Un autre regard sur le déplacement d’Eva Joly en Bourgogne
Texte et photos par Claude Lemmel, EELV Bourgogne, merci à lui !
Article original ici
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10h30
Je roule vers la gare TGV du Creusot pour faire partie de ceux qui accueilleront Eva à la descente du train.
Ce matin la presse est déchainée contre elle. Libération titre « Eva Joly, le calvaire des verts… Eva Joly, une femme d’inexpérience » et le Figaro « l’erreur de casting ».
Au moins un point commun entre ces deux titres, leur misogynie rampante. Le « sois belle et tais-toi », c’est pas trop son truc à Eva. Elle n’est pas là pour faire un « casting », ni pour avoir « l’expérience » de la langue de bois et du « politiquement correct » mais pour porter les idées écologistes en femme libre et « avec sa langue rugueuse ».
La journée promet !
11h15
Eva descend du train au milieu de la bousculade de journalistes qui l’a accompagnée. Elle est souriante, énergique, petites lunettes rouges, grand manteau vert, bref en pleine forme. Elle embrasse les militants qu’elle connait, serre chaleureusement la main des autres, et c’est parti pour Rully.
11h45
Point avec son équipe de campagne dans le bureau de François Lotteau, maire de la commune et secrétaire régional d’EELV.
Présentations, humeur décontractée, Alain Cordier offre à Eva une bouteille pour ses prochaines vacances, un rosé de Provence « Brégançon » ; des viticulteurs bio présentent un projet de cuvée « Eva Joly » pour la campagne. Décidement il sera beaucoup question de vin aujourd’hui, normal car la reconversion des l’agriculture et notamment de la viticulture au bio sera l’un des thèmes de la journée.
L’autre sera la rencontre avec les salariés du nucléaire et la nécessaire reconversion de leur industrie.
12h00
Conférence de presse sur la place du village. Il fait froid. Pas de quoi inquiéter une franco-norvégienne.
Madame,
Merci. Pour moi ce simple mot suffirait.
Mais je dois quelques mots d’explication devant l’impressionnante assemblée médiatique venue aujourd’hui dans mon village pour vous accueillir.
Je reprendrai un seul des qualificatifs dont vous affublent certains ces jours-ci : l’amateurisme.
Saviez-vous, Madame, que vous êtes un amateur ?
J’accorde à ceux que votre façon de faire de la politique désoriente, que vous n’êtes pas une professionnelle de la politique. Si l’on en juge par l’intensité de leur colère, je crois pouvoir dire qu’ils ont peur. Ils ont peur que les Françaises et les Français ne trouvent en vous celle qui porte le refus de la politique politicienne.
Ce matin, dans le Figaro, vous êtes une erreur de casting.
Vous ne jouez pas le jeu, en effet. Ça tombe bien, le jeu politique n’amuse plus les électeurs.
Ceux qui ne votaient plus choisiront celle qui dit : « stop ». Celle qui dit que la politique n’est pas une question de casting, ceux que la crise actuelle jette à la rue, perdent leur emploi, ne peuvent plus se soigner, sont victimes en première ligne des maladies professionnelles, celles et ceux dont les enfants subissent le plus durement les effets de la pollution de l’air ou de la dégradation de la qualité de l’alimentation.
Ceux qui ne votaient plus choisiront celle qui veut chasser Sarkozy, celle qui est prête sans aucune ambiguïté à apporter son soutien au PS pour y parvenir.
Mais celle qui dit en même temps que cela ne suffit pas. Celle qui dit que le soutien des écologistes n’est pas un chèque en blanc. Qu’il sera au contraire une garantie pour que l’alternance ne soit pas qu’un jeu politicien mais une vraie alternative.
Je crois qu’autre chose encore vous met au ban de l’oligarchie et des barons de la politique.
Vous êtes une amatrice, Madame, une erreur dans leur jeu parce que vous en refusez les règles, mais pourquoi subissez-vous leur mépris, leurs sarcasmes, leur haine parfois, en tout cas leur agressive condescendance.
C’est que vous êtes une femme.
Vous ne pouvez donner de leçons aux hommes.
On en est encore là, en France, on ne peut confier de choses sérieuses à une femme.
Mais votre cas pose problème à la classe politique masculine. Votre métier, la manière dont vous l’avez exercé, vos engagements, montrent ce que vous savez faire, ce que vous savez être.
Une femme qui tient tête, qui lutte et qui gagne, contre la corruption, contre les paradis fiscaux, contre l’asservissement de la politique aux affaires. Une autre façon de faire de la politique, menée par une femme. Les Françaises et les Français peuvent voter pour vous, pour « l’erreur de casting » que les écologistes sont fiers de soutenir.
Un exemple aujourd’hui : pendant que d’autres soi-disant responsables de l’économie et de l’emploi montrent une proximité inquiétante avec le lobby nucléaire, vous, nous rencontrons les travailleurs du nucléaire, ceux qui subissent les conditions de travail et les risques sanitaires de leur métier difficile, ceux qui risquent de perdre leur emploi dans des entreprises qui se vantent d’être des fleurons mais qui sont incapables de prévenir leur évolution.
Les écologistes, avec vous Madame, ne cèdent pas aux lobbies, mais sont aux côtés de ceux qui luttent, dans l’industrie nucléaire, pour leur emploi et leur santé.
Il faut sortir du nucléaire parce qu’il faut sortir de l’impasse.
Aujourd’hui, en Bourgogne, vous vanterez aussi la beauté, la culture transmise, l’art du goût, la saveur de la vie. Tout ce que l’écologie politique veut défendre et promouvoir. La qualité de la viticulture, la qualité de l’alimentation, produite par des paysans qui ont droit à la terre, droit à vivre de leur travail, leur lutte qui est la même dans toutes les parties du monde, nous en parlerons aussi cet après-midi.
Je vous souhaite, après les questions des journalistes, selon la tradition bourguignonne : ‘Bon appétit et large soif »
Bon, François vouvoie Eva en public. Pourquoi pas. En privé certains la vouvoient, d’autres la tutoient. C’est vrai que d’un côté elle a une force personnelle qui peut impressionner, mais de l’autre elle est simple et chaleureuse et met tout de suite à l’aise ses interlocuteurs.
Eva, souriante et pleine de conviction, fait une longue intervention sans notes. La parole est lente, appuyée, précise, très documentée. Elle connait ses dossiers sur le bout des doigts.
D’abord l’agriculture bio, ensuite rassurer les travailleurs du nucléaire : la sortie se fera progressivement, leurs compétences seront indispensables pendant des décennies encore pour démanteler des centrales en fin de vie, la reconversion vers les énergie renouvelable créera des marchés sur les métiers proches des leurs, notamment dans la métalurgie. Alors que les reconversions du textile ou de la sidérurgie n’ont pas été préparées et ont conduit à des gâchis industriels et humain, les écologistes prônent une anticipation des évolutions à venir et un accompagnement.
Ensuite c’est aux journalistes de poser des questions. « Irez-vous jusqu’au bout », « vous sentez-vous soutenue par votre parti », « quelles sont vos relations avec Cécile Duflot », … Avec patience Eva reexplique la complémentarité et la différence entre l’action du parti / les négiciations avec le PS d’une part et la campagne électorale / la défense des idées écologistes d’autre part. Elle affirme comment elle se sent non seulement soutenue, mais aimée par les militants et que la place est libre pour que les leaders nationaux s’impliquent dans la campagne.
Déception de certains journalistes qui auraient préférés du plus saignant, mais on est en politique, pas sur un plateau de télé-réalité et Eva remet assez séchement les chercheurs de ragots en place en leur demandant s’ils ont des questions à poser sur les derniers développement de la crise financière et que s’ils n’en ont pas, la conférence est finie.
13h00
Repas bio ; je passe les détails. Evidemment les Rully, blanc comme rouge, sont sublimes.
A boire avec modération et enthousiasme !
14h30
En route vers la cave d’un viticulteur bio. Eva est accompagnée par son équipe de campagne. Une toute petite équipe d’une dizaine de jeunes. Le plus âgé a à peine la quarantaine, les plus jeunes la vingtaine. Ils sont très proches d’elle, attentifs et respectueux. Ils veillent à sa sécurité avec efficacité et discrétion, évitant toujours de s’interposer entre elle et les citoyens qu’elle rencontre ou entre elle et les journalistes.
Dans la cave, c’est la cohue. Pour Eva ou pour les Chardonnay ?
Je me fais photographieur de journalistes. Je les interroge sur leur travail. A gauche une journaliste de Radio-France avec un superbe nagra, la Rolls-Royce des magnétophones. A droite une journaliste du site web de France-télévision interrogeant un de nos conseillers régionaux sur la mutation de l’agriculture vers le bio.
15h30
Bousculade de journaliste dans les vignes. Eva et le viticulture ont bien du mérite à échanger sur les méthodes culturales dans ces conditions !
Une photo assez étrange pour remettre en perspective les grandeurs et vanités du bruit médiatique.
17h00
Un premier direct devant la mairie de Rully et sous les regards curieux et amusés des enfants de l’école primaire. Celui ci, c’est pour i-télé et Canal+.
18h00
Une aile de la salle des fêtes du village a été transformée en centre de presse. Les journalistes bouclent leur papier, envoient des rushes vidéos ou des photos.
18h30
Le gros morceau prévu à la salle des fêtes, c’est la rencontre avec les salariés du nucléaire. patatras, la CGT qui avait d’abord donné son accord se dédie au dernier moment (à en juger par l’intervention de eader CGT pour défendre le nucléaire ce matin sur les radios, la consigne est venue d’en haut). Du coup la CFDT maintient son accord pour rencontrer Eva, mais en privé, sans les journalistes. Le seul espace libre, c’est la cuisine de la salle des fêtes. Va pour la cuisine. Evidement le principe des vases communicants ne tarde pas à jouer et on retrouve bientôt toutes les cameras et tous les micros dans la cuisine…
Restent les syndicalistes de Solidaire. Lors de leur dernier congrès ils se sont prononcés pour la sortie du nucléaire et n’ont donc pas d’états d’âme à dialoguer avec Eva devant les journalistes.
Eva et les syndicalistes de Solidaire font connaissance.
Eva commence par exposer notre programme sur la sortie du nucléaire et la reconversion industrielle vers les énergies renouvelables, puis elle écoute les demandes de la salle, note les questions. Ce qui est surprenant c’est le sérieux avec lequel elle va tenter de répondre à chaque question, avec clarté et pédagogie, sans esquiver y compris les questions difficiles. Nous savions qu’elle savait s’exprimer avec force. Nous avons découvert comment elle savait écouter et entendre.
Un moment dialogue avec les syndicalistes.
19h00
Et puis encore un direct, avec FR3 ce coup-ci.
Quelques minutes de concentration, de retour sur soi, avant de trouver la disponibilité, la concentration pour faire face aux auditeurs qu’elle peut imaginer derrière la camera.
20h00
Et puis enfin un temps de clôture avec les militants. L’un deux a amené une pancarte en patois « E va jusqu’au bout » ; elle sourit « vous pouvez compter sur moi ».
Un moment plus convivial, plus décontracté au terme d’une journée déjà longue.
Cette visite en Bourgogne nous aura appris beaucoup de chose sur Eva (et pas seulement qu’elle savait apprécier le bon vin !) ; pour elle ce n’est qu’une étape ; elle part aujourd’hui pour la Réunion, puis Mayotte. Retour en France jeudi pour présenter à la presse son équipe de campagne.
Et les journalistes ? Après toutes les bêtises racontées hier dans la presse, voici l’article dans Libération de ce matin :
Eva Joly tente de rassurer les salariés du nucléaire2012 . Après ses démêlés avec le PS, la candidate EE-LV était en déplacement en Bourgogne, bassin de l’industrie atomique hexagonale.
Retour aux fondamentaux : nucléaire et pinard bio. Pour sa première sortie après la tempête déclenchée par sa mise en retrait et son refus, mardi matin, de dire si elle appellera à voter François Hollande au second tour – une bourde rectifiée par elle-même quelques heures après -, Eva Joly a choisi hier la Bourgogne pour relancer sa campagne. A Rully, commune écologiste de 1 600 habitants, la candidate d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) à la présidentielle a commencé par du solennel. Grand manteau vert, écharpe blanche, pupitre en plexiglas installé sur la place Sainte-Marie sous une statue de la Vierge, Joly parle, sans notes, du «terroir», du «vin de qualité», de l’«agriculture paysanne créatrice d’emplois».
Remous. Côté nucléaire, l’eurodéputée est venue dans ce bassin de l’industrie atomique française «dire la vérité» : «L’industrie nucléaire va mal. La technologie française ne s’exporte pas […] depuis Fukushima.» Continuer l’atome, c’est «s’accrocher à une technologie dont plus personne ne veut dans le monde, c’est comme s’accrocher à la ligne Maginot et au Minitel».«Je suis venue dire aux salariés : ne vous inquiétez pas, nous n’allons pas faire comme l’Etat français a fait pour la sidérurgie ou le textile», promet Joly.
Elle le jure : «Il n’y aura pas de licenciements secs.»
Les remous de sa campagne ? «Si vous sortiez du microcosme parisien, si vous arrêtiez de vous copier les uns les autres, vous sauriez ce qu’il en est», lance Joly aux journalistes, rassurée par les retours venus de la base de son parti. L’ex-magistrate ne compte pas laisser le moindre doute sur sa volonté de poursuivre : «Je trace mon chemin,je me sens soutenue et aimée.»
La candidate d’EE-LV veut tourner la page. «On est sorti des scories de l’accord avec le PS», insiste Sergio Coronado, directeur de campagne de Joly. Nucléaire, agriculture bio, lutte contre les paradis fiscaux… «A part nous, personne n’évoquera ces thèmes-là, plaide-t-il. Y compris sur la crise. Le PS dit qu’il faut revenir à 3% [de croissance, ndlr] en 2013… Bon courage ! Eva, elle, est réalo sur les contraintes mais pense aussi que la politique doit avoir des marges pour relancer l’économie.»
«Ma chute arrangerait beaucoup de monde», confie Joly, d’un air malin, en aparté, juste après le déjeuner. «Tous les lobbys de la Terre seraient heureux […]. Tous les amis de Takieddine [homme d’affaires mêlé à des scandales politico-financiers, ndlr] aimeraient que ma parole ne porte plus.» Elle aurait été peu soutenue par la direction d’EE-LV ? «La direction a exprimé très clairement son soutien, répond Joly. Si plus de personnes de la direction veulent prendre part à ma campagne, ils sont les bienvenus.»
Etiquette. Joly poursuit sa journée dans une cave. Un coup de Chardonnay, un autre de Pinot noir. Devant les caméras, son staff s’amuse à coller une étiquette rouge et verte, «Cuvée Joly».«Vous voyez le pourcentage ? fait remarquer l’eurodéputée . C’est 10 plus x% !»
Un tour dans les vignes puis une rencontre avec des représentants syndicaux d’Areva. La CGT a annulé au dernier moment. La CFDT refuse de participer à la table ronde prévue. Joly discute avec eux dans la cuisine de la salle des fêtes.
«Fermer les réacteurs ça ne veut pas dire que les emplois sont terminés ! tente-t-elle de rassurer. Nous avons besoin de vos compétences.»«Chaque salarié à une famille à nourrir, lui rétorque un syndicaliste. Attention… quand vous tapez sur le nucléaire, quand vous êtes dure, les salariés du nucléaire, vous leur foutez la trouille !»«Mais il faut aussi regarder le sens de l’histoire, répond Joly. Sans nous, Areva a déjà des problèmes. On a perdu 20 000 emplois dans cette filière dans le plus grand silence !» La tempête est passée. Joly s’est remise à flot.
La seule chose qu’on peut reprocher à cet article, c’est d’avoir parlé de « pinard » pour les vins de Rully…