AZF 10 ans après : et à La Rochelle ?

Ce danger qui obsède

Par PIERRE-MARIE LEMAIRE (Sud-Ouest 21/09/2011)

LA ROCHELLE Stockages d’engrais, dépôts pétroliers, … : les 8 000 habitants de l’Ouest rochelais sont cernés par quatre sites Seveso

C’est un mauvais chemin vaguement goudronné, bordé d’herbes folles. D’un côté, de modestes maisons, avec leur courette ou leur jardinet ; de l’autre, des cuves monumentales, 54 au total. Elles contiennent 500 000 mètres cubes d’hydrocarbures et sont exploitées par deux pétroliers indépendants, Picoty SA (stations Avia) et la SDLP (Société des dépôts de La Pallice).

Nous sommes à La Pallice, quartier portuaire et populaire de La Rochelle. Ici, les risques industriels, on connaît. Ils s’inscrivent dans le paysage. Les hautes cheminées de l’usine Rhodia Terres rares voisinent avec les entrepôts de Gratecap (filiale de Total), où sont stockées des milliers de tonnes d’engrais nitratés. À peine plus loin, les silos de la Sica font la pige aux réservoirs de Picoty, dont les couleurs bariolées adoucissent à peine la silhouette menaçante. Quatre sites classés Seveso encerclent les quelque 8 000 habitants des quartiers de Laleu et de La Pallice.

Incertitude

Anne Pasquiou habite depuis six ans une petite maison du chemin des Remblais. « C’est le seul endroit de La Rochelle où j’ai pu trouver quelque chose dans mes prix. » Le dépôt pétrolier est au bout de son jardin, à une vingtaine de mètres. « J’ai appris ce qu’il y avait dans les cuves le jour où j’ai signé. Il était trop tard pour me désister. »

Incendie, explosion, boil over, pressurisation des bacs…, Anne Pasquiou est consciente de vivre à côté d’une bombe en puissance. Mais c’est moins le danger qui l’obsède que l’incertitude. Pourra-t-elle rester demain à La Pallice ?

« Ça me travaille »

Conformément à la loi votée après la catastrophe d’AZF, le préfet de la Charente-Maritime a prescrit un Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) dans le périmètre du dépôt Picoty-SDLP. Il prévoit notamment l’expropriation de neuf maisons au plus près du site, un droit de délaissement pour 23 propriétaires et la prescription de travaux de sécurisation pour quelques dizaines d’autres. « Moi, je fais partie des « délaissés », poursuit Anne Pasquiou. Soit je vends, soit je fais des travaux. J’attends pour me décider que les Domaines évaluent ma maison. »

À l’entendre, le lancement du PPRT a eu un effet inattendu. « Des gens qui vivent là depuis des décennies, avant même la construction des cuves, sont prêts à partir parce qu’on a réussi à leur faire peur. » C’est le cas de sa voisine, Judette Pagès, Palliçoise de souche : « Avant, je n’y pensais pas, maintenant, ça me travaille tout le temps. Des jours, on se met à pleurer, on ne sait pas pourquoi… »

Leçons du passé

À cette prise de conscience s’ajoute une crise de confiance. La préfecture et la mairie (PS) de La Rochelle ont donné leur feu vert à plusieurs projets industriels qui provoquent la colère des habitants : quatre cuves supplémentaires pour Picoty, une unité de broyage de ciment sur le port, encore des silos, un autre stockage d’engrais liquides…

Pour les habitants de La Pallice, la coupe est pleine. « Autoriser l’extension du dépôt pétrolier est une aberration, affirme Raymond Bozier, vice-président de Respire, leur association de défense. Il est urgent de réparer les erreurs du passé et de ne pas en commettre de nouvelles. »

Pour Marc Sénant, responsable « risques industriels » de France Nature Environnement, l’État « a bien tiré les leçons d’AZF mais ne les a pas concrétisées » : « Les mesures de protection des populations se font toujours attendre. Prenez deux photos aériennes de La Pallice, l’une de 2001, l’autre de 2011, vous verrez que rien n’a changé. Plutôt que de dépenser des sommes folles dans l’expropriation des habitants, mieux vaudrait investir l’argent public dans la réduction des risques à la source. Cela a été fait en Isère, par exemple, avec succès. »

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