Jeux Olympiques et construction européenne

Eté 2012, Jeux Olympiques de Londres

L’actualité estivale 2012 a été bien occupée – c’est le moins qu’on puisse dire – par les Jeux Olympiques de Londres. La religion actuelle du sport fait des JO – avec la coupe du monde de football, autre compétition sportive – le concert des nations le plus prisé, que d’aucuns verront comme la prolongation par d’autres moyens, d’autres compétitions, militaires, géopolitiques, économiques.

Je me permets d’en faire aujourd’hui le lieu d’une métaphore sur la construction européenne.

Si l’on regarde de façon brute le classement des médailles par pays (en considérant soit les seules médailles d’or, soit le total des médailles), et si l’on prend en compte ce qu’en ont dit les médias du monde entier, on déduit que la domination des Etats‐Unis et de la Chine est sans partage, avec respectivement 104 médailles (dont 46 en or) et 87 médailles (dont 38 en or), loin devant par exemple l’Allemagne – 44 médailles – ou la France – 34 médailles.

En y regardant de plus près, et si l’on examine les résultats de l’Europe, plus
précisément ceux de l’Union Européenne, on observe que la quasi‐totalité des pays de l’UE ont obtenu des breloques (24 pays sur 27 ; Malte, le Luxembourg, et l’Autriche faisant seuls exception), et que le total cumulé est de 311 médailles – dont 92 titres olympiques. Ce score fait de l’UE la première entité sportive de la planète, loin devant les Etats‐Unis et la Chine.

On entend d’ici le contre‐argument d’observateurs sportifs ou de souverainistes : pour faire une réelle comparaison avec les Etats‐Unis (état fédéral), il faut considérer que le mode de sélection des participants par sport et par épreuve accorderaient moins de représentants à une Europe unie et généreraient moins de médailles. C’est vrai : le triplé européen à la perche n’aurait été qu’un doublé et certaines médailles par exemple d’épreuves par équipes n’auraient pas été obtenues.

Mais même si l’on accorde un abattement de 50% (très défavorable sans doute par rapport à la réalité), on en reste à quelque chose comme 150 médailles pour l’UE, total encore supérieur aux meilleures nations.

Classement mondial des économies

L’Union Européenne, donc, première entité sportive dans le monde. Voyons dans cet état de fait sportif une analogie forte avec l’économie. Si l’on prend en compte par exemple le critère du PIB à Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) (1), c’est l’Union Européenne qui doit être considérée comme la première économie du monde. Les chiffres sont les suivants, en Milliards de dollars assortis des pourcentages correspondants (2) :

PIB 2012 à PPA
En Mds $
%
Monde  73913 100
Union Européenne  14370 19,4
Etats‐Unis 14028 19,0
Chine 10928  14,8
Inde  4455  6,0
Japon  4076  5,5
Allemagne 2865 3,9
France 1995 2,7

Avec 19.4% du PIB planétaire, l’UE devance légèrement les Etats‐Unis et sensiblement la Chine (les mêmes que l’on trouvait à la rubrique sportive), alors que l’Allemagne et la France esseulées sont loin derrière. Si l’on adjoignait d’autres critères, de développement humain par exemple, la situation comptable de l’Europe serait au moins aussi bonne.

Le hic européen

Mais il y a un hic : par son déficit démocratique, et par son manque de véritable intégration politique communautaire, l’Europe n’a pas le poids qu’elle devrait avoir, face aux marchés financiers, face aux autres grands blocs régionaux, et dans les négociations internationales (il n’est que de se souvenir de la Conférence de Copenhague sur le climat où, l’Europe étant arrivée divisée et représentée par des ego démesurés, ce sont les USA et les pays émergents qui ont presque complètement déterminé entre eux les décisions et la déclaration finales de la conférence).

Devant la montée des périls, et en particulier à la ‘faveur’ – si l’on ose dire – de la crise de l’Euro, nombre d’observateurs et d’économistes (de tous bords, dorénavant) reconnaissent ou martèlent aujourd’hui la nécessité incontournable de l’intégration européenne. Mais ne soyons pas dupes, tous ne parlent pas de la même chose, et on peut distinguer 2 grands types de conceptions intégrationnistes :

  • Une conception qu’on peut dénommer ‘’à la Merkel’’ (ou à la ‘’libéral‐productiviste’’) ; opposée à un véritable fédéralisme ; privilégiant l’inter‐gouvernemental plutôt que le communautaire ; insoucieuse de combler le déficit démocratique de l’UE ; simplement partisane d’une forte et contraignante intégration budgétaire ; c’est en gros la conception qui sera confortée avec la mise en œuvre du TSCG
  • Et une conception de l’Europe prenant a contrario une direction fédéraliste, se donnant ainsi les moyens politiques et économiques nécessaires : démocratisation centrée sur le parlement européen (instance directement élue par les citoyens), fédéralisation budgétaire, harmonisation fiscale, primauté du politique sur les processus monétaires et le traitement de la dette, sans parler de la lutte contre les paradis fiscaux, ou la mise en œuvre de grands projets mutualisés de transition écologique

Quel modèle ?

Dans le monde actuel, avoir une masse critique est une nécessité. En termes économique, écologique, géopolitique, et de modèle social.

On peut voir le monde comme proposant aujourd’hui 2 grands types de modèles. Un premier est le modèle que l’on appellera ‘libéral‐productiviste’, pour reprendre l’utile terminologie employée récemment par Alain Lipietz (3). Ce modèle est celui qui nous envoie dans le mur aujourd’hui, qui a provoqué les crises actuelles, et qu’on peut caractériser par un creusement dramatique des inégalités, et un acharnement mortifère à la fuite en avant, celle du tout‐profit, de l’épuisement des ressources, de la crise alimentaire et du dérèglement climatique.

Un second modèle est à l’œuvre, que j’appellerai capitaliste/ souverainiste/ autoritaire, où un capitalisme très dur est pratiqué à partir de politiques et de fonds souverains activés par des dictatures implacables ; c’est la Chine, bien sûr, mais son modèle est peut‐être (sous des formes différentes) en train d’essaimer : Iran, Singapour, Corée du sud, Emirats du Golfe, Malaisie, …

Seule une Europe politiquement à taille critique serait en mesure de proposer une indispensable 3ème voie : une économie efficace, bien sûr, et (on l’a vu) prégnante au plan mondial, mais reposant sur la démocratie et le respect de la Vie, ayant pour socle, pour fondement, le respect des droits humains, aussi bien les ‘DCP’ – les droits civils et politiques – que les ‘DESC’ – les droits économiques sociaux et culturels.

L’avènement de ce modèle, cette sortie par le haut, ne se fera que par un résolu saut fédéral.

Dans la période qui vient, celle qui va, disons, jusqu’à 2014 où auront lieu les prochaines élections européennes, ayons le courage, malgré tous les replis nationalistes, de nous engager pour ce modèle. 2014 sera aussi, en France, le temps d’élections territoriales. Il y faudra porter le même type de message. Car l’Europe à désirer, c’est aussi une Europe des régions, avec pour elles une vraie
autonomie assortie d’une sourcilleuse péréquation.

Troc de devises

En conclusion, rompons avec l’adage du baron de Coubertin emprunté à Ethelbert Talbot : non, l’important n’est pas de seulement participer – être seulement une petite partie souveraine d’un ensemble qui n’a pas les pouvoirs internationaux qu’il mérite.

Faisons plutôt notre la devise olympique, en l’appliquant sans trop tarder à l’évolution de l’Union Européenne : Citius Altius fortius – plus vite plus haut plus fort.

Jean Claude Gouze

(1) Les chiffres qui suivent sont à PPA de 2005
(2) Chiffres du CEPII pour l’année 2012
(3) ‘’Green Deal. La crise du libéral‐productivisme, la solution écologique.’’ Alain Lipietz, Ed La Découverte, 2012

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