Pour la rapporteur sur la réforme de l’OLAF, Ingeborg Grässle (PPE, Allemagne), le rapport du comité de surveillance sur l’enquête de l’Office européen de lutte antifraude autour de John Dalli constitue « un impressionnant document de violations de la loi, d’infractions aux droits fondamentaux et de travail d’investigation fumeux par le directeur général de l’OLAF ». Elle renouvelle le 13 mai son appel à la démission de Giovanni Kessler, le « strict minimum » selon elle.
Le rapport du comité de surveillance de l’OLAF, chargé de contrôler ses travaux, a fuité dans la presse maltaise. Il confirme ce que son président, Herbert Bösch, avait déjà partiellement indiqué aux députés européens de la commission du contrôle budgétaire. Ainsi, alors que le rapport d’enquête de l’OLAF aurait dû parvenir au comité de surveillance au minimum 5 cinq jours avant son envoi aux autorités judiciaires maltaises, les membres du comité ne l’ont reçu que la veille. Ils se plaignent également d’avoir reçu un dossier non numéroté où les documents n’étaient pas organisés par ordre chronologique. Par ailleurs, d’après leur rapport, le directeur général aurait tenté d’imposer le choix d’une personne spécifique au sein du secrétariat du comité de surveillance pour s’occuper du dossier.
Concernant l’enquête à proprement parler, le comité de surveillance relève plusieurs irrégularités de procédure notamment sur la base légale utilisée pour son action. Toute extension du champ d’action doit être au préalable soigneusement évaluée disent les membres du comité et nécessite une analyse juridique de plus d’une journée.
Tandis que l’OLAF a informé uniquement la secrétaire générale de la Commission européenne, Catherine Day, de l’ouverture de l’enquête et lui a demandé de ne pas en informer le président Barroso, le comité estime que le président doit être le destinataire de ce genre d’informations. La participation directe du directeur général Kessler à l’enquête via la conduite d’interrogatoires doit être proscrite pour éviter de le placer en situation de conflit d’intérêt et menacer le principe d’impartialité. La demande d’accès à l’historique d’appels téléphoniques entre Silviu Zammit, Gayle Kimberley et John Dalli auprès des autorités maltaises n’est pas permise par le règlement OLAF, rappelle le comité. Enfin, l’enregistrement d’une conversation téléphonique avec un suspect par un témoin en présence d’un enquêteur de l’OLAF pourrait constituer une violation du droit à la vie privée.
Les députés européens Verts Bart Staes (Belgique) et José Bové (France), en visite à Malte le 8 mai pour tenter de faire la lumière sur cette affaire, partagent les critiques de Mme Grässle sur l’enquête de l’OLAF. Ils avancent même que M. Barroso a ruiné l’honneur de Malte et de John Dalli en le congédiant. Il aurait dû s’assurer que le comité de surveillance avait eu accès au rapport d’enquête disent les parlementaires.
Une nouvelle discussion en commission du contrôle budgétaire est prévue le 28 mai.
Europe : l’affaire John Dalli va-t-elle empoisonner Barroso ?
La « démission » forcée du commissaire européen, John Dalli, en octobre 2012 a tout d’une bombe politique à retardement : l’homme a-t-il été victime du lobby des fabricants de tabac ? Quel rôle a réellement joué le Président de la Commission européenne ? Explications.
L’ex-commissaire européen John Dalli clame son innocence – ©AFP
15.05.2013Par Jean-Luc Eyguesier
« L’affaire John Dalli » éclate en octobre 2012, quand ce commissaire européen chargé de la Santé et de la protection du consommateur est brusquement remercié par José Manuel Barroso. Une démission, affirme le Président de la Commission européenne.
Qu’est il reproché à John Dalli ? D’avoir couvert un tentative d’extorsion de fonds et de corruption mené par un de ses proches, un compatriote maltais du nom de Silvio Zammit, auprès d’un fabricant suédois de
« snus ». Le snus est une poudre de tabac humide que les Suédois aiment mâcher. Il est interdit dans le reste de l’Union Européenne. Un porte-parole du fabricant,
Swedish Match, affirme alors qu’on aurait demandé 60 millions d’Euros à l’entreprise en échange d’une levée de cette interdiction.
Problème : dès le premier jour, le commissaire conteste cette version des faits. Il affirme avoir été contraint à une démission immédiate, et loin de toute repentance, clame son innocence et se déclare victime d’un complot de l’industrie du tabac. En effet, cette affaire intervient alors que les services de John Dalli préparent une nouvelle directive européenne anti-tabac. Elle s’annonce particulièrement contraignante et le lobby de l’industrie, inquiet, s’agite beaucoup pour en diminuer la portée.
Les accusations portées contre John Dalli reposent sur une enquête de l’Olaf, l’office européen de lutte contre la fraude. Mais l’office refuse d’en communiquer le contenu. Difficile donc d’apprécier la gravité des charges…
Le « Dalligate » retarde de plusieurs mois la nouvelle loi européenne anti-tabac – ©AFP
Obstination
L’affaire aurait pu en rester là sans l’obstination de deux eurodéputés. Le Français José Bové et le Belge Bart Staes, tous deux écologistes, sont mécontents du retard pris par la directive anti-tabac, occasionné par le changement de commissaire – John Dalli a été remplacé par un autre Maltais du nom de Tonio Borg. « Il n’y aura pas de nouvelle loi européenne sur le tabac avant 2015 », explique José Bové. Dès janvier 2013, les deux hommes réclament la création d’une commission spéciale parlementaire pour enquêter sur l’affaire Dalli et le rôle des lobbies. Ils veulent en savoir plus sur le fonds de l’affaire et dénoncent également les méthodes de l’Olaf qui aurait en quelque sorte instruit « à charge » sans laisser à John Dalli la possibilité de se défendre. Ces soupçons ont pris un tour nouveau après que le journal maltais Malta Today a publié, fin avril, le rapport confidentiel de l’Olaf qui a fait chuter Dalli.
Embarras
Il apparaît qu’aucune preuve formelle n’a pu être produite contre le commissaire européen, mais seulement des « preuves circonstancielles », « converging circumstantial items of evidence », comme l’écrit Giovanni Kessler, le directeur général de l’Olaf. De leur coté, José Bové et Bart Staes ont rendu public un rapport du comité de surveillance de l’Olaf qui dénonce les conditions de l’enquête. Ils réclament maintenant le limogeage de Giovanni Kessler.
Ces dernières révélations embarrassent la Commission qui explique maintenant que la démission a été demandée parce que sa position était « politiquement intenable ». Et renvoie sur la justice maltaise qui est toujours chargée d’enquêter sur la présumée affaire de corruption. Le Dalligate est devenu un feuilleton sur l’île méditerranéenne, mais peine encore à intéresser Bruxelles et les autres capitales européennes, même si certains observateurs attentifs commencent à évoquer un
possible Barrosogate…
Jean Quatremer est le correspondant à Bruxelles du quotidien français Libération depuis 1990.
Jean Quatremer : « Il n’y a pas grand-chose à reprocher à Dalli »
14.05.2013Propos recueillis par Jean-Luc Eyguesier
Qu’est ce qui a fait chuter John Dalli ? Le rapport de l’Olaf, l’organisme anti-fraude de l’UE ou bien la peur du scandale ?
Ce que montre le rapport de l’Olaf finalement publié par un journal maltais, c’est qu’il n’y a pas grand chose à reprocher à John Dalli. Certes, il a rencontré des représentants de l’industrie du tabac hors des procédures habituelles, mais on sait que José Manuel Barroso ou Catherine Day, la secrétaire générale de la Commission l’ont fait aussi.
Pour le reste, ce ne sont que des rumeurs concernant les tentatives de corruption dont est accusé un des ses amis. La question est de savoir si John Dalli était au courant de ses agissements. La preuve n’a pas été faite et s’il n’était pas au courant, il n’est pas responsable.
Pire, le rapport est durement critiqué par le conseil de surveillance de l’OLAF qui est chargé de surveiller la façon dont les enquêtes sont conduites. Les droits de la Défense de John Dalli n’ont pas été respectés. On ne lui a pas permis de donner ses explications. Tout cela rappelle l’Inquisition.
Dans ces conditions, on se demande pourquoi José Manuel Barroso a démissionné son commissaire. Contrairement à ce qu’affirme la Commission, ce n’est pas John Dalli qui a démissionné, c’est Barroso qui l’a mis dehors et John Dalli a introduit maintenant un recours devant la Cour de justice européenne pour faire annuler ce « licenciement ».
Il y a deux explications possibles à ce comportement. Soit Barroso a paniqué en se disant que si jamais ce rapport de l’Olaf fuitait, on allait lui reprocher une trop grande mansuétude à l’égard de ses commissaires. Il craignait une affaire Cresson, qui a abouti à la démission de toute la Commission Santer en 1999.
Soit, deuxième hypothèse, infiniment plus grave mais qui reste à prouver, le président de la commission européenne aurait participée, de manière consciente ou inconsciente, à un complot de l’industrie du tabac visant à se débarrasser de John Dalli. A l’automne dernier, celui-ci préparait une nouvelle directive extrêmement dure visant à lutter contre la consommation du tabac.
Le Président de la Commission européenne, JM Barroso.
Mais, si complot il y avait, il a échoué puisque le successeur de John Dalli a présenté son projet de directive en décembre 2012.
Non, il a réussi puisque en interrompant le processus, il y a eu trois mois de retard. Ce n’est donc pas le Parlement européen actuel qui pourra étudier et adopter les propositions, il faudra attendre l’élection d’un nouveau Parlement (prévue en mai 2014 NDLR).
Les textes qui sont présentés depuis le mois de janvier ne pourront être adoptés avant 2015. Le temps, c’est de l’argent, ou dans le cas présent des profits pour l’industrie du tabac.
Aujourd’hui la Commission semble avoir retenu la première hypothèse : la peur du scandale. Sa position était « politiquement intenable » vient de déclarer une porte-parole de la Commission.
On peut le comprendre, mais il faudrait que la Commission aille plus loin. Pourquoi ne demande telle pas la démission de Karel de Gucht, commissaire chargé du commerce international et qui est actuellement sous enquête en Belgique pour une affaire de fraude fiscale ? L’argument est de dire qu’il s’agit d’une affaire privée, mais dans ce cas, l’affaire Cahuzac en France, c’est privé et il n’aurait jamais du démissionner selon la jurisprudence de la Commission.
Au final ce que montre cette affaire, c’est que l’Olaf a des méthodes de travail inacceptables dans un Etat de droit.
Les députés européens B. Staes et J. Bové à Malte le 8 mai 2013 – Capture
Deux parlementaires européens écologistes, le Français José Bové et le Belge Bart Staes multiplient les interventions critiques sur cette affaire. Pourquoi ces deux hommes se sont lancés dans ce combat ?
Je crois qu’ils ont immédiatement perçu qu’il y avait anguille sous roche.
Quand l’affaire a éclaté, personne n’avait jamais entendu parler de rien, puis il y eu ce traitement expéditif, un rapport de l’Olaf tenu secret, les dénégations de Dalli.
Je crois que les deux hommes connaissent aussi très bien les méthodes de l’industrie du tabac
Les Parlementaires européens -s’ils veulent montrer qu’ils servent à quelque chose- ont le pouvoir de constituer une commission d’enquête pour étudier ce qui s’est passé.
Le problème, c’est que les deux grands groupes du Parlement, les socialistes et les conservateurs ont déjà refusé cela. On est juste avant les élections européennes de mai 2014 et ils n’ont pas envie de faire des vagues.
Sans préjuger du fond de l’affaire, la façon dont l’enquête a été menée, la façon dont les droits fondamentaux de John Dalli n’ont pas été respectés pose question. Si c’est ca l’idéal de démocratie et de justice de la Commission européenne, je comprends qu’un certain nombre de souverainiste s’en inquiètent.
Comment voyez vous évoluer l’affaire depuis votre observatoire bruxellois ?
Hélas, l’intérêt de tous les grands partis politiques, c’est d’étouffer au plus vite cette affaire. On est à quelques mois des élections et le sentiment eurosceptique monte en Europe, à cause de la crise et des mesures de rigueur. Si vous ajoutez à cela une affaire de corruption ou de violation de l’Etat de Droit par la Commission Européenne, ce serait très mal venu.
Donc je pense que José Manuel Barroso échappera à toute investigation. Tout va être reporté à plus tard et quelles que soient les découvertes ultérieures, le Président de la Commission actuel, Barroso donc, sera alors parti vers de nouvelles aventures.