Tribune de José Bové « Un Etat pris en faute »

Un Etat pris en faute

A l’origine du conflit de Sivens est la défaillance grave de l’Etat dans la gestion du dossier quant aux procédures et moyens juridiques utilisés comme dans l’acharnement policier pour imposer la destruction de la zone humide. Le Conseil Général, soutenu par le Préfet et donc le Ministre de l’Intérieur, ont délibérément construit une spirale de violence qui a conduit, le 26 octobre, à la mort de Rémi Fraisse. Ce drame a émut l’ensemble de notre société et impose de remettre en cause les procédures de décision et d’imposition de ce type de projet.

En 2013, la Préfète du Tarn signe la Déclaration d’Utilité Publique pour les travaux relatifs au projet de retenue d’eau de Sivens et aux mesures compensatoires. En septembre 2014, grâce à la mobilisation, deux experts mandatés par la Ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, remettent en cause l’intérêt et le dimensionnement du projet. L’Etat se dédie lui-même. La sacro-sainte DUP, qui ne tolère jamais de remise en cause, est bien mise à mal.

Seule la vigilance citoyenne a permis de mettre au jour d’un côté les incohérences du projet (le nombre d’agriculteurs concernés, le financement de l’investissement et du fonctionnement du projet, la faiblesse des mesures compensatoires) et de l’autre de proposer des alternatives pour soutenir l’agriculture paysanne et préserver l’eau. Ces remarques n’ont jamais été notées dans le rapport du Commissaire enquêteur. Il reste aujourd’hui à en tirer les conséquences pour le fonctionnement de notre démocratie.

Défaillance de la démocratie

Notre démocratie représentative est en crise. La démocratie locale n’y échappe pas, bien au contraire, car elle reste figée et non partagée. N’en déplaise aux élus du Tarn, le mot Michel Debré selon lequel «la démocratie, c’est on vote tous les sept ans pour un président et entre les deux, on ferme sa gueule» ne fonctionne plus.
Ainsi la légalité d’un projet ne va pas forcement de paire avec sa légitimité, quand les citoyens constatent qu’il ne répond pas à l’intérêt général.

L’impossibilité de détruire un ouvrage public

« Ouvrage public mal planté ne se détruit pas » dit l’adage du droit administratif. On ne touche donc plus à un équipement même si les tribunaux ont conclu à son inutilité ou à une défaillance dans la procédure de construction. Mais votre maison, elle, peut être détruite si le permis de construire n’a pas été intégralement respecté. Ce n’est pas compréhensible !
Pas besoin d’aller bien loin de Sivens, pour constater cette aberration. Le barrage de Fourogue, situé près de Carmaux et toujours dans le département du Tarn, est construit à la fin des années 90, avec le même usage annoncé de l’eau à savoir étiage et irrigation. La Compagnie d’Aménagement des Coteaux Gascogne (CACG), est à la manœuvre. Malgré la décision du tribunal administratif qui ordonne l’arrêt du chantier, décision confirmée en cour d’appel, les travaux sont menés à terme et l’ouvrage fonctionne aujourd’hui en toute illégalité.
A Sivens, la CACG est encore dans le coup et de nouveau juge et partie. Elle a réalisé les études de dimensionnement et est maître d’œuvre du chantier.
L’irréversibilité des travaux et les conflits d’intérêts qui entachent le projet légitiment de fait l’occupation du site par ses opposants pour bloquer le chantier et ouvrir le débat sur les alternatives. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait au Larzac, il y a quarante ans, dans la non-violence, en restant dans les fermes expropriées ou en installant des paysans pour squatter les bâtiments vendus par des spéculateurs à l’armée.

Pour une réforme de l’utilité publique

La société civile, l’expertise plus horizontale des associations doivent s’approprier le débat public. Après Notre-Dame-des-Landes, Sivens et tant d’autres projets inutiles et imposés, le processus de l’utilité publique doit être remis à plat. Cela passe notamment par l’intégration des populations concernées par les projets, le bannissement des conflits d’intérêt ou encore le contrôle de conformité aux directives européennes en amont.

José Bové

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