L’économie sociale et solidaire, un modèle de développement

Alain Lipietz et Jean-Philippe Magnen, conseillers d’Eva Joly, défendent le programme de la candidate écologiste: «Ce sont plus de 981 000 emplois nets créés d’ici 2020 qui peuvent être portés en partie par les entreprises de l’économie sociale et solidaire».
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La colère! Tous ceux qui depuis années maintenant se battent sur le terrain pour démontrer que l’économie sociale et solidaire crée de l’emploi, durable et non délocalisable, qu’elle est un moyen de préserver et de revitaliser nos territoires en profondeur, qu’elle est une alternative crédible à l’approche financiarisée et non-productive de l’économie, sont en colère.

On ne peut qu’être en colère face au «soutien accru» au secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) récemment annoncé par le gouvernement Sarkozy-Fillon, avec la promesse de l’élaboration d’une loi-cadre… Douze ans après celle proposée en 1999, au terme d’un an de dialogue avec 4 000 participants dans 22 régions, et restée dans les cartons! Le gouvernement prétend s’intéresser aujourd’hui à l’ESS, la belle affaire! Pendant dix ans, la droite l’a tout bonnement ignorée, voire démantelée, par la baisse drastique des crédits, par la disparition de la délégation interministérielle à l’économie sociale, par l’absence de ministère dédié et le rattachement au ministère au chargé de la solidarité et de la cohésion sociale, voire de la jeunesse et des sports! Elle a ainsi nié le potentiel de développement économique de l’ESS sur les territoires.

Et on ne peut qu’être en colère devant la pauvre imagination de ces programmes présidentiels qui instrumentalisent l’économie sociale et solidaire en mesurettes parcellisées et en gadgets trompe-couillon, sciant de fait le potentiel recélé par cette autre approche de l’économie, humainement créative, socialement et même technologiquement innovante, créatrice d’emplois durables et non délocalisables.

Faire autrement

En cette période de crises financière, économique, sociale et écologique, en cette heure où il devient urgent de répondre à l’aspiration démocratique exprimée par nos concitoyens, l’économie sociale et solidaire démontre par de nombreuses réalisations significatives, avec plus de deux millions d’emplois équivalent temps plein, qu’il est possible de faire autrement, de manière viable sur le plan économique, tout en respectant l’humain (producteur, consommateur, usager, citoyen), l’environnement et la dynamique des territoires «ici et là-bas».

Face à la concurrence sans limites qu’on a exacerbée ces dernières années entre individus, entre entreprises, entre territoires et entre Etats, la coopération territoriale doit s’affirmer comme un mode de réappropriation de l’économie réelle et de régulation pertinent. L’économie sociale et solidaire doit prendre une place stratégique au cœur des politiques publiques.

Une «profitabilité» sociale

Mais il faut sans doute rappeler ce qu’est réellement l’économie sociale et solidaire. Elle décrit d’abord des pans de l’activité économique qui ne dépendent ni du marché, ni du service public: typiquement, les services à la personne, éducation, santé, aide à la dépendance, l’insertion par l’économique, la culture, les loisirs et l’éducation populaire, puis elle s’est élargie naturellement aux secteurs de l’économie verte, notamment sur les champs du recyclage, du réemploi, de l’habitat écologique, de l’éco-construction, etc. Mais attention à la confusion! L’ESS ne se résume surtout pas à une économie marginale de traitement social du chômage, à une économie de réparation venant simplement compenser les méfaits d’une économie traditionnelle dominante qui, elle, ne serait jamais remis en cause dans ses finalités et objectifs.

L’ESS réinterroge profondément notre modèle de développement. Contre les schémas classiques, elle questionne la nature et l’objet du développement économique. L’ESS pose la question de la «profitabilité», de la répartition des fruits de l’activité, en conjuguant trois vocations: l’intérêt général, avec des activités à utilité sociale et collective; l’insertion des personnes, dans une logique de solidarité; et enfin l’objet marchand, qui met à plat les notions de productivité et de rentabilité, pour bien sûr en discuter la finalité. L’ESS permet –concrètement, immédiatement et pour longtemps– de refonder une juste mesure de l’efficacité, de l’efficience et de la richesse.

L’économie verte et le vivre-mieux

À mille lieux des gesticulations opportunistes qui ont cours ces jours-ci, nous avons construit avec Eva Joly un plan ambitieux de développement de l’ESS, en concertation avec les acteurs, générateur de créations nettes d’emplois. Le programme présidentiel d’Éva Joly s’est appliqué à chiffrer précisément l’impact de la transformation écologique et sociale de l’économie sur l’emploi (sans même compter les effets de la réduction du temps de travail), à laquelle l’ESS participe pleinement, autour de deux dimensions clés: l’économie verte et le vivre-mieux. Ce sont plus de 981 000 emplois nets créés d’ici 2020 qui peuvent être portés en partie par les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Par exemple, dans les énergies renouvelables (141 000 emplois), dans la conversion de l’agriculture française au bio (75 000 emplois), dans la construction de logements (200 000 emplois), dans les services de proximité à la personne, dans les domaines de la petite-enfance et de la prise en charge de la dépendance (290 000 emplois)…

Le programme d’Europe Écologie Les Verts propose d’élaborer une loi-cadre qui, en plus du soutien à la création d’emplois par les entreprises de l’ESS, s’appuiera sur deux mesures phares :

– la généralisation de fonds régionaux dédiés à l’ESS, pilotés par les conseils régionaux, couplée à l’étude économique et juridique pour la création de véritables banques régionales éthiques,

-la labellisation et la reconnaissance de pôles territoriaux de coopération économique, véritables alternatives aux actuels pôles de compétitivité.

Quand la précarité touche sept millions de personnes rien qu’en France, quand on consomme les ressources naturelles à un rythme tel qu’il faudrait trois planètes pour tenir la distance, est-on bien sûr que le «développement économique» nous rend plus riches? La maison brûle, nous en sommes d’accord, mais il ne suffit plus de le déplorer. Il est urgent de se poser les questions qui remettent en question les fondements même de l’économie, et de réfléchir enfin aux façons de retrouver certains équilibres fondamentaux, économiques, environnementaux et humains. Pour nous, cela passe par la promotion et le soutien déterminé, durable et stratégique à l’économie verte et solidaire.

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