Intervention de Corinne Bouchoux sur le Projet de loi sur le remboursement des dépenses pour la campagne électorale
« Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, le présent projet de loi organique n’est pas dépourvu d’une certaine hypocrisie : il se présente comme destiné à réduire de 3,7 millions d’euros les dépenses de l’État liées au remboursement des dépenses de campagne de l’élection présidentielle, mais sans toucher au reste…
Selon nous, il ne répond pas réellement aux préoccupations d’un grand nombre de candidates et de candidats déclarés, ainsi que de citoyennes et de citoyens.
Avec beaucoup de brio, de solidité et d’aura, dans un propos qu’on a qualifié d’« arrogant » mais qui nous a semblé brillant et convaincant, M. le rapporteur a déjà posé un certain nombre de jalons.
En réalité, monsieur le ministre, une question en apparence technique et financière en masque une autre, éminemment politique : celle de l’accès à l’élection présidentielle et de la validation de celle-ci.
Il est à l’honneur du Sénat de poser des questions qui dérangent, qui vous dérangent – même si ce n’est pas agréable à entendre.
L’accès à l’élection présidentielle est déjà verrouillé par la nécessité de réunir cinq cents parrainages avant de pouvoir se présenter aux suffrages des électeurs, ainsi que par le coût faramineux d’une candidature.
À ce propos, un « non-candidat » fait campagne sur tous les médias, y compris certaines chaînes publiques – c’est-à-dire aux frais du contribuable, comme l’a dit Mme Assassi… Selon nous, il réalise ainsi un véritable hold-up sur l’audiovisuel, qu’il conviendrait de comptabiliser au titre de la campagne officielle.
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure : rien n’a changé. Pour ma part, je pense au contraire que tout a changé avec l’allocution que le Président de la République a donnée dans la soirée du dimanche 29 janvier. Aussi, permettez-moi de vous faire, très respectueusement et modestement, quelques propositions pour la prochaine déclaration du « non-candidat »…
Premièrement, je vous suggère que toutes les télévisions publiques et privées soient réquisitionnées – pourquoi, en effet, se limiter à huit ? Toutes les radios privées et publiques le seraient également, sans oublier les réseaux sociaux à propos desquels nos amis chinois pourraient nous conseiller un certain nombre de techniques très simples…
Deuxièmement, toute séance de cinéma, de théâtre et toute manifestation sportive seraient interdites une heure avant la prestation et jusqu’à une heure après…
Troisièmement, la déclaration serait obligatoirement diffusée dans les écoles pour les élèves de plus de seize ans, ainsi que dans les transports en commun et les espaces publics, sans oublier les aéroports, afin de faire profiter le public international de cet exercice, inédit – nous l’avons vérifié – dans les annales démocratiques depuis dix ans !
Plus sérieusement, on se croirait revenu au temps de l’ORTF de mon grand-père… (M. le ministre s’exclame.)
Pour être plus positifs, s’agissant du texte, nous considérons, comme M. le rapporteur, qu’un système proportionnant mieux les remboursements au nombre de voix obtenues par les candidats aurait le mérite d’être plus équitable ; nous soutenons donc son adoption.
En outre, de tels abus ont été commis lors des campagnes présidentielles au cours des dix dernières années qu’il nous semble nécessaire, afin de prévenir la répétition de ces errements, de confier un autre rôle au Conseil constitutionnel, lequel n’est pas sorti grandi des événements relatés tout à l’heure par notre collègue Pierre-Yves Collombat…
Je rappelle que les candidats détenteurs d’un mandat électif ou d’une charge publique ne doivent en aucun cas s’en servir pour faciliter leur campagne.
Or, aujourd’hui, où sont les chiffrages ? Où est l’équité ? Ma collègue Éliane Assassi a donné un certain nombre d’exemples qui ne nous honorent pas. Pour ma part, je souhaite que l’on procède à un chiffrage des dépenses engagées. Quant à la valeur économique de l’intervention de notre « non-candidat » de dimanche dernier, je ne suis pas sûre qu’elle soit très éloignée des 3,7 millions d’euros dont le projet de loi organique vise à permettre l’économie…
Nous considérons que le Conseil constitutionnel, après avoir été cruellement ridiculisé par l’affaire que notre collègue Pierre-Yves Collombat vient de rappeler, a besoin de jouer un nouveau rôle. Nous pensons que les propositions de M. le rapporteur, adoptées par la commission des lois, sont de nature à rendre les opérations électorales plus propres, plus équitables et plus morales.
Bien évidemment, nous estimons que la responsabilité d’un candidat élu dont les comptes de campagne auraient été frauduleux doit être engagée. Quoi de plus aberrant, en effet, qu’un Président de la République élu avec des comptes de campagne insincères ?
Monsieur le ministre, les anecdotes rapportées tout à l’heure montrent que les élections cantonales sont actuellement davantage et mieux surveillées que l’élection présidentielle, ce qui est tout de même un paradoxe !
Très attachés à la diversité des points de vue – à la « biodiversité » de notre démocratie… –, nous ne pouvons que soutenir le point de vue et les propositions de notre rapporteur, en regrettant vivement la position prise par une majorité de membres de l’Assemblée nationale.
En définitive, la transparence des campagnes présidentielles doit être garantie, l’accès aux médias rendu plus équitable, à une époque où les journalistes ont tant de mal à faire leur travail, et le Conseil constitutionnel doté de réelles compétences.
Il faut aussi rompre avec certaines pratiques anciennes : comme l’on dit dans d’autres pays, « Karachi, ça suffit ! » Je parle d’une campagne présidentielle qui n’a pas été sans lien avec une affaire regrettable dans laquelle des vies humaines ont été perdues… Nous méritons autre chose.
Il est à l’honneur du Sénat d’avoir posé ces questions de fond. Ce n’est certes pas rien d’économiser 3,7 millions d’euros, mais je pense que, dimanche soir, le bénéfice en a déjà été dilapidé ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)