Le NouvelObs – 14-03-2012
LE PLUS. Crises d’asthme et espérance de vie réduite, voilà ce à quoi peut mener la pollution de l’air. Les villes françaises les plus touchées ? Marseille, Paris, Lille ou encore Strasbourg. Denis Baupin, maire adjoint de Paris (EELV) chargé du Développement durable, de l’Environnement et du Plan climat, plaide pour une politique active en la matière.
Par Denis Baupin - Edité par Hélène Decommer - Auteur parrainé par Morgane Bertrand
Une nouvelle alerte à la pollution vient de tomber en Ile de France : ces lundi, mardi et mercredi (au minimum) nous avons été, sommes et serons soumis à un pic de pollution aux particules fines. Avec ces 3 jours, nous en sommes donc déjà à 19 jours de dépassement des seuils sanitaires depuis le début 2012, alors même que la mi-mars n’est pas encore atteinte.
Paris dans un nuage de pollution, le 23/10/2008 (DUCLOS/SIPA)
Courant février, lors du dernier pic de longue durée (du 6 au 13 février – 10 février excepté), on nous avait expliqué que cet épisode était dû au grand froid… une « explication » qui sera difficile à tenir en cette période pré-printanière !
La faute au diesel
L’explication est hélas plus simple, mais bien plus structurelle : les pics de pollution se multiplient dans l’agglomération parisienne du fait de la dieselisation croissante du parc automobile français… politique favorable au constructeur national oblige, depuis des décennies. Or, les moteurs diesel sont les principaux émetteurs en agglomération de ces particules fines particulièrement dangereuses pour la santé (considérées comme probablement cancérigènes par l’Organisation Mondiale de la Santé).
La politique française de l’autruche, niant année après année les impacts sanitaires, a un coût de plus en plus lourd : 42.000 morts « prématurées »Â par an au niveau national d’après l’OMS, et, selon une étude récente, 6 mois durée de vie de moins pour les Parisiens et autres habitants de grandes agglomérations comme Lille et Strasbourg (étude européenne Aphekom menée dans 12 pays européens et 25 grandes villes, voir ici page 3).
La gesticulation préfectorale à chaque pic de pollution n’en apparaît que plus dérisoire, voire ridicule. Pic après pic, on se contente d’inviter les automobilistes à modérer leur vitesse – sans jamais vérifier si cela a le moindre impact -, tandis qu’est demandé aux victimes potentielles (enfants des écoles, asthmatiques, sportifs) de ne pas s’exposer. Préconisations aléatoires pour les sources de pollution ; consignes impératives pour les victimes : cherchez l’erreur. Lorsque j’avais questionné le Préfet de police, au conseil de Paris le 6 février dernier, sur l’aberration d’un tel dispositif, il n’avait pu que constater l’inefficacité tragique des micro-mesures promues.
Dans ce domaine comme dans d’autres, la France est dramatiquement en retard. Cela lui vaudra prochainement une condamnation infamante par la Cour de Justice européenne pour non respect des directives concernant la qualité de l’air, avec lourdes pénalités financières à la clé.
A court, moyen et long terme, des solutions existent
Une autre politique est pourtant possible. Elle ne peut qu’être progressive, au vu du niveau dedieselisation du parc national et des impacts sociaux et économiques d’une désaddiction au diesel.
Elle implique de combiner actions de long terme et mesures d’urgence :
- A moyen et long terme : une reconversion de l’industrie automobile est indispensable pour des raisons tant sociales qu’écologiques. Elle doit permettre de réorienter la production vers des véhicules plus petits, moins polluants (excluant le diesel), plus sobres (1l /100km). Parallèlement, une information du public et notamment des acheteurs de voitures doit être conduite sur la nocivité du diesel, et des incitations à ne plus acheter de tels véhicules – qui de toutes façons pourront de moins en moins être utilisés – doivent être mises en place.
- A moyen terme : la mise en place de zones limitant la circulation des véhicules les plus polluants dans les agglomérations (à l’image des « low émission zones » existant dans de nombreuses villes européennes) ; pour être écologiquement cohérentes et socialement acceptables, elles devront prendre en compte non seulement la pollution de l’air mais aussi les émissions de gaz à effet de serre et donc toucher les 4×4 et autres véhicules surpuissants inadaptés à la circulation en ville ; et elles devront être accompagnées de mesures d’aide à la transition pour aider les propriétaires de véhicules anciens, notamment les ménages modestes (dérogations pour le co-voiturage, gratuité des transports collectifs pendant 1 an pour ceux qui abandonnent leur voiture, renforcement des transports collectifs, etc.).
Un 4X4 circule sur l’avenue des Champs-Elysées le 22 décembre 2010 à Paris (FRANCOIS GUILLOT/AFP)
- A court terme, il est urgent de rendre contraignantes les mesures de réorganisation de la circulation lors des pics de pollution (contournement de l’agglomération par les poids lourds en transit, abaissement de la vitesse sur les grands axes …) ; il convient aussi de revenir sur le dumping fiscal dont bénéficie le gasoil et de prendre en compte les émissions de CO2 dans le bonus-malus, afin de ne plus privilégier la technologie diesel à l’origine de cette pollution.
Cette mutation sera d’autant plus longue et difficile que, d’une part, les messages adressés par les pouvoirs publics depuis des décennies ont incité les ménages à penser le diesel comme « propre », et que, facteur aggravant, le coût de remplacement d’un vieux véhicule par un véhicule neuf – là où le réseau de transports collectifs est encore insuffisant – a un coût de plus en plus prohibitif du fait de la politique « élitiste » des constructeurs automobiles (54 ans d’âge moyen pour l’acheteur de véhicule neuf).
Raison de plus pour ne pas tarder à engager ce changement crucial.