Le Grand Débat Transport en neuf points

Denis Baupin a participé au Grand Débat Transport le 6 mars 2012 au Théatre Pierre Cardin à Paris.

Compte-rendu des débats par les organisateurs

Mobilettre.com en a fait le résumé.

http://www.mobilettre.com/le-grand-debat/le-grand-debat-transport-en-neuf-points/

L’apostrophe fut un épilogue savoureux. Mis en cause par Hervé Mariton lors du débat, Louis Nègre se tourne vers son collègue de l’UMP et lui lance : «Sur la dépénalisation du stationnement, j’ai rendu mon rapport. J’ai fait mon boulot. D’accord ?» Une belle escarmouche, après quelques autres. Hervé Mariton relevant la soudaine audace de Roland Ries, qui mettait en doute l’opportunité du Lyon-Turin, ou Dominique Bussereau, dénonçant les hésitations des collectivités locales à confirmer leur financement du Tours-Bordeaux. D’une manière générale, on sent que la question des grandes infrastructures est hypersensible : qui osera assumer l’impopularité des décisions de hiérarchisation des projets ? On pressent qu’il va en falloir, des évaluations socio-économico-environnementales, et des trésors de diplomatie… Car sur le fond, tout le monde est d’accord : l’Etat n’a pas les 300 milliards du SNIT.

Autre grand sujet de divergence, le Grand Paris : Pascale Le Néouannic supprime aussi sec la SGP, Pierre Serne avec un peu plus de précaution remet le Stif au centre du jeu francilien, de même que Roland Ries, prenant ainsi une position qui peut encombrer Jean-Paul Huchon. Manifestement, le Grand Paris d’une gauche au pouvoir ne ressemblerait pas au Grand Paris de Nicolas Sarkozy, notamment à l’ouest vers Saclay…

D’une manière générale, la sensibilité des transports du quotidien a été comprise par tous les candidats, qui ne font plus reposer leurs ambitions sur des chantiers emblématiques, mais bien sur la consolidation des offres et le développement de nouveaux services. Ainsi, la conversion de tous à l’autocar, là où il n’entre pas en concurrence avec le train, illustre ce nouveau réalisme : peu importe le mode, pourvu que l’alternative à la voiture individuelle soit convaincante pour des Français qui peinent à boucler leurs fins de mois.

«Jamais un tel débat n’aurait pu avoir lieu il y a cinq ou six ans», relevait David Azéma, satisfait de la tournure des événements. Le réalisme l’emporte désormais, grâce à la prise en compte des urgences quotidiennes. C’est un peu le résultat du travail de révision stratégique mené par les opérateurs, SNCF en tête, mais aussi la conséquence des frustrations des Français, en termes de prix et de qualité de service, que les médias électroniques relaient et amplifient. Nous avions commencé le Grand débat par un petit film de fiction sur la journée d’une jeune Francilienne : manifestement, ce quotidien-là est bien au centre des préoccupations de la plupart des responsables politiques. Il n’est donc pas étonnant que notre choix d’axer une partie du débat sur la gouvernance et sur le pouvoir des AO, ô combien légitimes sur le transport quotidien, ait été accepté de bon gré par les orateurs. G.D.

Snit : frictions sur le Lyon-Turin

Faut-il construire toujours plus de LGV, d’autoroutes et de métros? Comment compléter le maillage des réseaux sans remettre en cause l’entretien et la rénovation du patrimoine existant? Pour certains, la réponse est binaire : c’est 100% projets ou 100% maintenance. Une solution qui ne satisfait pas les acteurs du transport. «Comment sortir du stop ou encore?», a résumé sans détours Alain Quinet. Première piste : prioriser. Pour Roland Ries, « le Snit est à la fois la meilleure et la pire des choses. La meilleure, car il donne une vision globale. La pire, car il faudrait 245 milliards d’euros pour tout réaliser, ce qui représente environ 120 ans du budget de l’Afitf ». Pour sortir de l’impasse, la proposition 28 du projet de François Hollande privilégie les transports de proximité dans le choix des projets, et conserve quatre LGV considérées comme des coups partis (Les premières propositions transport de François Hollande). Hervé Mariton, lui, suggère de phaser le Snit, et retient les mêmes LGV auxquelles s’ajoute le Lyon-Turin. Le gouvernement français s’est en effet engagé sur le financement de ce projet, qui bénéficie également du soutien européen. Reste à convaincre les opposants, toujours virulents du côté du Val de Suse… et à mobiliser le budget infrastructures de l’Etat italien!

Externalités : consensus flou

Un débat transport ne peut se restreindre aux transports publics guidés. Denis Baupin a souligné l’importance de considérer le système de déplacements dans son ensemble. Que ce soit pour des raisons liées à la préservation de l’environnement, à la justice sociale, ou à la compétitivité économique, il faudra tenir compte de tous les modes pour parvenir à équilibrer le financement des transports, et surtout intégrer les externalités. Un premier pas sera fait avec la mise en place de la taxe poids lourds, mais les représentants des candidats soutiennent de façon quasi unanime le principe d’une taxe carbone, même si personne ne fixe de calendrier pour son application.
Ecologistes et Front de gauche sont les plus engagés dans la mise en œuvre d’une nouvelle mobilité, conduite de manière à privilégier les déplacements de proximité. Pour Pascale Le Neouannic, rapprocher le salarié de son lieu de travail est une priorité, de manière à « revenir sur le “toujours plus” de vitesse et d’infrastructure ».

Liberté ou droit? Une question de société

La conception de la mobilité elle-même fait débat. Est-elle un droit ou une liberté? Au-delà des mots, c’est la vision plus large de la société qui est en question. A une mobilité envisagée comme l’une des conditions indispensables à la croissance économique, répond une mobilité vécue au quotidien comme une contrainte, essentiellement dans le contexte des déplacements domicile-travail. Cette approche sous-tend très fortement les prises de position des uns et des autres. Farouchement hostile à la décroissance, Hervé Mariton soutient ainsi la liberté de se déplacer, qui ne saurait être remise en cause. Divergence très nette avec Pascale Le Néouannic, qui pointe le discours contradictoire du gouvernement: «On organise la fermeture des frontières, on contrôle les gens y compris dans les réseaux de transports, et on explique par ailleurs que ceux qui ont de l’argent peuvent continuer à se déplacer comme ils veulent.»

Report modal: une stratégie et des moyens

«Il faut réaffirmer une volonté politique sur le report modal », assure Denis Baupin. L’élu écologiste défend, comme le PS, la création d’une autorité organisatrice de la mobilité durable, qui aurait la responsabilité la plus large sur l’ensemble des déplacements. Il s’agit également de mieux coordonner l’ensemble des politiques publiques comme l’urbanisme ou le développement économique. Mais c’est aussi à l’échelon national qu’il convient de définir les grandes orientations d’une politique de déplacements. C’est donc à l’Etat de définir la stratégie, et de reprendre en main l’aménagement du territoire, avec les TET par exemple ou encore la grande vitesse ferroviaire, sans chercher à se mêler des affaires courantes. «La politique de l’Etat ne doit pas se réduire à la politique de ses entreprises publiques», résume ainsi Jean-Pierre Duport.
Plutôt que de report modal, il conviendrait presque de parler de rééquilibrage et d’ouverture modale. L’écologiste Denis Baupin défend ainsi la mise en place de ligne de cars express sur les liaisons mal desservies par le train, mais également dans les zones périurbaines, avec la possibilité de voies réservées sur les autoroutes.

Débats publics: peut mieux faire

«Le débat public fait gagner du temps, estime Jean-Pierre Duport. Mais une fois la décision prise, il faudrait pouvoir accélérer sur les procédures comme les enquêtes publiques.» Cette réduction des délais de genèse des projets de transports est d’ailleurs largement souhaitée. Pour Denis Baupin, en revanche, «on s’est raté quelque part». Le débat public devait être le lieu de la confrontation des idées, mais l’élu écologiste constate qu’il se résume bien souvent à l’examen d’un tracé, une sorte d’atomisation du débat plutôt que la possibilité de faire émerger une volonté commune. Remettre la réflexion dans le camp des citoyens, c’est aussi le souhait du front de gauche, qui projette d’élaborer sa planification écologique sur la base d’une large consultation.

Décentralisation : la mobilité durable aura-t-elle raison du mille-feuilles?

Pour l’ensemble des candidats, c’est bien à l’échelle des régions que doit se conduire la politique des transports. La création des autorités organisatrices de la mobilité durable voulue par les socialistes et les Verts repose sur les régions. A droite, il n’est pas question de revenir en arrière sur la décentralisation, même si l’on dénonce les dérives budgétaires des collectivités. Reste à savoir avec quels moyens et quel mode de gouvernance. Dominique Bussereau épingle les réticences de certaines régions et départements à financer les LGV (et vise de manière transparente le bras de fer engagé sur la liaison Sud Europe Atlantique), mais ne dit mot de l’affaiblissement des ressources des régions. Un manque de moyen dénoncé par Daniel Garrigue. Pour Dominique Bussereau, la solution passe par le redécoupage administratif et l’accroissement de la taille des régions, avec la mise en place de syndicats mixtes. Jacques Auxiette rappelle que le principe de libre administration des collectivités territoriales est inscrit dans la Constitution. Personne d’ailleurs ne songe à la remettre en cause.

Concurrence: tous ensemble !

L’approche de Jacques Auxiette, qui souhaite une ouverture à la concurrence sur le TER inspirée de ce qui existe dans les transports urbains, sur le modèle de la DSP, est largement partagée. Dominique Bussereau, lui, est attaché au principe de l’expérimentation, processus qui a fait ses preuves au moment de la décentralisation du transport de voyageurs.

Fret : en quête de sens

Mal aimé des politiques de transport, le fret? «Comme toujours, on nous fait passer en dernier et on nous demande de faire vite.» La boutade grinçante de Marc Soulet de Brugière, président de l’Union des Ports français, témoigne de ce malaise. Là encore, se pose la question du report modal, et de la prise en compte des externalités, seule à même de rendre compétitifs les modes non-routiers, dont la voie d’eau. Quant au fret ferroviaire, Jean-Pierre Duport conseille aux candidats et futurs ministres de Transports de ne surtout pas prendre d’engagements chiffrés, mais de réfléchir aux moyens de regagner des parts de marché.

Grand Paris : pas de quartier !

«Revoir la gouvernance de la SGP et la réintégrer dans le Stif, revoir également l’affectation des financements fléchés vers la SGP et qui manquent cruellement à l’amélioration de l’existant.» Pierre Serne n’a pas caché sa volonté de reprendre la main. Pour le vice-président Transports de la région Ile-de-France, et représentant d’Eva Joly, l’existence de la SGP est une anomalie qu’il faut corriger. Un déséquilibre de moyens que Pascale Le Néouannic dénonce elle aussi, en prenant l’exemple des investissements envisagés pour desservir le plateau de Saclay. Le seul point de convergence sur ce dossier semble être la satisfaction d’avoir mobilisé les Franciliens au cours d’un débat public inédit, qui a mis l’accent sur l’urgence d’améliorer l’existant.

Sandrine Garnier