Cette tribune a été publiée sur le site de Médiapart.
Journaliste, David Belliard est l’auteur de Notre santé est-elle à vendre ? et 25 autres questions que tout le monde se pose sur la santé, un titre de la collection de la collection « Petite Encyclopédie Critique » des éditions Textuel…
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Á quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, les questions de santé ont disparu des débats et ne parviennent pas – ou si peu – à sortir des cénacles de professionnels et de spécialistes. Pourtant, les enjeux qui y sont liés sont majeurs et l’absence de propositions de réforme de notre modèle sanitaire exacerbe les difficultés rencontrées par beaucoup pour se soigner ou pour tout simplement rester en bonne santé. Une situation sanitaire préoccupante Ce n’est pourtant pas faute de répéter que la santé fait partie des préoccupations majeures des français – à juste titre d’ailleurs ! Le classement de l’organisation mondiale de la santé (OMS) qui faisait de notre organisation au début des années 2000 l’une des meilleures du monde n’est plus qu’un lointain souvenir. La crise de l’hôpital public, les dépassements d’honoraires, la multiplication des déserts médicaux ou encore la réduction du niveau de prise en charge des soins par l’assurance maladie, qui est tombée à 55 % pour ceux dispensées hors de l’hôpital, sont autant de marques d’un système en voie d’épuisement. Aujourd’hui, pour bon nombre de gens, se soigner est devenu un luxe ! En 2008, plus de 15 % de la population adulte déclarait avoir renoncé à des soins médicaux pour des raisons financières au cours des douze derniers mois. Ils n’étaient que 10,5 % en 2002. Cette dégradation est en grande partie le résultat d’une politique néolibérale qui a « responsabilisé » les usagers en diminuant le niveau de remboursement des soins, et imposé une organisation managériale à l’hôpital public. Non seulement cette politique a profondément dégradé l’accès aux soins mais, en plus, elle n’a pas permis de limiter l’augmentation des dépenses de santé. La France, comme les autres pays de l’OCDE, voit dans ce domaine ses dépenses croître d’environ 3 % par an et, chaque année, elle accumule une dette sociale qui a atteint les 136 milliards d’euros en 2011.
Sarkozy ou la poursuite des dégâts néolibéraux
En cas de réélection, Nicolas Sarkozy continuera cette politique de responsabilisation/culpabilisation des usagers, avec par exemple la création d’une carte vitale biométrique. Pourtant, cette stratégie se solde par un triple échec : social, avec l’augmentation des inégalités de santé, financière, car incapable de réguler les dépenses et de desserrer le poids de la dette et, enfin, sanitaire. Notre système n’est plus en capacité de répondre aux besoins. Preuve en est son impuissance à contenir l’explosion des maladies chroniques (diabète, cancer, hypertension, maladies dégénératives, etc.) qui touchent plus de 8 millions de personnes et sont aujourd’hui les principales causes de mortalité. Ces différentes pathologies trouvent en grande partie leurs origines dans la dégradation de notre environnement, pris dans son sens le plus large. Le stress au travail et les modes d’organisation de la production ont des conséquences sur l’augmentation des maladies professionnelles (plus de 500000 cas en 2010, contre 44000 en 1990), tandis que l’OMS estime que les microparticules dans l’air, liées à la pollution, nous font perdre 9 mois d’espérance de vie. Usages intensifs de perturbateurs endocriniens, comme le bisphénol A, nuisances sonores, pollutions électromagnétiques, trop grande concentration de nitrates dans les eaux, pour laquelle la commission européenne vient d’ouvrir un procès contre la France… Les exemples pourraient être multipliés mais c’est surtout l’alimentation qui illustre le plus clairement cette relation entre environnement, conditions de vie et santé. La malbouffe, qui touche fortement les plus modestes, est la principale responsable de l’augmentation exponentielle de l’obésité et du diabète (3,5 millions de malades en France). Pour juguler cette catastrophe sanitaire, la solution existe : investir massivement dans une alimentation de qualité et variée facilement accessible et dans l’éducation nutritionnelle. En résumé, la santé doit être considérée comme un ensemble où se croisent plusieurs facteurs, environnementaux, sociaux, culturels… qui permettent d’agir avant que ne survienne la maladie. Il s’agit donc avant tout de prévenir, partout où cela est possible, les causes des maladies.
Hollande ou le flou conformiste
Et c’est là que le bât blesse. Dans ses quelques propositions, François Hollande en reste globalement à une approche basée sur le tout curatif. Certes, il a rappelé l’importance d’un service public hospitalier fort et la nécessité d’une plus grande régulation de la médecine libérale, par une limitation des dépassements d’honoraires abusifs et de la liberté d’installation des médecins pour lutter contre les déserts médicaux. Mais il reste flou sur la suppression des franchises médicales, l’avenir de la tarification à l’activité à l’hôpital et, surtout, n’accorde qu’un très faible intérêt à la prévention. Pourtant, il lui suffirait pour se persuader de l’importance d’agir bien en amont d’entendre lors de sa récente visite au salon de l’agriculture les interpellations des professionnels malades d’avoir trop utilisés des pesticides. Mais pour le candidat socialiste, comme une grande partie de la classe politique, la santé se résume à une équation qui associe à la maladie une réponse médicale, jugée capable de répondre à tous nos maux. La santé : une question de gros sous ! Nombre d’acteurs tirent profit de cette vision qui tend à réduire la santé aux seuls soins, et notamment les laboratoires pharmaceutiques. Car ne nous leurrons pas ! Les questions de santé ne sont pas que des débats d’idées, c’est aussi une question de gros sous. Le seul marché des médicaments est évalué à plusieurs dizaines de milliards d’euros, dont une grande part est remboursée par l’assurance maladie, c’est-à-dire par nos cotisations. Pour conserver un marché dynamique et profitable, les industriels n’ont évidemment aucun intérêt à transformer un système qui, en demandant toujours plus de soins, leur est favorable. Malgré la loi sur le médicament de Xavier Bertrand, beaucoup trop timorée, l’influence qu’ils exercent à tous les niveaux de la chaîne de décision reste extrêmement forte, et les affaires du Médiator et des prothèses mammaires PIP nous ont cruellement rappelé que cette porosité entre les organismes de contrôle sanitaires et les laboratoires pharmaceutiques peut avoir des conséquences tragiques. Défaire les professionnels de santé et les organismes de régulation de l’influence des industriels devrait être une priorité pour le prochain président.
Á la recherche de la santé électoralement perdue…
Malheureusement, sur tout cela, le candidat socialiste ne pipe pas vraiment mot, faisant l’économie, dommageable, d’un vrai débat. Certes, d’autres prétendants à l’Élysée tentent de faire entendre leurs propositions mais la bipolarisation tend à étouffer tout sujet qui ne serait pas porté par l’un ou l’autre des deux principaux candidats. Au regard des enjeux sanitaires et de l’inquiétude des français sur ce sujet, on est quand même en droit de se demander où est donc la santé dans cette campagne électorale. Cette question aurait pu s’ajouter aux 25 autres de ce livre, qui s’adresse à toutes celles et tous ceux qui pensent au contraire que la santé mérite bien qu’on s’y attarde un tant soit peu…
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David Belliard est l’auteur de Notre santé est-elle à vendre ? et 25 autres questions que tout le monde se pose sur la santé (144 pages, 9,90 euros, mars 2012)