La solution contre les famines? Le féminisme

Pour nourrir les affamés, commençons par apprendre à lire aux filles. Il y a une urgence de plus en plus vitale.

En 2013, la Division de la population des Nations unies a revu ses projections démographiques à la hausse, révélant que la population pourrait augmenter encore plus vite que les prévisions précédentes ne le laissaient entendre, tout particulièrement en Afrique. Organiser la subsistance d’une planète chaude, affamée et grouillante est à la fois un jeu de statistiques et une entreprise sociale. D’un côté de l’équation, calories, réchauffement climatique et hectares de terre. De l’autre, les 7 milliards d’habitants du monde, dont on estime qu’ils atteindront 9,6 milliards d’ici 2050.

Techniquement, les agriculteurs produisent aujourd’hui suffisamment de nourriture pour alimenter tout le monde. Pourtant, presque un milliard de personnes sur la planète se serrent régulièrement la ceinture, la plupart du temps parce que la nourriture est trop chère ou qu’elle n’est pas disponible au bon endroit. Ce chiffre pourrait empirer de façon dramatique.

Le problème de la nourriture n’est pas linéaire. Pour éviter les famines, les agriculteurs devraient doubler leur production d’ici 2050 alors même que la population ne sera pas multipliée par deux. La moitié de l’augmentation de la consommation de nourriture estimée à l’échelle mondiale sera liée à l’augmentation des revenus. En effet, plus les habitants des pays en développement s’enrichissent, plus leur alimentation devient riche en viande et en produits laitiers. Et il faut 13 livres de céréales pour produire une livre de bœuf.

Ne pouvons-nous pas simplement cultiver davantage? Cela s’annonce difficile. La moitié des terres couvertes de végétation est déjà consacrée à l’agriculture. Défricher davantage de terres, notamment déboiser les forêts tropicales, constituerait une véritable catastrophe écologique.

Le changement climatique va aggraver les sécheresses

Les rendements des cultures ne s’améliorent pas assez vite. Pour rattraper le niveau estimé de la demande, les agriculteurs devront augmenter leur production de 2,4% chaque année. Même en tenant compte de la diffusion des méthodes agricoles modernes, les gains de rendement ne sont que de 0,9% à 1,6% annuel au niveau mondial.

Il serait possible d’améliorer la production grâce à une utilisation plus efficace des terres actuellement cultivées, et en améliorant la qualité du sol, l’irrigation et la sélection des semences. Mais aucune solution facile et rapide ne permettra de répondre à la demande estimée, explique Lewis Ziska, spécialiste de phytobiologie du programme sur les systèmes de culture et le réchauffement climatique du ministère américain de l’Agriculture.

«C’est n’importe quoi!», déplore Ziska, co-auteur d’un chapitre sur la sécurité alimentaire et sur les systèmes de production de nourriture dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). «Autrefois, en ajoutant de l’énergie sous forme d’engrais et en ajoutant de l’eau, nous arrivions à obtenir des gains de rendement», explique-t-il. Les engrais ne sont pas seulement chers, ils sont également fabriqués à partir de pétrole et représentent une part importante des émissions de gaz à effet de serre. Et nous ne pouvons pas irriguer chaque champ.

Le manque d’accès à l’eau le rend impossible dans de nombreuses zones, le réchauffement climatique va aggraver les sécheresses, et dans certains endroits il n’y a pas assez d’énergie pour alimenter les pompes. Et nous commençons à peine à constater les problèmes que le réchauffement climatique va poser dans le domaine de la croissance des mauvaises herbes, des insectes nuisibles et du stress thermique des cultures.

Il est possible d’apporter des améliorations dans certaines zones agricoles les moins productives où l’on s’attend à une explosion démographique, tout particulièrement en Afrique subsaharienne. Mais les ingénieurs agronomes ne peuvent trouver la solution tout seuls.

«Cette région a des problèmes, déplore Ziska. Cela fait des années que nous hurlons que l’Afrique sub-saharienne a faim, et ça n’a pas changé grand-chose

Inquiétude de plus en plus forte pour l’Afrique subsaharienne

Pour être franche, tous les experts en nourriture que j’ai consultés avaient l’air un peu paniqué. «Le problème de l’avenir alimentaire durable est plus grave que ce que les gens pensent», expose Timothy Searchinger, qui travaille à la Woodrow Wilson School de l’université de Princeton et au World Resources Institute.

«Les taux de croissance des populations sont de plus en plus élevés. Il est plus difficile que nous ne le pensions d’y adapter le rythme des rendements agricoles. L’impact des émissions de gaz à effet de serre sur l’agriculture est plus grand que ce que pensent les gens

Les chercheurs qui travaillent sur le lien entre population et alimentation sont surtout inquiets pour l’Afrique subsaharienne. La moitié de l’augmentation estimée de la consommation alimentaire est liée à l’augmentation démographique, et c’est là que la population croît le plus rapidement.

«Alors la question c’est qu’est-ce qu’on peut y faire?, demande Searchinger. Vous pouvez par exemple tuer les gens. Mais on ne va pas faire ça! Alors il va nous falloir trouver des moyens de ramener le taux de fécondité de ces populations au niveau du seuil de renouvellement des générations.»

Voilà pourquoi l’une des principales solutions pour nourrir l’humanité passe par l’autonomisation des femmes. La plupart des pays du monde ont atteint un taux de natalité correspondant au seuil de renouvellement des générations, soit environ deux enfants par femme. Mais en Afrique subsaharienne, le taux de fécondité est de 5,6 enfants par femme, principalement parce que les filles ne connaissent pas les choix reproductifs qui s’offrent à elles, qu’elles vont peu à l’école et qu’elles ont des enfants très tôt.

Les taux de fécondité sont plus élevés dans les pays où les femmes n’ont pas d’accès à la contraception ou aux soins de santé maternels ou pédiatriques. Les bébés meurent souvent avant leur cinquième anniversaire, et les mères surcompensent en faisant beaucoup d’enfant dans l’espoir que quelques-uns au moins survivront jusqu’à l’âge adulte. Si le statut des femmes ne change pas en Afrique subsaharienne, nous aurons bien plus d’un milliard d’affamés au milieu du siècle.

Lorsque les femmes ont accès à l’éducation et au planning familial, le taux de natalité décline. L’auteur Gordon Conway explique très bien le rapport dans son livre One Billion Hungry [un milliard d’affamés]. Il fait le lien entre droits des femmes, meilleures production et consommation de nourriture et progrès futurs en termes de sécurité alimentaire. Quarante trois pour cent des agriculteurs du monde sont des femmes. Parce qu’elles sont mères, éducatrices et innovatrices, avance Conway, protéger les femmes de la discrimination et de l’exploitation, et les aider à être plus productives, empêchera une famine à grande échelle.

Le cercle vertueux de l’alphabétisation des filles

Si on donne aux femmes un contrôle sur leur vie et sur leurs choix, alors les filles pourront être scolarisées plus longtemps. Elles auront des enfants plus tard. Elles auront accès à des services de santé reproductive et de planning familial lorsqu’elles en auront besoin. Et elles pourront se dire que leurs enfants vivront et deviendront des adultes en bonne santé. Ce qui débouchera sur un taux de croissance démographique au niveau du seuil de remplacement des générations, et à une meilleure sécurité alimentaire.

Au Mali, les femmes bénéficiant d’une éducation secondaire ou supérieure ont en moyenne trois enfants; celles qui ne vont pas à l’école en ont sept. Et le bébé né d’une femme qui sait lire a 50% de chances de plus de survivre à son 5e anniversaire que celui d’une femme analphabète.

Les habitants d’Afrique subsaharienne sont les plus affamés du monde. Un quart d’entre eux sont sous-alimentés. Ils ont les pires rendements agricoles de la planète. Ils consomment 9% des calories et représentent 13% de la population mondiale. Mais le taux de croissance démographique de la région, ainsi que les estimations selon lesquelles la consommation alimentaire va y augmenter, puisque ses habitants sont sous-alimentés aujourd’hui, signifient que les besoins caloriques de l’Afrique subsaharienne représenteront 37% des calories supplémentaires nécessaires d’ici le milieu du siècle.

«Si vous prenez les connaissances des experts en démographie et que vous réfléchissez à ce que cela implique en termes de sécurité alimentaire et d’utilisation des sols, affirme Searchinger, l’idée de donner plus de contrôle aux femmes et de réduire la mortalité infantile saute aux yeux et paraît totalement logique

Cultiver davantage sur chaque parcelle reste difficile. Nous n’allons pas nourrir 2,6 milliards de bouches supplémentaires juste en utilisant de meilleures semences ou en irriguant un peu plus. Réduire la consommation de viande et les déchets alimentaires et améliorer notre efficacité y contribuera. Mais c’est donner le contrôle de leur vie aux femmes qui empêchera l’Afrique subsaharienne de mourir de faim.

Lisa Palmer

Traduit par Bérengère Viennot

Publié le 16/04/2014, sur slate.fr

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