Salle de consommation à moindres risques: le discours d’Anne Souyris

Anne Souyris

Anne Souyris, adjointe à la maire de Paris, chargée de la santé, introduisait le 24 mai dernier les 8èmes journées nationales de la Fédération Addiction à la Cité des Sciences et de l’Industrie, consacrées cette année à la thématique de l’homme augmenté. Ce fut l’occasion de parler des addictions du XXIème siècle, de tirer notamment un bilan du fonctionnement de la salle de consommation à moindres risques, et de rappeler par là-même l’engagement de cette élue écologiste pour mener une politique ambitieuse en matière de prévention et de réduction des risques, une des priorités de son mandat.

Retrouver son discours ci-dessous et son intervention en vidéo ici : https://www.federationaddiction.fr/video-discours-douverture-de-anne-souyris-lors-du-congresaddiction-2018/

Mesdames, Messieurs,

Merci d’abord d’avoir donné un titre aussi peu convenu à ces 8e journées nationales de la fédération Addiction « Des paradis artificiels à l’intelligence artificielle : quels changements de paradigmes ? » Autrement dit quand l’histoire de l’addiction croise celle des technologies de l’amélioration ou de l’augmentation humaine.

Que ces journées se déroulent à la cité des sciences en donne définitivement la tonalité : comment faire le lien entre notre société, ses nouvelles techniques, les drogues et addictions qui  s’y conjuguent  – ET l’homme augmenté?

Cet intitulé est une manière de sortir de la difficile question de l’abus des drogues en termes de santé publique, mais sans nul doute, pour mieux y revenir.

En effet, au seuil d’un dépassement radical de l’homme moderne, l’avancée des technologies contemporaines bouleverse notre vision de l’homme.

L’homme, depuis l’âge de pierre, a tenté d’améliorer la nature humaine en la dotant de facultés amplifiées ou augmentées, ce qui est d’autant plus visible aujourd’hui avec la montée en puissance des progrès techniques mondialisés et l’avènement des utopies que l’on appelle posthumaines ou transhumaines.

Où est la part entre la réalité et la fiction? Devons-nous prendre au sérieux les promesses de la cybernétique, de l’informatique et des nanotechnologies?

Robots, Cyborgs, organes artificiels… Entre sciences, cinéma – comment ne pas penser au dernier film de Steven Spielberg « Ready Player One » –  et littérature, le progrès scientifique et l’omniprésence des mondes virtuels nous invitent à penser le monde de demain tout à fait autrement.

À l’ère du tout numérique, de la réalité augmentée et du Big Data, allons-nous vers un bouleversement systémique du monde et une révolution de nos pratiques ?

Nous vivons en effet une transition radicale qui induit un véritable changement de paradigme dans le champ des addictions ET nous devons y faire face: …hyperconnexion, cyber-addiction sexuelle, jeux vidéos, chemsex, circulation des drogues sur la toile, nouveaux produits de synthèse…

Quand un simple clic nous donne désormais un accès direct à de nouvelles substances prohibées, défiant les limites spatio-temporelles qui avaient jusqu’alors cours, force est de constater que les usages et pratiques évoluent au même rythme que se diffusent en masse ces nouvelles technologies, désormais à la portée de toutes et de tous.

Déjà dans les années 80 du siècle dernier, le sociologue Alain Ehrenberg citait Wittgenstein : « Tout est devenu si compliqué que, pour s’y retrouver, il faut un esprit exceptionnel. Car il ne suffit plus de bien jouer le jeu ; la question suivante revient sans cesse : est-ce que tel jeu est jouable maintenant et quel est le bon jeu ? ». « Quel que soit le domaine envisagé (entreprise, école, famille), insistait le sociologue, le monde a changé de règles. Elles ne sont plus obéissance, discipline, conformité à la morale, mais flexibilité, changement, rapidité de réaction. Ainsi, maîtrise de soi, souplesse psychique et affective, capacités d’action font que chacun doit endurer la charge de s’adapter en permanence à un monde qui perd précisément sa permanence, un monde instable, provisoire, fait de flux et de trajectoires en dents de scie ».

L’arrivée de l’internet de masse, des réseaux sociaux, n’a fait qu’amplifier ce phénomène. Et la drogue de la performance, la drogue de compétition qu’elle permette d’être le meilleur fêtard ou le plus efficace des entrepreneurs, est plus que jamais au centre de notre norme sociale.

Devant ce bouleversement multidimensionnel, nous devons faire évoluer les réponses.

Comment dès lors adapter nos pratiques en matière de prévention et de réduction des risques ? Comment penser une meilleure articulation entre les champs des actrices et acteurs de l’addiction ? Comment développer de nouveaux outils 2.0 de prévention pour mieux accompagner et soigner les addictions du XXIème siècle ? Autant de questions auxquelles chercheurs, institutionnels, cliniciens et représentants du monde associatif tenteront de répondre lors de ces deux jours entre réflexions théoriques et expériences pratiques de terrain.

Et, vous le savez, agir et expérimenter pour s’adapter en permanence à l’évolution des besoins et des pratiques est au cœur de la politique parisienne en matière de prévention et de réduction des risques que nous menons depuis de nombreuses années.

C’est un travail en partenariat et en réseau, qui ne peut se faire qu’en concertation à la fois avec l’État, l’Agence régionale de santé mais aussi les acteurs de terrain associatifs  et les usagers eux même pour adapter les dispositifs de soins, d’accompagnement et plus généralement les stratégies de prévention à tous les niveaux, dans toutes les situations d’usages de drogues.

 

Compte tenu de l’importance du phénomène dans la capitale, comme dans toutes les grandes métropoles, nous avons fait le choix de soutenir à la fois les structures et les démarches allant de la prévention jusqu’à l’insertion des usager.es de drogue, sans oublier les riverains et la tranquillité publique.

C’est dans cette logique multidimensionnelle que la Ville a soutenu et soutient plus que jamais une approche de la réduction des risques qui a fait preuve de son efficacité.

Outre le renforcement  des outils de réduction des risques mis en place depuis plusieurs décennies dans notre département  (Caarud, distributeurs de matériels, maraudes, unités mobiles, prévention et informations concrètes dans les lieux festifs…) , la Ville de Paris s’est comme vous le savez fortement engagée pour l’ouverture de la première salle de consommation à moindre risques en contribuant à son implantation. Aujourd’hui, elle accompagne attentivement son fonctionnement.

Dix-huit mois après, nous en tirons un bilan sanitaire et social positif et nous devons aujourd’hui aller plus loin. En effet, le succès de cette salle, comme celle de Strasbourg, montre à quel point la question d’en ouvrir d’autres à Paris et en banlieue se pose.

Une salle d’inhalation pour les usagers de crack à Paris et une supplémentaire pour la consommation par voie intraveineuse ? Au vu de la situation dans le Nord de Paris et en proche banlieue, ce ne serait pas du luxe mais une nécessité !

Enfin, lutter contre l’exclusion, c’est aussi favoriser l’entrée et le maintien dans des structures d’hébergement de personnes consommatrices de drogues dont l’alcool. La Ville de Paris apporte ainsi sa contribution au rapprochement des actrices et acteurs du champ des addictions et de l’hébergement afin que les approches de réduction des risques s’y développent. Cette priorité est inscrite dans le Pacte parisien de lutte contre la grande exclusion.

 

Si les addictions sans produits, comme les jeux vidéos ou les écrans, sont une réalité que nous ne devons pas occulter chez les jeunes, la préoccupation majeure reste celle de la consommation de drogues et d’alcool chez ces publics particulièrement fragiles : précocité de l’entrée dans les conduites à risques, offre de plus en plus large et diversifiée des produits sur le marché, montée en puissance des pratiques d’alcoolisation excessive comme le Binge Drinking…autant de problématiques auxquelles nous devons faire face.

 

Pour mieux sensibiliser ces publics jeunes aux conduites addictives et aux risques qu’ils encourent, la Ville de Paris avec la mission métropolitaine de prévention des conduites à risques (MMPCR) dont je tiens ici à saluer le formidable travail, ont commencé à déployer à partir de 2007 des démarches de prévention spécifique avec des programmes innovants.

 

Ainsi la prévention des alcoolisations excessives chez les jeunes comme l’usage de drogues notamment le GHB actuellement reste aujourd’hui un axe fort du programme de prévention en milieu festif: Fêtez Clairs.

 

Ce dispositif, qui est copiloté par la Mairie de Paris et la Préfecture de Paris, est mis en œuvre par 12 structures de prévention auprès des discothèques, clubs et organisateurs de soirées ainsi qu’auprès de publics jeunes “fêtards” dans les festivals et l’espace public.

 

Pourtant, ce maître mot “réduction des risques”, qui n’a pas fini sa percée culturelle en France, implique un cadre à deux dimensions :

  1. Prévention, réduction des risques, santé et sécurité publique sont complémentaires et non opposées;
  2. La consommation de drogues doit être traitée dans un cadre plus global de promotion de la santé et de gestion des conduites à risques incluant la consommation d’alcool, de tabac, la sécurité routière, les maladies sexuellement transmissibles, les risques
    auditifs etc…

 

A Paris, comme dans beaucoup de grandes villes européennes, nous avons à la fois les usages et abus des anciennes drogues ou alcools, mais également l’arrivée de nouveaux usages ou un élargissement des populations concernés : du GHB qui devient la drogue du jeune et du pauvre, facile d’accès et très bon marché au crack qui touche une population de plus en plus large, nous devons toutes et tous faire preuve d’imagination, d’adaptation et connaissance fine du terrain pour que nos dispositifs permettent d’empêcher les morts bien sûr, parce qu’il en existe encore, mais aussi les situations d’extrême addiction et de déclassement social corrélées.

 

Ainsi depuis 2005, à partir du lancement du plan crack du nord-est parisien, nous avons commencé d’analyser le sens des conduites à risque des jeunes engagés dans l’économie de la rue, les motifs qui les poussent à y entrer et à s’y maintenir, les leviers possibles de prévention en amont ou en accompagnement à la sortie des trafics afin d’élaborer des stratégies de prévention et de réduction des risques pertinentes.

 

L’intérêt grandissant de la part des professionnel.les sur le crack, ainsi que les savoir-faire face à cette problématique qui émergent progressivement, nous ont amené avec la mission métropolitaine de prévention des risques à proposer fin 2016 la mise en œuvre d’un groupe de travail inter-qualifiant et interdépartemental paris Seine Saint Denis. Son but est de réunir des porteurs locaux de démarches existantes afin de partager leurs expériences et expertises, leurs éventuelles difficultés ou questionnements.

 

(Cette initiative réunit 14 professionnels des 19ème et 20ème arrondissements de Paris, des villes de Saint-Ouen, Saint-Denis, Sevran, Montreuil, Ile-Saint-Denis, Tremblay en France et Bagnolet.)

 

Ce groupe travaille à l’élaboration d’un référentiel intitulé « 10 repères méthodologiques », qui vise à soutenir les coordonnateur.rices de démarches territoriales de prévention et de réduction des risques sur cette problématique. Ils seront finalisés et diffusés fin 2018.

 

Enfin, j’aimerais terminer mon propos en rappelant la nécessité de poursuivre la mobilisation de l’ensemble des acteur.rices du territoire: institutionnel.les, professionnel.les, associations, usager.es et habitant.es… afin de mettre en œuvre une politique publique de prévention des conduites à risque plus efficace et solidaire car la prévention est et doit être l’affaire de toutes et tous.

 

Je vous remercie de votre attention et je passe sans plus attendre la parole à Christophe DEVYS, Directeur Général de l’Agence Régionale de Santé Ile-de-France.

 

 

 

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