Cette sécheresse qui irrigue le débat

La charente-Maritime en tête pour le nombre d’irrigants

jeudi 15 octobre 2009, par Jean Philippe BROTHIER

AGRICULTURE. Le débat sur l’irrigation et ses conséquences sur les niveaux d’eau relancé lors du débat d’ouverture de la session du Conseil général

Et il ne pleut toujours pas. L’automne est bien là avec ses fraîcheurs matinales et ses journées plus courtes. Mais le ciel reste désespérément bleu. Cette sécheresse obsédante, qui épuise les rivières, ravive également le débat sur l’irrigation et ses conséquences sur les niveaux d’eau.

Le pavé dans la mare…sèche… de Bernard Ferrier

Lors de l’ouverture de la session du Conseil général, qui se tient cette semaine à La Rochelle, Bernard Ferrier, élu Vert du canton de Marans, a rappelé des chiffres :« Notre département est structurellement déficitaire en eau estivale, du fait du développement de la maïsiculture irriguée intensive en monoculture. La culture de maïs représente, en Charente-Maritime, 56 000 hectares. Dans ces 56 000 hectares, 38 000, donc près de 70 % des cultures de maïs, sont irrigués. Cela représente environ 80 millions de mètres cubes chaque année, qui sont majoritairement prélevés dans les nappes souterraines. En comparaison, l’usage domestique représente 50 millions de mètres cubes. » L’investissement public ne favorise que quelques exploitants

« La seule mesure de long terme qu’on nous propose est la création de réserves de substitution financées à 70 % avec l’argent des contribuables. Sur le département, il est prévu un stockage de 18 millions de mètres cubes, pour 72 millions d’euros, donc 45 millions d’euros d’argent public. Et tout ça pour une faible proportion des agriculteurs. Cette situation qui favorise une minorité est profondément inégalitaire face à l’utilisation de l’argent public », poursuit-il.

« De 2000 à 2007, la Charente-Maritime a perdu 1 272 exploitations, qui sont passées de 6 271 à 5 000. Cela se traduit par une concentration et une augmentation de la surface moyenne cultivée. Cette course à l’extension favorise aussi la hausse des prix des terres labourables (entre 3 900 et 4 200 euros l’hectare en 2005 et jusqu’à 5 000 euros l’hectare aujourd’hui) ». Ce discours est nouveau dans l’enceinte de l’assemblée départementale.

Jean-Yves Martin, conseiller général radical de gauche de Saint-Jean-d’Angély, ville traversée par la Boutonne (donc particulièrement touchée par la sécheresse), apporte son filet d’eau au moulin du débat.

« Si l’on continue à subventionner des réserves de substitution à l’usage de quelques agriculteurs privés, je vous le dis, c’est la guerre dans le département ! ». La menace brandie par Jean-Yves Martin, lundi, en pleine session départementale ne vaut pas adhésion au mouvement des « anti-bassines ».

À l’inverse de son collègue de Marans, Jean-Yves Martin n’y est pas formellement opposé : « Tous les climatologues sont clairs, les étés vont être plus longs et plus secs. Ils se prolongeront régulièrement d’avril à octobre. L’eau sera indispensable, et le principe de récupérer les excédents en hiver n’est donc pas incongru. Mais à une seule condition, c’est qu’elle soit mise à la disposition de tout le monde, et d’abord des petites et moyennes exploitations qui en auront besoin pour cultiver leurs productions, leurs légumes, etc. Subventionner à hauteur de 70 % d’argent public des réserves dont seuls quelques maïsiculteurs privés auraient la jouissance est inadmissible ».

Une gestion publique au bénéfice se tous

Jean-Yves Martin propose donc de maintenir certains projets de réserves, mais d’en confier la gestion soit au Département, soit à un syndicat mixte à majorité publique.

« C’est en quelque sorte le modèle adopté il y a des années pour les châteaux d’eau ». L’intérêt ? « Les aides publiques seraient légitimées, l’utilisation de l’eau serait contrôlée, tout le monde pourrait en bénéficier ». Les Deux-Sèvres, notamment, expérimentent cette formule.

Concernant l’emprise foncière, Jean-Yves Martin estime qu’il serait « naturellement » préférable qu’elle soit également la propriété du gestionnaire, Département ou syndicat mixte.

À l’issue de la séance, le président Dominique Bussereau indiquait que cette proposition était « effectivement intéressante » et qu’elle « serait étudiée ».

Les chiffres de la Direction régionale de l’agriculture

Après quatre mois d’été aux séquelles bien visibles – on a parlé de 850 kilomètres de ruisseaux et rivières à sec en Charente-Maritime -, la Direction régionale de l’agriculture, dans sa revue « Agreste », livre ses statistiques .

Trois années sèches

Le déficit pluviométrique connu en 2009 n’est pas un phénomène isolé. Trois années sèches ont déjà marqué le territoire – 2003, 2005 et 2006 -, affectant de manière identique les quatre départements de la région Poitou-Charentes. Ainsi, en 2005, année la plus marquée, les conditions climatiques ont accru de 40 % les besoins en eau pour le maïs irrigué.

Un exploitant sur cinq irrigue

Réservée principalement à la culture du maïs, l’irrigation, qui s’était beaucoup développée dans les années 1980, diminue depuis 2001. Les surfaces déclarées irriguées en 2008 à la Politique agricole commune (PAC) couvrent près de 122 000 hectares en Poitou-Charentes contre 168 350 hectares en 2001, soit 30 % de moins.

Un peu moins de 4 000 exploitants ont eu recours à cette technique, soit un exploitant sur cinq. Les irrigants sont à la tête de plus grandes exploitations : 131 hectares en moyenne, soit le double de celles des non-irrigants.

La Charente-Maritime est en tête du peloton régional : sur 6 267 exploitations recensées sur le département, 1 687 irriguent 49 295 hectares, soit 40 % des surfaces irriguées régionales. La Charente est en deuxième position : 817 irrigants sur 5 544 exploitations.

Quel rendement ?

Le gain du rendement pour le maïs irrigué varie selon les conditions climatiques. C’est évidemment lors des années les plus sèches (en 2003, 2005 et 2006) que l’écart est le plus important, avec près de 35 quintaux à l’hectare de plus.

En 2007, les conditions météorologiques particulièrement favorables au maïs cultivé en sec ont limité le gain à 17 q/ha au bénéfice de l’irrigation.

Pour quel gain ?

« La PAC n’encourage plus autant le développement de l’irrigation », assure la Direction régionale de l’agriculture. Depuis la réforme de 2005, un « frein » est même mis à l’extension de l’irrigation.

Pour la région Poitou-Charentes, la différence de prime par hectare entre une céréale irriguée et une céréale non irriguée s’établit à 31 euros en Charente-Maritime et 46 euros en Charente. Le revenu supplémentaire apporté par l’irrigation s’élève, au final, à 6 400 euros par « unité de travail annuel non salariée », soit 23 % de mieux en moyenne (sur les trois années 2005 à 2007).

D’où vient l’eau ?

Pour 80 % des surfaces, les agriculteurs utilisent l’eau en provenance des nappes souterraines. Le pompage direct dans les cours d’eau concerne 13 % des surfaces irriguées. Les trois quarts des irrigants disposent d’un réseau individuel. Face aux restrictions de pompage prescrites en cas de déficit, des réserves de substitution (les fameuses « bassines ») ont parfois été mises en place. Elles concernent seulement 6 % des surfaces irriguées.

L’agriculture consomme enfin plus de la moitié de l’eau prélevée (54 % des prélèvements bruts) contre 40 % pour les usages domestiques.

Maintenant le point de vue de la Confédération paysanne

L’écologie. Agronomiquement, la monoculture de maïs hybride est une aberration, la culture du maïs, même en rotation est discutable. Malgré sa végétation exubérante, elle est un piètre puits à carbone en raison de son cycle de végétation court, du bilan humique déficitaire appauvrissant les sols en matière organique et donc en micro-organismes efficaces dans la séquestration du carbone. Son rôle, à l’inverse des prairies, presque aussi efficaces que les forêts pour les raisons ci-dessus, dans la lutte contre les gaz à effet de serre, est donc négligeable. Par ailleurs, en raison de son besoin important en azote, d’une protection herbicide poussée, surtout en monoculture, et de son cycle de végétation estival laissant un sol nu l’hiver exposé aux pluies hivernales, cette culture est à l’origine de la contamination des nappes par les produits chimiques phytosanitaires (lindane, atrazine) et par les nitrates. En monoculture, l’itinéraire technique nécessite l’usage massif de phytosanitaires (herbicides et insecticides) biocides pour la vie des sols et menaçant les ressources en eau. Ne parlons même pas de son usage en agro-carburant tant le bilan énergétique qu’il propose est mauvais, voire négatif !

Les réserves de substitution : la fausse bonne idée. Fausse bonne idée, d’abord parce qu’elles ne sont pas envisagées dans le cadre de l’indispensable préalable et qu’elles ne s’inscrivent pas dans une stratégie de réduction importante des volumes, mais dans un transfert d’une partie et d’une partie seulement des prélèvements estivaux durant l’hiver. Les prélèvements complémentaires pour atteindre les volumes nécessaires à la pratique du maïs continueront d’être réalisés sur les actuels forages dans des proportions suffisamment élevées pour affecter les équilibres et le milieu durant la période estivale, malgré pourtant la mobilisation d’enveloppes publiques importantes (70 % des réalisations). Par ailleurs, le remplissage des réserves risque de créer des régimes d’étiage sur les cours d’eau, dès la sortie de l’hiver. Cette situation, associée aux prélèvements estivaux maintenus risque de créer des déficits comparables à ceux observés aujourd’hui sans les réserves.

Existe-t-il de réelles alternatives aux maïs ? Le maïs essentiellement dédié à l’alimentation animale, en grain ou en ensilage, obligeant un complément azoté, permis par l’apport de soja importé du Sud (également exigeant en eau d’ailleurs) pourrait aisément se voir remplacé par des plantes plus « complètes » comme la luzerne, économe en eau, en matières actives, en fertilisants et offrant l’intérêt d’une source d’énergie et de protéines limitant ainsi la dépendance de nos élevages aux importations massives de soja (80 % OGM).

Ce choix permet également l’émergence de modèles herbagés, plus extensifs, plus en lien avec le terroir, plus propices à des démarches qualitatives et identitaires, économiquement autonomes et économes, avec un bilan carbone alléchant. Bref, un vrai cercle vertueux ! La production de grains et d’ensilage pourrait être assurée par une plante alternative au maïs : le sorgho. La qualité alimentaire de son grain et de son ensilage est équivalente à celle du maïs. Si sa productivité en grain est un peu inférieure, en revanche en fourrage, il rivalise, en quantité et en qualité avec le maïs. L’’intérêt de cette plante est également sa grande rusticité qui en fait une plante sobre à l’égard de l’eau, mais aussi frugale à l’égard des besoins azotés, phosphoriques et potassiques et donc offrant des coûts de productions très attractifs. Sa faculté à optimiser une faible dose d’eau – le tiers de celle nécessaire au maïs (source : Arvalis – Institut du Végétal) – pour atteindre des rendements élevés le place aux antipodes d’un maïs, qui certes valorise des apports d’eau importants, mais s’accommode très très mal d’un stress hydrique très vite pénalisant sur son potentiel.

En résumé, la pratique d’une irrigation ne prélevant que le volume offert par le milieu permet la production de toutes les espèces cultivées, sauf le maïs hybride irrigué en conduite intensive. Ces constats ne font que renforcer nos questionnements sur la pertinence des réserves de substitution.

jeudi 15 Octobre 2009

Remonter