Eva Joly : «Hollande, candidat classique de la gauche classique»

Mediapart 23 janvier 2012
Par Stéphane Alliès et Lénaïg Bredoux Mediapart
La candidate écologiste, à la peine depuis le début de la campagne, espère que le premier grand meeting de François Hollande permettra d’ouvrir le débat entre ses « solutions nouvelles » et la « gauche classique ». En marge de cet entretien, elle nous confiera son étonnement de se voir sans cesse demander quand elle va se retirer. Et, sirotant son martini rouge, elle a assuré sa volonté d’aller au bout. Sa marque de fabrique ? D’abord et avant tout l’écologie. Entretien.

Quel bilan faites-vous du premier grand meeting de campagne de François Hollande ?
J’y vois des possibilités de convergences. Je pense au non-cumul des mandats, à la parité, au droit de vote des étrangers, à la fin des privilèges. Mais François Hollande n’a pas dit un mot d’écologie dans son discours. Cela me donne une obligation de résultat ! Parce que c’est important que quelqu’un porte les idées nouvelles. Lui, c’est le candidat classique de la gauche classique. Moi je suis la candidate des solutions nouvelles et de la transformation écologique. Je veux que nous changions de vision.

Quand François Hollande dit que son ennemi est la finance, j’en prends acte. Mais si on veut réellement agir, on ne peut pas faire croire que la finance vit toute seule, alors qu’elle a été promue à cette place par des régimes politiques, soumis au libéralisme, et plus précisément par la droite ces dix dernières années.

C’est le gouvernement de Nicolas Sarkozy qui a freiné des quatre fers lorsque j’ai porté au parlement européen les idées de limitation des institutions financières. La France ne nous a pas du tout soutenus ! Or là, c’est bien de Nicolas Sarkozy qu’il s’agit, mais François Hollande ne le dit pas… Pourquoi ne le dit-il pas selon vous ? Est-ce un manque de volonté politique ? Un manque de clarté. Du coup, sa dénonciation semble un peu facile… Mais je n’entrerai pas dans les procès d’intention. Moi j’aurais dit que ce sont mes adversaires politiques qui ont créé cette situation et que la finance n’a pas pu prospérer seule.

Hollande évoque tout de même la création d’emplois liée à l’isolation thermique des bâtiments…
C’est vrai. Je me retrouve aussi dans la limitation des loyers, mais François Hollande n’est pas très précis. Moi je suis pour un moratoire de trois ans sur les loyers et je défends la création de 900.000 nouveaux logements sur neuf ans. En fait, nous sommes plus volontaristes que François Hollande.
Globalement, il y a encore beaucoup de chemin à faire ensemble : sur la réduction de la consommation d’énergie, la lutte contre le dérèglement climatique… La gauche a besoin d’une boussole écologique. Grâce à la transition énergétique, nous pouvons créer un million d’emplois d’ici 2020.

Mais dans le contexte de crise, avec la note de la France qui vient d’être dégradée et les menaces qui pèsent sur la zone euro, est-il vraiment possible de porter une alternative, et non seulement une alternance, et d’être justement cette « candidate des solutions nouvelles » ?
C’est bien pour cela que je suis toujours candidate et que je me bats dans des circonstances difficiles ! C’est parce que je pense que les solutions classiques ont vécu. François Hollande croit toujours qu’il va redémarrer avec la croissance. Nous, nous savons que ce n’est pas vrai. L’erreur serait de dire que la crise nous empêche d’investir. Il faut investir pour assurer l’emploi et l’avenir.
Sinon nous allons être tirés vers le bas. Moi je veux créer un cercle vertueux qui va nous sortir de la crise. Je veux améliorer le pouvoir d’achat en réduisant les factures des familles : grâce aux travaux de rénovation, on peut réduire par deux ou trois la note d’électricité ! Les solutions au pouvoir d’achat, c’est de vivre mieux, pas d’avoir toujours plus.

Mais avez-vous l’impression que les électeurs que vous voyez sur le terrain sont pris dans un étau de contraintes ? Qu’ils sont résignés ?
La résignation est du côté des politiques. Les Français veulent que ça change. Beaucoup se vivent comme très exposés, au bout du rouleau, mais souvent c’est parce qu’ils ne sont pas entendus.
Récemment, j’ai rencontré à Nantes des salariés de Pôle emploi : vous avez des agents qui étaient des accompagnateurs pour aider les chômeurs à se réinsérer. Aujourd’hui, les nouveaux critères d’efficacité empêchent ces agents de faire réellement leur travail. Ils ont un sentiment d’inutilité, de frustration et de souffrance. Dans ce sens, le sommet social de Nicolas Sarkozy est une parodie ! Un sommet social de trois heures ? Mais une telle réunion devrait durer dix jours…
Il faut prendre le temps d’écouter, puis de chiffrer les besoins. Il faut construire avec ceux qui savent. Ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui et ça, cela crée de la souffrance. Moi je crois qu’il y a des souffrances qu’on peut soulager : on peut améliorer la vie des citoyens et donner du sens sans que cela soit nécessairement coûteux.

Vous dites parfois que vous voudriez importer le modèle social scandinave en France. Comment le définiriez-vous ?
C’est tout simplement le respect des citoyens. Quand on prépare une réforme, on ne s’attend pas à ce que le conseiller du ministre écrive ça un dimanche matin sur la table de cuisine ! Il faut discuter de cette réforme avec toutes les parties. Je prends l’exemple que je connais bien du code pénal : il faut parler avec les avocats, les juges, mais aussi les médecins, les travailleurs sociaux, les infirmières. Il faut les écouter, puis construire avec tous les éléments qui en ressortent…

Mais pour revenir sur l’atmosphère en France aujourd’hui : François Hollande est convaincu que les Français ont besoin d’apaisement. Jean-Luc Mélenchon, lui, dit qu’ils sont en colère. Qu’en pensez-vous ?
Je crois qu’avant tout les Français ont besoin d’espoir et d’avenir. Moi ce que j’ai entendu à Nantes, comme dans beaucoup d’autres endroits, c’est : “On ne me voit pas, on ne m’entend pas et on me traite avec arrogance.”

Comment expliquez-vous que votre projet qui est chiffré…
…et je suis la seule jusque-là. Ce projet porte par ailleurs sur une croissance de 0,8 %, ce qui montre que j’avais raison !

Mais vous peinez pourtant à être audible. Exemple, lors de la nuit de l’égalité, vous faites toute une série de propositions mais la seule retenue est celle de deux nouveaux jours fériés… Pourquoi ?
C’est la loi du système médiatique. Surtout, on a maltraité cette proposition : on a dit que ce n’était pas laïque. Mais c’est ne rien comprendre à ce qu’est la laïcité. Là aussi, il s’agit de supprimer un peu de souffrance. Celle de l’enfant juif qui fête Kippour et qui va marquer dans son cahier d’absence pour l’école “raisons personnelles ou familiales”. Qu’est-ce que cela coûterait d’avoir deux nouveaux jours fériés pour tous les enfants, un pour une fête juive, l’autre pour une fête musulmane, et qu’on réduise d’autant les vacances ? Dans les classes, ce serait une dignité, une égalité, une laïcité plus grandes. Quand on est réellement laïque, on admet que les religions aient les mêmes droits.
Aujourd’hui, les réactions à cette mesure montrent un repli de la société, une peur, une violence… Cela m’inquiète. C’est un rétrécissement de la société. Mes idées dérangent. Mais vous savez, je ne me suis pas engagée en politique pour mon intérêt personnel. Ce n’est pas une posture ! Car les postures sont méprisables. Comme dire qu’on est un résistant, comme le fait François Bayrou dans son dernier meeting. D’où tire-t-il ce titre de gloire ? Il n’a risqué sa vie nulle part. Ou alors la langue ne veut plus rien dire. A mes yeux, il s’agit, là, d’une imposture.

Dans ce jeu de postures, vous avez du mal à imposer vos propositions ?
Je crois à l’intelligence des électeurs, aussi, j’ai fait l’effort dès le début de la campagne de chiffrer mes propositions. Désormais, François Hollande a mis des propositions sur la table : le débat est possible. Fraternel, mais vigoureux.

Hollande a affirmé son ancrage à gauche au Bourget. Sur quels thèmes peut désormais s’imposer ce débat que vous espérez ?
Ce n’est pas une simple question de thèmes : c’est une logique globale. Je porte la transformation écologique de la société. François Hollande est un social-démocrate tempéré. La campagne est encore longue. Mais chacun voit bien que l’écologie n’entre pas dans son champ de pensée. Sur la sortie du nucléaire, la montée en puissance des énergies renouvelables, l’agriculture biologique, l’abandon des pesticides, la fin des grands travaux pharaoniques, je veux réussir le rendez-vous de la France et de l’écologie.

Vous citez des éléments de programme qui ne figurent pas dans l’accord avec le PS. Ne pensez-vous pas que cet accord est, avec le recul, un énorme piège ? Pour l’instant, François Hollande dit qu’il n’en appliquera qu’une partie, abandonnant notamment la fermeture des 24 centrales nucléaires. Et si vous faites un mauvais résultat, l’accord électoral pourrait aussi être mis à mal aux législatives…
C’est la raison pour laquelle ceux qui veulent un vrai changement doivent voter pour moi. Il n’y a pas d’écologie sans les écologistes.

Et vous pensez devoir vous recentrer sur le cœur de cible de l’écologie ?
Ce n’est pas un recentrage. Ma campagne n’a jamais cessé d’être écologiste. J’ai juste élargi notre champ d’intervention. Cela a pu surprendre, mais je l’avais annoncé dès la primaire. Le PS veut imposer la thématique du vote utile, qui est un acte d’autorité sur le reste de la gauche. Quel vote est le plus juste ? Ce n’est pas l’alternance seule qui compte. L’alternance pour mener une autre politique d’austérité sans créer de marges de manœuvre serait décevante et désespérante. Je ne mets pas tant François Hollande en cause, personnellement. Mais l’alternative doit exister.

Au PS comme au Front de gauche, on dit ressentir une adhésion au vote Le Pen, sur les marchés et dans les porte-à-porte. Votre République irréprochable est-elle une réponse au “tous pourris” ?
Marine Le Pen n’a aucune légitimité pour s’arroger le monopole de la morale publique, bien au contraire. Moi j’ai prouvé par ma carrière ce qu’était défendre la transparence. J’ai risqué ma vie pour ça. Elle, elle s’est donné la peine de naître avec une cuiller en argent dans la bouche, et va hériter de la fortune d’un ancien tortionnaire d’extrême droite, qui en a lui-même hérité dans des conditions sordides. Je ne demande pas mieux que de débattre avec elle.

Comment expliquez-vous que vous ayez du mal à trouver un espace dans la campagne…
Si on prenait un chronomètre, on se rendrait compte du temps que je passe à commenter les candidatures des autres ou mon éventuel retrait… C’était déjà le cas face à Nicolas Hulot. Une semaine avant, tout le monde me disait que j’allais être écrasée. C’est maladif dans les médias. Je crois qu’un fois encore, je peux créer la surprise.

Par rapport aux autres scrutins, vous ne semblez pourtant pas la mieux placée pour mobiliser ceux qui s’abstiennent d’habitude…
Je fais énormément de déplacements, et je suis très bien reçue dans les quartiers. Comment vous convaincre ? Si vous me suiviez dans le train ou dans la rue, vous verriez qui sont les gens qui m’arrêtent et me parlent dans la rue. Il se passe quelque chose.

Votre engagement pro-européen est-il compatible avec le vote de ceux qui se sont opposés à la constitution européenne en 2005 ? Admettez-vous aujourd’hui une critique de ce qu’est devenue la construction européenne ?
Aucun partisan de l’Europe ne peut se satisfaire de son état actuel. L’Europe reflète l’état politique des pays membres. Aujourd’hui, ils ne sont que trois à ne pas avoir un gouvernement libéral ou ultralibéral. Quand la crise financière et européenne a éclaté en 2008, le commissaire au marché intérieur était libéral. Mais cet aveuglement doctrinal collectif est sur la fin. Dans tous les pays, les élections sanctionnent les sortants. Tout cela est conjoncturel, il n’y a rien d’illogique à ce que des institutions inter-étatiques ne protègent pas les citoyens, mais on peut s’organiser pour que cela change.
L’Europe souffre aussi aujourd’hui d’un déficit démocratique : le Parlement ne pèse pas assez. Ma volonté est de faire évaluer tout ça, notamment pour imposer des taxes écologiques aux frontières de l’Europe.

En quoi vous différenciez-vous des tenants de la démondialisation comme Arnaud Montebourg ?
Je défends davantage une Europe fédéraliste que je n’ai la volonté d’instaurer des barrières nationales. Ma France ne se construit pas contre le reste du monde. Elle cherche à imposer d’autres règles dans la mondialisation.

Soutenez-vous les initiatives en faveur d’un audit de la dette européenne, et êtes-vous pour une annulation partielle des dettes liées au marché financier ?
Il faut voir et écouter les arguments avancés. L’endettement lié au renflouement des banques doit être traité à part, c’est une certitude.

Quand vous dites cela, vous êtes plus proche de Mélenchon que de Hollande ou de Bayrou…
Je suis plus proche de son volontarisme. Mais Mélenchon est anti-européen sur bien des aspects, et voudrait que la France s’isole. Or l’échelon européen permet d’agir dans le monde. Personne ne peut l’oublier.

Vous restez persuadée de la réussite de votre candidature ?
Oui, j’ai un mandat de tous les écologistes pour mener cette campagne. Et cette campagne est financée par les citoyens. Nous avons déjà recueillis 200.000 euros de dons, parmi lesquels beaucoup de dons de 5 ou 10 euros. Et je reçois des mails de RMIstes qui me disent « 5 euros, c’est beaucoup pour moi, mais je vous les donne ». Je ne me vois pas leur expliquer que je me retire parce que des commentateurs médiatiques me le conseillent…
L’entretien a eu lieu dimanche soir, après le meeting de François Hollande, dans un bar non loin de la gare Montparnasse. Il a duré une heure et a été relu et amendé par Eva Joly et son directeur de campagne (en fait quelques formules ont été précisées, mais rien n’a été enlevé).

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