Eva Joly : « Nous sommes tous des Grecs »

Mesdames, messieurs,

Ce que j’ai vu à Athènes devrait être vu par tous les dirigeants européens. Pourtant cela fait des mois qu’aucun n’a fait le déplacement pour aller voir sur le terrain les conséquences de la politique d’austérité.

Aujourd’hui, nous sommes tous des Grecs. Car ce qui passe en Grèce concerne tous les Européens.

Et ce qui est imposé aujourd’hui est inacceptable.

Que voulez-vous dire à une mère de famille qui voit son salaire réduit de 22 % alors qu’elle ne parvenait déjà pas à nourrir sa famille ?

Que voulez-vous dire à un jeune de moins de 25 ans qui est au chômage sans espoir de trouver un emploi comme la moitié de sa génération ?

Que voulez-vous dire à un retraité qui se trouve sans ressources depuis que les pensions ont étés baissées ?

Aujourd’hui en Grèce, il y a un sentiment de désespoir et de révolte profonde. Les citoyens craignent une dérive autoritaire. Ils ont l’impression d’avoir été abandonnés par l’ensemble des politiques quelques soient les partis. Ils ont le sentiment qu’il n’y a plus d’espoir, et que quoi qu’il arrive l’État jouera toujours contre eux.

Ils ont accepté un premier plan d’austérité, sans broncher.

Ils ont accepté un second plan d’austérité, parce qu’ils savaient toujours que des réformes étaient nécessaires.

Aujourd’hui, ils en sont au neuvième et la situation ne fait que se détériorer et les conditions sont toujours plus dures et violentes.
Après le vote du Parlement dimanche de la semaine dernière, ceux qui avaient voté « pour » ont cru au moins que le financement serait débloqué immediatement. À ce jour, les fonds prévus par la Troïka n’ont toujours pas été envoyés.

Les mesures imposées par la Troïka sont bien connues. Ce sont les mêmes mesures que le FMI a imposé en Afrique, en Argentine ou au Brésil sous le nom de Plan d’Ajustement Structurel. Ces remèdes ne marchent pas, et le remède en devient vite le poison.

La Troïka obéit à une idéologie néo-libérale plutôt qu’à une logique de développement d’un pays.

La crise n’est pas uniquement une crise financière. Les conséquences de cette crise sont d’abord sociales et écologiques.

Sociales, parce que c’est l’injustice qui règne. Tandis que de riches grecs continuent de bénéficier du secret bancaire pour protéger leurs économies en Suisse et que la corruption est très répandue, la majorité des Grecs se trouvent aujourd’hui dans l’exclusion et le dénuement.

Environnementales, parce que la politique d’austérité touche aussi l’environnement. Tout d’abord, les Grecs se nourrissent chaque jour plus mal avec ce qu’ils trouvent et ce qu’ils peuvent, mettant en danger leur santé. Mais aussi parce que l’orthodoxie libérale amène à sacrifier les principales ressources, notamment en légalisant toutes les constructions illégales sur le littoral, comme l’a dénoncé le directeur du WWF.

Pourquoi, en tant que candidate à l’élection présidentielle française, me suis-je rendue en Grèce ?

Parce que ce qui se passe là-bas ne fait que préparer une récession dans toute l’Europe.

Les premières mesures qu’a subies la Grèce, nous les connaissons déjà : forte hausse de la TVA, recul de l’âge de la retraite, diminution du nombre de fonctionnaires.

La solution à la crise en Grèce comme en France, c’est l’Europe et l’Écologie.

L’Europe ne doit pas être le problème, elle est la solution.

C’est uniquement par une solidarité européenne majeure que nous parviendrons à stopper l’hémmoragie sociale qui touche la Grèce aujourd’hui, mais se répand déjà au Portugal, en Espagne, en Italie, et peut-être demain en France.

C’est uniquement par un saut fédéral et démocratique que nous pourrons donner un cadre à l’action que nous devons mener dans l’ensemble de ces pays.

Ceux qui disent agir au nom de l’Europe et agissent en fait aux ordres de Merkel et Sarkozy sont en train de défaire l’Europe, car ils la transforment en menace plutôt qu’en facteur de paix.

Avec le Groupe des Verts au Parlement Européen, cela fait plus d’un an et demi que nous portons cette parole. Sans la solidarité et la justice, il n’y aura pas de prospérité.

C’est pourquoi il nous faut un nouveau traité qui vise non pas à rassurer les banques et les financiers de la City et des grandes places européennes, mais qui mette au coeur de leur souci les citoyens, en commençant par les citoyens grecs.

J’ai baptisé ce traité, « Traité d’Athènes », parce que je pense que l’ensemble des dirigeants européens devrait venir se pencher sur la situation de la Grèce et y apporter les réponses, plutôt que de la regarder de loin comme un fardeau. Nous sommes tous concernés.

Nous devons mettre en commun nos dettes au niveau européen pour que le fardeau soit partagé, renégocié et n’écrase pas un pays.

Nous devons imposer une législation qui écrase le secret bancaire et aide à lutter contre les paradis fiscaux, avec une taxe sur les transactions financières, pour qu’il n’y ait pas d’un côté les victimes, et de l’autre les bénéficiaires de cette crise.

Nous devons remplacer le pacte de stabilité qui est devenu un pacte d’austérité, par un pacte de solidarité.

Nous devons permettre un grand plan d’investissement écologique au niveau européen, pour qu’en Grèce comme dans le reste de l’Europe, nous puissions prendre la voie de la transition écologique et de la création de nouveaux emplois. C’est ce que les Grecs attendent aujourd’hui.

Nous devons réussir un fédéralisme budgétaire qui mette en commun un budget européen, un impôt commun et les moyens d’agir.

Nous devons mettre en place un audit européen des dettes publiques pour que la transparence soit faite sur les conditions dans lesquelles nous sommes arrivés là.

Le traité proposé par Merkozy nous pousse dans la même impasse que celle proposée par la Troïka en Grèce, parce qu’il poursuit les recettes idéologiques qui ont échoué en Grèce comme ailleurs.

Nous avons besoin d’un Mécanisme Européen de Solidarité.

Le Mécanisme de Stabilité tel qu’il est proposé au vote de nos assemblées ces semaines ne répond pas à la crise. Il prévoit des conditions sans préciser lesquelles : pourront-elles être demain un dixième ou un onzième plan d’austérité en Grèce ?

Le MES n’est pas un Trésor européen qui nous permettrait d’appuyer la Grèce. Le MES tel qu’il nous est proposé n’est pas suffisant, car il est lié à une potion amère qui est inacceptable.

C’est pourquoi nous refusons le piège de Sarkozy qui voudrait résumer l’Europe à son match avec Marine Le Pen : l’austérité pour tous, ou la sortie de l’euro.

Ce n’est pas la vocation de l’Europe que d’être l’otage des replis nationaux et des égoïsmes politiques. D’autres solutions existent.

Ces réformes, elles ne sont pas pour dans six mois ou dans un an, nous pouvons les mettre en place dès maintenant.

J’ai écrit une lettre il y a quelques mois à l’ensemble des candidats à la présidence de la République , je renouvelle mon appel : mettons-nous tous autour d’une table et allons proposer les véritables solutions au niveau européen. Allons rencontrer l’opposition allemande, qui elle n’a pas choisi la cure d’austérité imposée par Merkel et Sarkozy.

Je lance un appel à toutes celles et ceux qui croient dans l’Europe. Nous devons sauver la Grèce pour sauver l’Europe. Nous pouvons sauver l’Europe pour sauver l’ensemble des citoyens du péril de la récession.

L’austérité n’est pas une fatalité.

La Grèce ne peut pas attendre.

L’Europe ne peut pas attendre.

Je vous remercie.

Eva Joly

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