Les femmes, actrices singuliéres du commerce équitable
S’il ne fallait retenir qu’une rencontre de la Quinzaine du commerce équitable qui se clôt le 24 mai, ce pourrait bien être l’échange/débat entre les acteurs lillois du secteur et deux productrices, l’une venue du Nicaragua, l’autre du Pas de Calais. Participaient également à ce débat Benjamin de Poncheville, responsable marché Max Haavelar France, notamment pour le café, et Mme Meauxsoone, directrice de la société familiale Méo.
Organisée à la mairie de Lille, cette rencontre voulait conjuguer au féminin le commerce équitable en s’intéressant au rôle des femmes comme actrices du développement rural. L’idée maîtresse issue de cet échange a été résumé par Christiane Bouchart de façon limpide: pour ces femmes, le commerce – celui dont il est question: équitable – est un moyen et non une fin en soi. Malgré les parcours bien différents de chacune d’entre elles, leurs propos se rejoignaient nettement sur ce point.
Il était aussi intéressant d’associer une pratique du Nord, qui vise à développer les circuits courts à une expérience emblématique des rapports Nord-Sud engendrés par le commerce équitable: celle de la production caféiére.
Valérie Magniez a présenté sa démarche singuliére qui va bien au delà de l’élevage de chévre pour la production de fromage et de la fabrication du pain (dont l’activité est en conversion vers le bio). Basée à Hesmond, Valérie Magniez a développé son activité avec une double volonté:
- élaborer et écouler sa production dans le cadre de circuits courts, dans une zone rurale donc (à la différence des Amap, dont les acheteurs sont urbains ou péri-urbains).
- Associer pleinement les visiteurs et acheteurs à l’activité, en faisant fi des frontiéres habituelles : possibilité d’hébergement, participation à la fabrication du pain, à la traite manuelle des chévres, soin des animaux, apprentissage pour l’élaboration de fromage…
Des clients sont devenus des amis, et la modeste exploitation vit aussi au gré des visites, de coup de main imprévus… Valérie Magniez a décidé de nommer ce lieu La Halte d’Autrefois, alors même que rien ne la destinait à priori à aboutir dans ce coin du Pas de Calais: originaire de la Réunion, citadine, ayant fait des études de commerce, elle arrive dans la région du Nord pour le travail et en profite pour cultiver son jardin et cette envie de gestes en lien avec la nature qui germait depuis un moment. Une fois que le pied était posé, plus moyen de résister à l’appel. Il va de soi que cette bifurcation est d’abord une aventure humaine: tisser et renforcer les liens entre les individus.
Alexa Marin, elle, a bien reçu sa terre en héritage et son histoire est riche d’enseignement pour nous.
Productrice de café, détenant une hectare tout au plus, elle fait partie du conseil d’administration de Prodecoop, une coopérative réunissant 39 coopératives de base, 2300 producteurs, dont 30% sont des femmes.
Elle même mére célibataire de 2 enfants, vivant avec sa mére, elle a été à l’initiative d’une évolution majeure du fonctionnement de la coopérative et de l’intégration des femmes aux processus de décision. En 2003, elle est la seule administratrice, aux côté de 39 hommes. Une réforme législative du systéme coopératif est une opportunité à saisir qui va aboutir – après tout un travail de diagnostic, et bien des déplacements, sessions d’information – à l’article 83 du réglement de Prodecoop qui stipule la « participation réelle, effective et équitable des femmes ». Pour y parvenir, Alexa Marin a dû passer par des journées bien longues, partant à 4 heures du matin, rentrant à 23h00, confiant son bébé de 2 mois à sa soeur. Elle a obtenu gain de cause à force de volonté, plaçant chaque administrateur face à l’obligation de respecter les décisions des producteurs qu’il représente.
A partir du moment où ont été créés au sein de Prodecoop les commissions éducation, Certification, Formation (ces 3 derniéres rendues obligatoires par la nouvelle loi), et Femmes, le mode de fonctionnement s’en est ressenti:
Bien davantage de femmes ont la possibilité de participer aux formations, mieux adaptées à leur emploi du temps de chef de famille et de mére.
La répartition des revenus, et notamment de la part issu du label Commerce équitable, a été examinée de prés et a donné lieu à des attributions bien réfléchies: les 5 dollars correspondant à la prime du commerce équitable sont répartis comme suit:
- 1 $ en capitalisation
- 2 $ pour du projet social (dont 1.5 pour les bourses, matériel scolaire… et 0.5 attribué à un fond en faveur des femmes)
- 1 $ pour la coopérative de base (construction de route, écoles…)
- 1 $ pour la structure Prodecoop
Aujourd’hui, 80 % du café issu de Prodecoop est vendu dans le cadre du commerce équitable. C’est une femme qui préside la structure.
Et Alexa Marin ne manque d’évoquer le questionnement de certains face à sa détermination: mais que veut-elle à la fin ? Agrandir sa parcelle ? Acheter la ferme voisine ? Eh bien non dit-elle: ce qu’elle a tiré de ces années de travail en faveur des femmes, c’est la confiance en soi, la fierté du travail bien fait, le perfectionnement de son métier, la possibilité de se former et de vaincre une forme de timidité propre aux paysans, l’indépendance, l’épanouissement personnel en somme.
Voilà une leçon d’humilité et d’humanité qui ragaillardirait n’importe quel blasé !