin, à l’époque Président de la Cour des Comptes. Il est insoutenable que le contribuable subventionne ce qui l’empoisonne.
Enfin, et il s’agit là de l’action la plus lourde, une reconversion industrielle de l’industrie automobile est aujourd’hui inéluctable. Cette industrie est de toutes façons confrontée à une crise économique sans précédent, due notamment à la croissance prolongée et inéluctable des prix des carburants. Alors qu’elle était tout sauf imprévisible, elle n’a pas été anticipée par les constructeurs. Les salariés de cette industrie, menacés par dizaines de milliers, ne doivent pas être les victimes de cette myopie, comme le furent par le passé ceux de la sidérurgie.
Il existe un avenir pour l’industrie automobile : la construction de véhicules sobres, de petite taille, de petit poids, à vitesse limitée (mais adaptée à la réglementation), à  encombrement minimal (réduction des embouteillages et des problèmes de stationnement), à coût d’achat et d’usage (carburant) moins élevé (gain de pouvoir d’achat).
De nombreux pays sont déjà engagés dans cette voie, notamment en Asie. Devons-nous, par conformisme et intérêt économique à court terme des actionnaires automobiles, sacrifier les emplois d’aujourd’hui et de demain ? Ou saurons-nous saisir l’opportunité d’un virage industriel majeur qui concilie protection de l’environnement, réduction de notre dépendance aux énergies importées, droit à la mobilité, gain de pouvoir d’achat et sauvegarde de dizaines de milliers d’emplois ?