Ventes d’armes: la Cour pénale internationale doit enquêter sur les crimes de guerre au Yémen et leurs complices
Depuis déjà 8 ans, la population yéménite subit une guerre sanglante, dans laquelle les crimes de guerre sont systématiques, et qui est devenu la cause d’une famine sans précédent. Il y a 3 ans, un collectif d’ONG avait déposé une communication auprès de la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), rassemblant un ensemble de preuves et de motifs pour que la CPI ouvre une enquête sur les crimes commis au Yémen. Face à la gravité de ces crimes et les nombreuses ventes d’armes européennes à des parties au conflit soupçonnées de ces crimes, les député-e-s européen-ne-s écologistes Hannah Neumann, Mounir Satouri, Alviina Alametsä et Tineke Strik demandent à la CPI d’ouvrir une enquête formelle sur les responsabilités pénales des acteurs économiques et politiques de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne et du Royaume-Uni qui ont pu bontribuer à ces crimes.
Retrouvez la lettre dans sa version française
Lettre au Procureur de la CPI pour l’ouverture d’une enquête officielle sur le Yémen
Karim A.A. Khan QC, Procureur
La Cour Pénale Internationale
La Haye, Pays-Bas
Bruxelles, le 23 mars 2023
Objet : Appel à la Cour pénale internationale (CPI) pour ouvrir une enquête officielle sur le Yémen
Monsieur le Procureur Karim A.A. Khan KC,
Je vous écris au sujet de la communication au titre de l’Article 15 soumise le 11 décembre 2019 par une coalition de collectifs européens et yéménites dirigée par Mwatana for Human rights et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (la « Communication »), demandant à la Cour d’enquêter sur les gouvernements européens et les responsables des entreprises d’armement pour avoir potentiellement aidé et été complices des crimes de guerre au Yémen.
La guerre au Yémen a maintenant atteint le stade macabre de huit ans. Depuis mars 2015, deux des plus gros clients de l’industrie européenne de l’armement – l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) – dirigent une coalition militaire (la «Coalition») qui a mené des dizaines d’attaques aveugles et disproportionnées contre des habitations civiles, des marchés , hôpitaux, écoles et sites du patrimoine culturel. Selon le Yemen Data Project, 8 983 civils ont été tués par les attaques de la coalition depuis 2015. Le Yémen connaît également des niveaux d’insécurité alimentaire sans précédent : en juin 2022, 19 millions de Yéménites étaient en situation d’insécurité alimentaire et 161 000 personnes vivaient dans des situations de « famine ».
Environ trois ans après la présentation de la communication, le déficit de responsabilité n’a jamais été aussi grand. La perspective de lutter contre l’impunité pour les crimes de guerre et les violations des droits humains commis au Yémen a été sérieusement ébranlée en octobre 2021 lorsque le Conseil des droits humains des Nations unies n’a pas renouvelé le mandat du Groupe d’experts éminents (GEE). Le GEE représentait le seul mécanisme d’enquête indépendant existant documentant les graves violations des droits humains commises par toutes les parties au conflit au Yémen.
Il est important de noter que dans son dernier rapport de septembre 2020, le GEE a lancé un appel aux « États tiers pour qu’ils cessent de transférer des armes aux parties au conflit étant donné le rôle de ces transferts dans la perpétuation du conflit et la contribution potentielle aux violations ». En effet, malgré les preuves que des crimes de guerre potentiels ont été et continuent d’être systématiquement commis au Yémen, les exportations d’armes des pays européens vers la Coalition se sont poursuivies sans relâche. Les autorités d’exportation de l’Allemagne, du Royaume-Uni (RU), de la France, de l’Espagne et de l’Italie ont autorisé l’exportation d’avions de combat, de bombes et de pièces de rechange, ainsi que de matériel d’entretien et de formation par des entreprises d’armement pour l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, alimentant cette guerre.
Même lorsque les tribunaux nationaux ont interrompu ces exportations, elles ont repris depuis. Par exemple, malgré une décision de 2019 de la Cour d’appel du Royaume-Uni ordonnant la suspension des licences d’exportation vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, en 2020, le gouvernement britannique a délivré de nouvelles licences pour les ventes d’armes destinées à être utilisées au Yémen, au motif que les violations du droit humanitaire par la Coalition au Yémen n’étaient que des « incidents isolés ». L’Allemagne a également récemment redémarré l’exportation d’armes vers la coalition.
Le mandat de la CPI est de poursuivre les crimes les plus graves qui relèvent de l’intérêt de la communauté internationale. Seize ans après le premier communiqué de presse sur la question des entreprises contribuant aux crimes dans les conflits armés, et suite au document de politique générale de 2016 du Bureau du Procureur (BdP) encourageant fortement la poursuite des acteurs commerciaux pour crimes environnementaux, la Procureure de la CPI de l’époque, Fatou Bensouda, a déclaré en novembre 2019 que « la CPI peut exercer sa compétence sur les personnes qui, par le biais d’activités commerciales, contribuent ou commettent directement des crimes internationaux en vertu du Statut de
Rome ». Alors que l’enquête et la poursuite d’acteurs commerciaux ne se sont jusqu’à présent pas matérialisées à la CPI, la fourniture d’armes par des sociétés d’armement européennes dans le contexte du Yémen représente une opportunité de faire la lumière sur l’implication des entreprises dans la commission de crimes internationaux.
Dans ce contexte, j’appelle la CPI à donner suite à la communication du 11 décembre 2019, à mettre fin à l’examen préliminaire et à ouvrir une enquête formelle sur les responsabilités pénales des acteurs économiques et politiques de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne et du Royaume-Uni. qui, en autorisant et en exportant des armes aux membres de la Coalition, ont pu contribuer à de graves violations du droit international humanitaire au Yémen, y compris des crimes de guerre. L’ouverture d’une enquête jouerait un rôle crucial dans l’instauration d’une complémentarité positive par le biais d’une coopération judiciaire avec les autorités nationales chargées des poursuites dans la constitution de dossiers et l’obtention de preuves.
De plus, en l’absence de tout autre mécanisme international de responsabilité pour le Yémen, la CPI est le forum le plus approprié pour enquêter et poursuivre les auteurs de crimes internationaux commis dans ce conflit. Cela s’inscrirait clairement dans le mandat de la CPI qui est de faire progresser l’état de droit et de lutter contre l’impunité, et de veiller à ce que justice soit rendue quel que soit le pouvoir politique et économique des auteurs de crimes internationaux.
J’attends votre décision et vous exhorte à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que des comptes soient rendus au peuple yéménite.
Sincèrement,
Hannah Neumann, membre du Parlement européen
Mounir Satouri, membre du Parlement européen
Alviina Alametsä, membre du Parlement européen
Tineke Strik, membre du Parlement européen
Retrouvez l’enquête Made In France du média Disclose révélant l’usage massif d’armes françaises dans la guerre au Yémen ainsi que l’enquête French Arms.

Retrouvez cet article sur Twitter : https://twitter.com/MounirSatouri/status/1639262996181516289
Retrouvez cet article sur Facebook : https://www.facebook.com/plugins/post.php?href=https%3A%2F%2Fwww.facebook.com%2FMounirSatouriUE%2Fposts%2Fpfbid0UAb2uDyy9QbXnaWSUH41kzoo2e8PBrJQ5qmqNDGfXH5Wm17sS76Q8UVc8CKR3Axw