COP21 : Que penser de l’Accord de Paris ?
L’accord du 12 décembre 2015 restera-t-il dans l’Histoire ? (lire l’article original sur EELV-IDF)
Samedi dernier, à la tribune de la COP21 au Bourget, Laurent Fabius et l’ensemble des responsables politiques présents n’avaient de mots assez forts pour se féliciter de l’accord universel trouvés à l’issue des deux semaines de négociations.
Le même jour dans Paris, des dizaines de milliers de citoyens exprimaient de façon joyeuse et créative leur attente et désir. Attente d’un accord ambitieux qui réponde véritablement à l’urgence climatique. Désir d’une transition vers un nouveau modèle de développement synonyme de paix, de solidarité, de frugalité et de justice.
Pas sûr qu’ils aient été satisfaits par le contenu de l’accord dévoilé le soir même et que de nombreuses ONG dénonçaient déjà comme très insuffisant.
Ce samedi 12 décembre – et depuis – ce sont bien deux lectures différentes de l’accord de Paris qui s’affrontent – et que nous présentons ici.
La première, plus institutionnelle, vous la trouverez dans les positions du Gouvernement, de Pascal Canfin ou ci-dessous dans l’analyse de Ronan Dantec, sénateur écologiste et acteur des négociations en tant que porte-parole des Gouvernements locaux et autorités municipales, qui se réjouit du succès diplomatique et du progrès que l’accord constitue.
La seconde lecture, plus critique, est celle de beaucoup d’ONG, associations et des 30 000 citoyens dans les rues ce samedi 12 décembre, dès le matin pour former le message Climate Justice Peace dans tout Paris, à midi dans la manifestation symbolisant les lignes rouges à ne pas dépasser, et l’après-midi au Champ de Mars pour les chaînes humaines et le dernier rassemblement devant le Monument de la Paix au cours duquel ils ont déclaré l’état d’urgence climatique ! Elle est aussi partagée par l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot.
L’infographie ci-dessous présente les principaux points de l’accord.
Pour Ronan Dantec, si évaluer un texte d’accord mondial sur le climat n’est jamais aisé, tant les phrases sont parfois ambiguës ou les objectifs évasifs, il faut savoir trancher: l’accord va-t-il dans le bon sens, ou au contraire, nous éloigne-t-il de l’impérieuse nécessité de stabiliser largement sous les 2°C la montée des températures? Sa réponse est claire : oui cet accord de Paris est un réel progrès, et pas seulement une victoire diplomatique, sur lequel nous devons appuyer nos dynamiques d’action. Pour 5 raisons au moins :
1. L’affichage d’un consensus international
Aboutir à un accord contraignant et à vocation universelle est un véritable succès, qui dit au monde la nécessité absolue de lutter contre le changement climatique. C’est une défaite pour tous les lobbys qui tentent depuis des décennies de ralentir toute transition énergétique.
2. Des objectifs ambitieux
En reconnaissant la nécessité de renforcer l’effort pour limiter l’augmentation des températures sous les 1,5°C, les 196 parties soulignent l’urgence de l’action. Tenir cet objectif est un défi très difficile au vu des trajectoires, mais il est désormais inscrit dans les objectifs de la communauté internationale.
3. Des mécanismes de révision assez rapides
Nous savons que les contributions volontaires des États sont insuffisantes et nous placent sur une trajectoire insupportable vers les 3°C d’augmentation. Aussi, la rapidité des révisions est essentielle pour l’avenir. Dès 2018, les parties devront refaire le point sur leurs contributions (s’appliquant à partir de 2020), avant un état des lieux plus complet en 2023.
4. Un travail étroit avec les acteurs non-étatiques
Pour engager la réduction des émissions avant 2020, l’accord de Paris consacre un chapitre complet à l’action des acteurs non-étatiques, et le renforcement du Lima Paris Action Agenda, l’agenda des solutions porté par les collectivités territoriales, les entreprises, les associations. La COP21 aura été la vitrine des dynamiques concrètes, elles sont enfin reconnues par les parties dans le texte officiel, c’est un point essentiel.
5. Un lien climat et développement
Le lien entre les objectifs de développement durable (adoptés en septembre à New York) et l’accord de Paris sur le climat est évident mais a tardé à être confirmé. L’accès à l’énergie pour les pays en développement à travers le déploiement des énergies renouvelables, les 100 milliards de dollars annuels de soutien au sud pour l’accompagner sur le défi climatique (atténuation et adaptation), une première intégration de la question des «pertes et dommages» pour les pays les plus vulnérables sont des paragraphes clés du texte.
Pour Pascal Canfin, l’accord est bon puisque «le verre est aux trois-quarts plein» avec un objectif de «zéro émission nette» après 2050, grâce à un équilibre (controversé) entre gaz émis et gaz absorbés par les «puits de carbone» (forêts, océans, techniques de capture et stockage du carbone). «Il y a deux ans c’était encore une utopie !» poursuit le nouveau Directeur général du WWF, pour qui «l’objectif de long terme est un signal fort et très important en direction des investisseurs. C’est là le tournant».
L’analyse est tout autre du côté des ONG, associations et mouvements citoyens qui ont rythmé la mobilisation climatique et avec lesquels Europe Écologie – Les Verts a suivi cette COP21.
Avec un peu de recul, « force est de reconnaître que si l’accord de Paris est un point de départ indispensable pour répondre au dérèglement climatique, il est très insuffisant pour l’enrayer » avance le RAC – réseau action climat – France.
En effet, les moyens sont insuffisants et le calendrier repousse à plus tard les efforts à fournir tout de suite. En dépit d’objectifs ambitieux affichés, rien ne garantit de les atteindre et il faudra que les États renforcent rapidement leurs engagements pour maintenir la hausse des températures bien en deçà de 1,5 ou 2°C.
Mises bout à bout, les contributions nationales mènent à un réchauffement global compris entre 2,7 °C et 3 °C, bien au-delà de la limite recommandée par les scientifiques, ce qui équivaut à franchir les seuils incontrôlables et irréversibles d’emballement climatique. « L’accord de Paris ne peut pas être considéré comme un succès » considère Yannick Jadot. « Cet accord universel marque incontestablement une nouvelle gouvernance, mais il est fondé sur du droit mou. C’est donc à nous, société civile, de faire le travail et de mettre la pression pour que l’accord s’applique et que son ambition soit régulièrement rehaussée » explique-t-il.
Le décryptage de l’accord par la Fondation Nicolas Julot pour la Nature et l’Homme n’est pas différent. « Si l’accord contient de nombreuses dispositions contraignantes, il n’introduit pas de contraintes sur le respect des engagements pris ni de sanctions. Il ne permet pas non plus de s’assurer d’une cohérence entre l’ambition de l’accord et celles des engagements nationaux ». Pourtant, la FNH y voit du positif – elle qui » n’attendait pas un accord miraculeux » mais un outil commun à l’ensemble des États qui transcrive dans le droit international une mobilisation sans précédent de toutes les composantes de la société.
Cet outil existe désormais, il faut s’en emparer et continuer la mobilisation car « c’est elle qui nous permettra de réussir ce à quoi les États ne peuvent pas s’engager sans elle ! Le métier est prêt, il ne reste plus qu’à tisser les motifs de la transition énergétique point après point. Partout les citoyens doivent continuer à faire pression ! Nous sommes le fil conducteur. »
Les porte-paroles du RAC, d’ATTAC , des Amis de la Terre ou d’Alternatiba ne mâchent pas leur mot pour dénoncer l’insuffisance de l’Accord de Paris et accuser les Chefs d’État de capitulation totale et de crime climatique !
Ils dénoncent à raison l’absence de toute mention des énergies fossiles dans l’Accord, alors qu’il y a justement urgence à désinvestir des combustibles fossiles, ainsi que l’incroyable disparition des mentions du commerce international (libre-échange, accord TAFTA) et des émissions du transport aérien et maritime – pourtant responsable de 10% des émissions de gaz à effet de serre mais qui réussissent grâce aux lobbys à ne faire l’objet d’aucun objectif contraignant !
Nous déclarons l’état d’urgence climatique, et continuerons sans relâche la mobilisation pour transformer le système extractiviste et productiviste à l’origine du dérèglement climatique en des sociétés soutenables plus justes, plus solidaires et en paix. Les Amis de la Terre
Le succès de la mobilisation citoyenne pendant la COP – relatif car compliquée par l’état d’urgence post-attentats et les tentatives d’intimidations des autorités – tout comme celui des actions non-violentes contre l’évasion fiscale (réquisitions citoyennes de chaises) illustrent magnifiquement bien la nécessité de construire un rapport de force avec les acteurs privés et publics que nous voulons faire bouger. Dans cette bataille, notre créativité, réactivité, discipline et intelligence collective sont des forces indispensables qu’il nous revient de cultiver partout où nous agissons et militons. Cette mobilisation produit déjà des effets visibles et concrets sur les entreprises et collectivités, comme en témoigne l’article de Novéthic.
Paradoxalement, la faiblesse de l’accord de Paris (objectifs évasifs, manque de contrainte et de moyens) peut devenir sa force explique Jade Lindgaard dans Médiapart. Puisqu’il ne livre pas le mode d’emploi précis de l’arrêt des énergies fossiles, à chacun d’en livrer l’interprétation qui servira le mieux son action de réduction des consommations énergétiques. L’accord de Paris est un socle et une boîte à outils, « il revient aux militants et penseurs de la transition vers un monde bas carbone et plus juste de les fabriquer ». Charge aux écologistes de s’en emparer et de trouver de nouveaux alliés pour agir ! Ils sont de plus en plus nombreux dans certains milieux économiques et parmi les pouvoirs locaux.
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A l’issue de cette COP21, il n’est pas finalement aisé d’apprécier la porté de l’Accord – voir le communiqué d’EELV le jour même et l’analyse de Lucile Schmidt le lendemain – et il est normal que les négociateurs se réjouissent du résultat de leur travail. Mais si beaucoup d’écologistes peuvent se réjouir d’avoir fait leur maximum pour alerter l’opinion sur la crise climatique et peser sur les négociations, seul l’avenir nous dira si les efforts passés et futurs auront portés leurs fruits et si le samedi 12 décembre 2015 restera dans l’Histoire.
Pour cela, le combat pour la justice climatique doit continuer partout sur la planète, de façon non-violente mais déterminée !
Le succès d’Alternatiba ou la victoire des ONG américaines contre l’oléoduc géant de Keystone montrent que nous pouvons gagner des batailles importantes, dans l’opinion publique mais aussi sur des projets concrets comme le refus des infrastructures climaticides dont l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un parfait exemple.
Conscients des faiblesses de l’Accord de Paris, nous appelons l’ensemble des écologistes à poursuivre la bataille urgente pour le climat, au sein d’EELV et à tous les échelons territoriaux bien sûr, mais aussi aux côtés des associations, ONG, collectifs ou mouvements écologistes et citoyens qui, chacun à leur manière et à leur niveau, travaillent au renforcement des alternatives citoyennes et initiatives de transition dans les territoires; à la pression sur les entreprises et les États ; à l’arrivée aux responsabilités d’une génération d’acteurs conscients des enjeux climatiques, et in fine « à la construction d’un rapport de force permettant de gagner des batailles décisives pour le climat dans les quelques années à venir » comme l’explique et l’expérimente le mouvement citoyen Alternatiba depuis plus de 2 ans.
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Wandrille JUMEAUX, porte-parole EELV Île-de-France
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Retrouvez les analyses de l’Accord de Paris COP21 sur le site de la Fondation de l’Écologie Politique > http://www.fondationecolo.org/blog/Que-penser-de-l-Accord-de-Paris