La Cour des Comptes rendra public demain un rapport sur les coûts du nucléaire qui fera date.
1) Il fera date car il met en pièce le mythe du nucléaire bon marché. D’ores et déjà , les chiffres accumulés par la Cour sont sans appel : depuis des décennies, on a menti sur le coût réel du nucléaire. Celui-ci se trouve au minimum (et malgré les inconnues rappelées ci-dessous) à 20% plus cher que les évaluations précédentes. Et cela même si, de l’aveu même de la Cour, les coûts pharamineux de la recherche nucléaire n’ont pas été intégrés dans ce surcoût.
2) Il fera date car il confirme le coût faramineux du nucléaire futur. Même si les chiffres du nucléaire passé ont été sous-évalués, il est clair aujourd’hui que le nucléaire a mangé son pain blanc. Dorénavant, qu’on choisisse de prolonger la durée de vie des réacteurs existants (en les sécurisant suite à Fukushima et en tentant de les faire tenir 10 à 20 ans de plus), ou qu’on choisisse de construire des EPR pour les remplacer, le coût du kWh produit sera près de deux fois plus élevés que le prix artificiel actuel.
3) Mais ce rapport fera aussi date en démontrant que sur de nombreux sujets cruciaux, même la Cour des Comptes ne sait pas chiffrer le coût réel du nucléaire. Qu’on en juge : qu’il s’agisse du coût des travaux de sécurité post-Fukushima (dont il faut rappeler qu’ils n’intègrent même pas la sécurité anti agression terroriste), du coût du démantèlement, du coût de la gestion des déchets, du coût de l’assurance en cas d’accident majeur en France… la Cour des Comptes reconnaît son incapacité à chiffrer et est obligée de s’en tenir à des hypothèses vagues.
Les représentants du lobby tenteront sans doute de minimiser l’impact de ce rapport. Mais, qu’ils le veuillent ou non, ce que dit ce rapport c’est qu’en matière d’industrie nucléaire, on avance à l’aveugle. Cette énergie soit-disant hyper professionnelle, à la pointe de la technologie et de la science, est pilotée totalement à vue.
L’abîme est d’autant plus vertigineux si on compare d’un côté ce constat de carence en matière nucléaire, et de l’autre les exigences posées par les mêmes décideurs quand on évoque les alternatives au nucléaire, qu’il s’agisse des renouvelables et de l’efficacité énergétique.
La charge de la preuve doit dorénavant être inversée : ce n’est plus le seul chiffrage de la sortie du nucléaire qu’il faut établir, mais plus encore le coût d’une poursuite éventuelle du nucléaire. A quand un rapport sur les scénarios d’avenir des pro-nucléaires, qui aurait le même niveau d’exigence de transparence et de réalisme que, par exemple, le scénario Négawatt ?
Le rapport de la Cour des Comptes marque une étape. Il montre aussi le chemin qui reste à parcourir pour que toute la transparence soit faite sur les vrais coûts du nucléaire. Il est en tout état de cause un outil majeur pour aider à ce qu’enfin la France prenne le virage énergétique et industriel pris par nombre d’autres pays, et que nous risquons bien de manquer. C’est pourtant là que se situent les principaux gisements d’emplois d’aujourd’hui et de demain.
Denis Baupin