Canular subversif : un groupe activiste annonce le remboursement par la France du prix payé par Haïti pour son indépendance

Pour une fois, ce n’est pas la terre qui a tremblé en Haïti, mais bien les somptueux appartements de l’ambassade de France dans cette moitié d’île frappée par un terrible séisme en janvier dernier.

Ce 14 juillet, alors que la capitale était bercée aux rythmes des flonflons militaires et des passages en rase-mottes de nos rutilants avions de combat, le ministère des Affaires étrangères et européennes, dans un sursaut de générosité qu’on ne lui connaissait pas, annonçait sans emphase médiatique (Kouchner devait être en vacances) que la France allait rembourser les quelques 21 milliards de dollars qu’elle avait extorqués à la « perle des Antilles » dans la foulée de son indépendance en 1804.

Une somme certes coquette, mais pas de quoi sabler le champagne dans les quartiers dévastés de Port-au-Prince : un tout récent rapport du FMI venait de rappeler que les pertes causées par le tremblement de terre équivalaient à 120 % du produit national brut d’Haïti. Dans la foulée, le même FMI, certain de ne jamais revoir son argent, annonçait qu’il annulait la totalité des sommes que le petit Etat lui devait, soit environ 268 millions de dollars.

L’histoire paraissait trop belle et tellement à l’image d’une France tenant haute la dragée des droits de l’Homme, des grands principes et de l’aide humanitaire ! La nouvelle fut reprise dare-dare par l’agence Associated Press, le New York Times et quelques autres. On découvrait ainsi qu’après les « bienfaits de la colonisation », il y avait eu aussi les « bénefs de la décolonisation ». Maintenue au ban des nations plus de vingt ans après l’annonce de son indépendance, Haïti s’était vu adressée en 1825 par notre bon roi Charles X une proposition impossible à refuser : une ordonnance de reconnaissance de la souveraineté du pays renégat par la France en échange d’une indemnité de 150 millions de francs or, ramenée ensuite à 90 millions. L’Haïtien est dur en affaires, mais il est honnête, préférant acquitter sa dette jusqu’au dernier sou, quitte à affamer ses enfants plutôt que de les voir périr sous un déluge de représailles militaires. Et cela pris du temps, beaucoup de temps. Selon l’historien Alex von Tunzelmann, le remboursement de la « dette d’indépendance » représentait près de 80 % du budget national haïtien en 1900. Serge Bouchereau, militant haïtien résidant à Montréal, se rappelle encore que, il y a plus de 60 ans, il devait déposer tous les jours à l’école un centime dans une tirelire destinée à l’Etat français. Ce n’est qu’en 1947 et en souscrivant à des emprunts auprès de l’Allemagne et des Etats-Unis qu’Haïti parvint à régler la somme et ses vertignieux intérêts.

De leur côté, les médias français n’ont pas mordu à l’hameçon, sans doute trop habitués au cynisme de nos dirigeants pour avaler pareille fiction. Au pays de René Descartes et d’Eric Woerth, le seul père Noël acceptable a désormais les traits d’une Liliane Bettencourt croulant sous les fards et les dividendes généreusement livrés chaque matin par la maison L’Oréal… Le faux site de la diplomatie française a quand même recueilli plus de 50 000 visites durant les 24 heures suivant la mise en ligne d’une vidéo où une soi disant porte-parole du quai d’Orsay officialisait l’information, mais l’essentiel des connexions provenait hors du territoire national. Un succès numérique qui d’ailleurs constituait un indice supplémentaire de la facticité de cette histoire : après les 1,6 millions d’euros engloutis par le gouvernement français pour un site de prestige qui ne fonctionne toujours pas, il était en effet parfaitement incroyable qu’un site officiel obtienne une telle audience. Et effectivement, in n’y avait pas l’ombre de la moindre agence de communication derrière cette opération. Jaloux d’une telle réussite, les pouvoirs publics se sont donc fendus d’un démenti cinglant (du type « et depuis quand la France paierait-elle pour autre chose que pour ses banques indélicates ? ») et ont menacé de poursuites ceux qui eurent l’impudence de nous faire, en pleine politique de rigueur, passer pour dispendieux auprès des grandes places financières.

Il s’agissait donc, au grand dam des Haïtiens, d’un canular. Une fausse bonne nouvelle nuitamment répandue pour dénoncer un vrai scandale. Une technique efficace et déjà bien rodée par de nombreux groupes activistes à travers le monde. En attente d’une revendication, le New York Times, qui ne prête qu’aux riches, crut lire la griffe des Yes Men dans cette nouvelle action anti-française. Le fameux site www.diplomatiegov.fr,, support du canular, avait été mis en ligne le 21 juin par un certain Toussaint Louverture, rappelant l’esprit facétieux d’Andy Bichlbaum et de Mike Bonnano. Ces derniers en profitèrent pour produire un beau démenti, tellement offusqué, qu’il laissait ouverte l’idée d’une possible implication des deux activistes transnationaux. Les choses se précisèrent davantage quelques jours plus tard lorsqu’un mystérieux collectif en faveur du peuple haïtien revendiqua officiellement l’action sous l’acronyme évocateur de CRIME (Comité pour le Remboursement Immédiat des Milliards Envolés d’Haïti). Apparaissant masquée lors d’une conférence de presse organisée à Montréal le 22 juillet dernier la porte-parole du groupe, une certaine Laurence Fabre, a dénoncé l’hypocrisie du gouvernement français à l’égard d’Haïti et annoncé que le collectif qui compterait une vingtaine de militants canadiens, français et américains n’est resterait pas là et que d’autres actions du même type devraient prochainement voir le jour.
A suivre donc…

Depuis Montréal (fin juillet 2010), André Gattolin pour www.hns-info.net