Intervention d’Anny Poursinoff sur la mise en oeuvre du principe de précaution
Mme la présidente. La parole est à Mme Anny Poursinoff.
Mme Anny Poursinoff. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègue, en tant qu’écologiste, je suis bien évidemment favorable à l’application du principe de précaution.
On ne regrettera jamais assez que ce principe n’ait pas été appliqué dès que les risques liés à l’utilisation de l’amiante ont été observés. C’était, je le rappelle, en 1906.
Aujourd’hui, vingt ans après la conférence de Rio, force est de constater que même la prévention de l’aggravation du réchauffement climatique n’est pas encore une réalité. Alors, que dire du principe de précaution que nous aurions dû appliquer pour assurer le devenir de notre planète et l’avenir des générations futures ?
Le principe de précaution doit s’appliquer de manière large et ouverte, en faisant appel à l’expertise mais aussi au débat démocratique. J’ai déjà pu le dire dans le rapport sur les crédits de la santé que je vous ai présenté, et j’y reviendrai.
Il ne faut cependant pas invoquer ce principe en vain. Ma collègue sénatrice Marie-Christine Blandin l’a dit avant moi : l’invoquer, par exemple, pour justifier l’achat de millions de doses de vaccins contre la grippe H1N1 n’était pas justifié. En revanche, le principe de précaution devrait s’appliquer pour les adjuvants et les conservateurs utilisés dans les vaccins, notamment l’aluminium.
Le principe de précaution aurait dû s’appliquer concernant l’industrie nucléaire. Ceux qui prônent de mettre en balance les risques avec ce qu’ils appellent « les coûts économiquement acceptables » doivent admettre aujourd’hui que le calcul était erroné depuis le départ puisque personne n’est en mesure de chiffrer les coûts du démantèlement et du traitement des déchets. Les idéologues, aujourd’hui, sont du côté des pro-nucléaire, pas du côté des écologistes. Ces derniers proposent des solutions pragmatiques pour sortir de cette énergie dangereuse, onéreuse et sans avenir.
Quant à l’intégration de la santé dans le champ de la précaution, elle me semble aller de soi. Je le dis d’autant plus volontiers que j’ai insisté sur la nécessité de la précaution dans le rapport sur la prévention et la sécurité sanitaire que je vous ai remis, chers collègues, au mois de novembre dernier.
En effet, santé et environnement sont étroitement liés ; on le voit dans bien des domaines, qu’il s’agisse des pesticides, des perturbateurs endocriniens ou de la pollution atmosphérique.
D’autres questions appellent notre attention ; je pense aux OGM en agriculture et à la limitation des ondes électromagnétiques. Elles ne sont pas réservées à l’expertise scientifique : elles impliquent l’ensemble de la société.
C’est la raison pour laquelle le débat démocratique est essentiel. C’est la raison pour laquelle des débats contradictoires et des conférences de consensus sont indispensables.
Pour que le principe de précaution s’applique, il faut aussi une recherche publique indépendante et mieux financée, comme vient de le réaffirmer notre collègue André Chassaigne.
Il faut encore que l’expertise soit mieux valorisée dans la carrière des chercheurs et que le rôle des lanceurs d’alerte soit reconnu. Les exemples de chercheurs qui ont subi ou subissent des discriminations ou des sanctions sont nombreux. La reconnaissance du statut de lanceur d’alerte et la protection qu’il confère sont donc essentielles. Sans tomber dans une société de la psychose, il faut bien reconnaître que, face à de nouveaux risques, les procédures ne peuvent pas être définies à l’avance. Les alertes sont souvent informelles. C’est la raison pour laquelle il faut aussi savoir écouter les personnes de bonne foi qui détectent des risques émergents.
Si cette résolution a pour objectif d’encourager réellement le débat public, elle contribuera alors à remplir les exigences démocratiques qui doivent être les nôtres. Cependant, il ne faudrait pas, sous couvert d’une évaluation du principe de précaution ou de son encadrement, donner des moyens à ceux qui voudraient continuer à mettre sur le marché des substances ou des produits hasardeux. Les écologistes seront absolument vigilants sur ce point.
Le président Accoyer s’est inquiété d’une hémorragie de nos savoir-faire et de nos cerveaux scientifiques que pourrait, selon lui, entraîner une trop large application du principe de précaution. Je crois qu’il se trompe, car le principe de précaution peut, au contraire, être un formidable accélérateur de l’innovation, une véritable stimulation pour la recherche.
La compétitivité ne se construit pas sur des innovations à risque pour l’environnement et la santé, car la réparation, quand elle est possible, coûte davantage, et sur des fonds publics. La vraie compétitivité, c’est plutôt de concevoir des produits sains et recyclables, ou encore d’investir dans les énergies renouvelables plutôt que dans le nucléaire, technologie archaïque et gouffre financier.
Le principe de précaution, c’est se donner les moyens du changement maintenant, pour mieux assumer nos responsabilités à long terme. C’est bien ce à quoi nous aspirons dans les mois à venir.
Cela implique notamment de prendre la responsabilité de choix énergétiques courageux, en particulier de tourner le dos au nucléaire et de lutter efficacement contre le dérèglement climatique.
En conclusion, cette résolution a le mérite de rappeler l’importance de l’application du principe de précaution et de la dimension démocratique de l’anticipation des risques. Cependant, je tiens à mettre en garde mes collègues contre un encadrement trop strict du principe de précaution, qui pourrait étouffer dans l’œuf l’émergence de nouvelles alertes et leur prise en compte.