Hommes aux « Echos », femmes au créneau

Au-delà du mouvement qui se poursuit au sein du quotidien économique, toute la presse est concernée par l’absence de parité.

Curieux face-à-face, hier matin, aux Echos. D’un côté, plus d’une soixantaine de femmes journalistes, qui ont fait la grève des signatures vendredi dans le quotidien économique de LVMH. De l’autre, ce ne sont pas deux, comme prévu, mais sept cadres du journal qui ont fait le déplacement — que des hommes. « C’était assez comique, toutes ces filles face à tous ces costards noirs », note une journaliste. Assez évocateur, surtout, de la situation du journal : sur les douze plus hauts échelons de la rédaction, zéro femme.

Lasses de cette absence de parité, les femmes journalistes ont voulu réagir collectivement. En plus de leur grève des signatures, elles ont écrit un texte dénonçant cet état de fait : « Au fil des ans », elles sont devenues « invisibles ». « Chaque jour, aux Echos, nous sommes aussi nombreuses que les hommes à faire ce journal, écrivent-elles. Mais il n’y a de femme ni à la rédaction en chef ni à la direction de la rédaction du quotidien. Les femmes ont peu à peu disparu de cette équipe. » Elément déclencheur du mouvement, une récente réorganisation de l’équipe, qui a vu la promotion de… trois hommes, encore. « Ça a été la goutte d’eau, mais c’est un problème qui existe depuis longtemps aux Echos, explique une signataire. Les femmes sont exclues des primes, des augmentations, des promotions… » Hier matin, les hommes de la direction ont reconnu qu’il y avait comme qui dirait un problème. « On va vite mettre en place des groupes de travail pour aborder les questions de parité, d’inégalité salariale s’il y en a, de plafond de verre s’il y en a, annonce à Libération Nicolas Barré, le nouveau directeur de la rédaction des Echos. On prend ça très au sérieux. » Il promet des « mesures concrètes, notamment quand il y a des nominations », et veut être « exemplaire ». Un accord sur l’égalité professionnelle a pourtant été signé l’an dernier, avec le résultat qu’on voit aujourd’hui.

Le cas des Echos est loin d’être isolé. Il illustre même assez bien l’état du secteur de la presse. Ces dix dernières années, la profession s’est à la fois féminisée et précarisée. Entre 2000 et 2011, les premières demandes de cartes de presse émanant de femmes sont passées de 48,5% à 55,9%. En 2012, les femmes représentent 46% de l’ensemble des 37 012 journalistes professionnels encartés, mais seulement 17% des cartes de presse portant la mention « directeur ». En revanche, elles sont plus nombreuses que les hommes à avoir un statut précaire, piges ou CDD. Aujourd’hui, seules deux femmes dirigent des journaux : Natalie Nougayrède au Monde, et Dominique Quinio à la Croix. Mais aucune n’est directrice de publication. Un rôle d’homme, faut croire.

Dans « l’ours » du Monde, qui présente l’organigramme du journal, on compte 6 femmes sur 20 chefs. Au Figaro, 13 chefs dont 4 femmes. Et à Libération, 24 chefs dont 7 femmes. Cette quasi-absence de femmes dans la hiérarchie est « comparable à la plupart des secteurs d’activité », note Isabelle Germain, fondatrice de l’Association des femmes journalistes et du site ->http://lesnouvellesnews.fr/] [Les Nouvelles News. « Mais ça a un impact beaucoup plus fort dans la presse : on donne à voir l’actualité à travers un prisme masculin. La hiérarchie de l’information est indexée sur des valeurs très masculines. »

En plus de leur discrétion dans les hautes sphères, les femmes sont rarement en charge des rubriques de pouvoir, comme la politique ou l’économie, mais plus souvent dans les services culture, société ou éducation. « Même les chroniqueurs, qui disent ce qu’il faut penser, sont très majoritairement des hommes », ajoute Isabelle Germain. Elle explique le phénomène notamment par un système de cooptation entre hommes et leur participation à des réseaux informels dont les femmes sont exclues. Résultat : elles ne peuvent pas donner leur vision du monde. Exemple : tout le monde a répété que le dernier Français à avoir remporté Roland-Garros était Yannick Noah. « Sauf que, rappelle Isabelle Germain, le dernier Français à avoir gagné le tournoi, c’est Mary Pierce. »

par Isabelle Hanne.

Publié le 12 juin 2013 à 21:36 sur libération.fr

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