Guérir les platanes du canal du midi : quand la Recherche cherche avant tout le « buzz » médiatique …
Depuis fin 2014, plusieurs articles de presse relatent l’initiative d’un groupe d’ étudiants de l’INSA Toulouse (http://2014.igem.org/Team:Toulouse), encadrés par leurs enseignants et des chercheurs de l’INRA, visant à mettre en place un protocole de traitement des platanes atteint par une maladie mortelle (« le chancre coloré »), due à un champignon microscopique.
La maladie du chancre coloré progresse rapidement le long du canal depuis plusieurs années. Cantonnée jusqu’à présent au versant méditerranéen, elle est apparue depuis l’automne 2014 en banlieue toulousaine, créant l’émoi auprès des habitants et des responsables, pour qui les abords du canal présentent un enjeu important en terme d’espace de loisir et de préservation du paysage urbain.
Présenté aux chercheurs du centre INRA en janvier, ce travail et la publicité qui en est faite pose plusieurs problèmes de fond.
– usage potentiellement dangereux d’un OGM
La stratégie choisie est celle de transformer génétiquement une bactérie (Bacillus subtillis) en lui conférant la capacité de fabriquer des fongicides, puis de l’introduire dans l’arbre, dans l’objectif de tuer le champignon du chancre coloré présent dans le bois. Fondamentalement, l’introduction de telles bactéries est potentiellement dangereuse pour l’environnement. Elles appartiennent à une espèce très courante et peuvent conférer cette capacité de proche en proche à d’autres bactéries voire à d’autres micro-organismes si cela leur donne un avantage adaptatif. La présence d’eau est un facteur aggravant dans la propagation potentielle d’organismes dangereux.
De plus, s’il existe de nombreux champignons pathogènes, d’autres espèces de champignons vivent en symbiose au niveau des racines des plantes et leur sont bénéfiques. C’est le cas du blé et du tournesol qui poussent en bordure du canal.
L’agriculture pourrait donc être affectée par la dissémination d’une bactérie capable de tuer des champignons de façon non-spécifique.
interdiction règlementaire
Ces risques expliquent en général l’interdiction par la loi du « lâcher » d’ OGM en milieu naturel. Or les promoteurs de cette technique avouent sans honte avoir des contacts avec le ministère/ Législateur pour obtenir des dérogations, alors que les gardes fous techniques ne sont pas en place…
En attendant, le procédé qu’ils envisagent reste interdit.
efficacité à prouver
Si quelques expériences conduites en quelques mois d’été ont effectivement montré des résultats intéressants, ils ont été obtenus en «tubes à essai ». Chaque scientifique sait très bien que ce genre de recherche appliquée nécessite des années voire une dizaine d’années d’expériences, de répétitions, de validations, de transpositions (comment injecter dans un platane centenaire ?). Or le chancre coloré va « miter » malheureusement ce bel alignement d’arbres dans un premier temps, avant de connaître un développement exponentiel. Même si LE remède était trouvé rapidement, les platanes survivants et guéris devraient être abattus. En effet, l’objectif est de reconstituer le monument classé qu’est le canal par la plantation d’un alignement d’arbres identiques ( au niveau de l’« essence jalon ») . La « Commission supérieure des sites, perspectives et paysages » l’a décidé.
Manipulation de la formation et de l’information
On pourrait s’attendre à ce que des chercheurs et enseignants expérimentés sachent canaliser l’enthousiasme bien naturel d’élèves ingénieurs lors du développement de leur « plan de com ». On pourrait même imaginer que l’enseignement de l’objectivité, de l’approche systémique d’un problème et de la pondération, fasse partie du cursus. Visiblement ce ne fut pas le cas : à aucun moment le mot OGM n’a été prononcé lors des rendez vous « presse », et l’impossibilité juridique de cette « solution » n’a pas été évoquée. Pire, le procédé est présenté par les auteurs comme une « alternative biologique permettant de lutter contre le champignon » …. Le fait d’entretenir une ambiguïté sur le sens du mot biologique en dit long sur la rigueur scientifique.
– volonté de se servir du platane comme « cheval de Troie » de l’industrie OGM?
Il est légitime de se poser la question sur le sens de cette désinformation. Si une certaine naïveté peut être attribuée aux étudiants, les encadrants ne peuvent ignorer que la mise en avant d’une cause « sympathique » peut permettre d’enfoncer un « coin » dans les pratiques et la réglementation des OGM en France. Ce projet a été primé au « concours international de machines [biologiques] génétiquement modifié » (IGEM) aux USA. L’IGEM souhaite développer la biologie synthétique dont le but est de construire des organismes accomplissant des fonctions biologiques, à partir d’assemblage de séquences d’ADN prélevées dans des organismes existants ou fabriquées de façon artificielle. Les êtres vivants sont vus par les tenants de cette approche, en provenance des États-unis, comme de simples machines qu’il faut élaborer, à des fins souvent mercantiles. Ils ont déjà réussi à fabriquer la première bactérie artificielle…et tentent de la breveter! Beaucoup de chercheurs opposent des arguments de bioéthique à cette approche, ce qui n’a pas semblé déranger les responsables de ce projet.
En conclusion, cette initiative peut présenter un intérêt en recherche fondamentale, et a surement été formatrice pour ces étudiants. Mais ils ont suscité un emballement médiatique qui diffuse l’idée, fausse, que le remède à la maladie du platane est en passe d’être trouvé. De plus, les risques pour l’environnement sont volontairement occultés, ce qui pose la question des contrôles que la société peut mettre en place contre les apprentis sorciers, si enthousiastes et sympathiques soient ils.
Francis Carbonne, biologiste et élu local du canal.