Facebook contraint de revoir sa gestion des contenus haineux et sexistes

Facebook a « échoué » à mettre en place « un système fonctionnant de manière efficace pour identifier et supprimer les contenus incitant à la haine » sur sa plateforme, « particulièrement en ce qui concerne les contenus s’attaquant aux femmes ».
L’aveu de Facebook dans un communiqué daté du 28 mai n’est pas anodin pour un site de plus d’un milliard d’utilisateurs, qui proclame dans ses « standards de communauté » ne pas tolérer « l’intimidation, le harcèlement, les propos haineux » – seulement un droit à « l’humour ».

UNE NOUVELLE FRONDE NUMÉRIQUE

Ces déclarations interviennent après une intense campagne en ligne de Women, Action and the Media (WAM) et des dizaines d’autres associations de défense des femmes et de lutte contre le sexisme. Elle s’est engagée le 21 mai avec la publication d’une lettre ouverte (version française en PDF) demandant des « mesures rapides, complètes et efficaces face à la représentation actuelle du viol et de la violence anti-femme sur Facebook ».

Le texte juge « inacceptable » que des contenus (photos, vidéos…) postés par des utilisateurs faisant l’apologie de tels comportements puissent être mis en ligne et rester accessibles, et regrette que le site « prétende que ces pages relèvent de la partie ‘humour’ ou de la ‘liberté d’expression' ».

« Certes, Facebook n’est pas tout l’Internet, mais c’est un média important, porteur d’une culture puissante et qui a déjà mis en place des règles renforcées de modération », explique WAM en marge de sa lettre ouverte, pour justifier sa démarche.

Le document était accompagné d’un appel à répercuter ce message auprès des équipes du site, directement par courriel ou en jouant sur la viralité des réseaux sociaux, principalement Twitter et Tumblr. Après une semaine, WAM revendique près de 60 000 tweets envoyés (sur les mots-clés #FBRape) et plus de 5 000 e-mails envoyés à Facebook.

Des dizaines d’utilisateurs ont également alerté et dénoncé des entreprises dont les publicités apparaissent aux côtés de publication violemment sexistes. Quinze entreprises, selon WAM, auraient retiré leurs publicités, dont le constructeur japonais Nissan, qui a promis leur retour le jour aura revu ses règles de modération.

En 2011, Facebook avait déjà fait face à une fronde similaire. Une pétition lancée à l’époque sur Change.org (« Demandons à Facebook de retirer les pages promouvant les violences sexuelles ») a réuni à ce jour 225 000 signatures. L’entreprise avait d’abord affirmé que les groupes Facebook incriminés devaient être vus comme des « blagues » puis les avait discrètement supprimés.

DES CONTENUS VIOLENTS NON MODÉRÉS

Si beaucoup d’utilisateurs de Facebook n’ont sans doute pas été confrontés à de telles publications, le phénomène n’est pas anodin, malgré l’existence d’un système de signalement qui permet aux usagers d’alerter les équipes techniques lorsque les règles d’utilisation (« Vous ne publierez pas de contenus incitant à la haine ou à la violence, menaçants, à caractère pornographique ou contenant de la nudité ou de la violence gratuite ») sont enfreintes.

Mais il arrive fréquemment que des images, messages ou vidéos passent entre les mailles du filet. Jusqu’à ce qu’un utilisateur les signale, ces publications noyées dans un déluge quotidien de données postées (300 millions de photos seraient en moyenne envoyées chaque jour sur le site), peuvent se retrouver en ligne plusieurs heures, jours ou mois durant.

Et parfois, malgré des signalements répétés, certaines images violentes ou malsaines restent accessibles, pour des raisons jugées insatisfaisantes ou incompréhensibles par les collectifs féministes.

Ils reprochent, en outre, au réseau social une politique de « deux poids, deux mesures », alors que des règles de censure automatique fonctionnent déjà très efficacement (comme Le Monde.fr et de nombreux sites ont déjà pu en faire l’expérience) lorsqu’une photo postée contient des parties du corps dénudées (seins, fesses, organes sexuels) sans forcément être de nature pornographique.

SORDIDES FAITS DIVERS

Pour donner plus de poids à sa lettre ouverte, WAM a compilé des dizaines de captures d’écran de ce type d’images trouvables en ligne sur Facebook, et reprises par des sites américains d’information comme Buzzfeed, dénonçant à leur tour la persistance des « rape jokes » (« blagues à propos du viol ») sur le réseau.

On y voit notamment des photos de femmes battues ou évanouies, légendées avec des commentaires ironisant sur des viols présumés, ou décrivant, de manière crue, des actes de grande violence.

La plupart de ces photos ont depuis été retirées de Facebook, a assuré, lors d’une conférence, le 29 mai, la numéro 2 du groupe, Sheryl Sandberg : « Ce sont juste des pages dégoûtantes, déplacées ou horribles que nous ne soutenons pas. »

Une manière indirecte pour l’auteur du livre Lean In, sorti en France sous le titre En avant toutes, (JC Lattès, 250 p., 18 €), de répondre aux sympathisantes féministes sur Twitter, qui lui ont par exemple demandé : « Si vous êtes vraiment l’amie des femmes, pourquoi ne faites-vous rien contre les propos haineux sur le viol postés sur Facebook ? »

Lire aussi :  » Ma patronne, cette féministe »

@sherylsandberg If you’re a friend to women, why aren’t you doing anything about the rape/hate speech on FB?

— Beatriz J. Ruiz (@eatpoetry) 24 mai 2013

La démarche intervient également alors que les Etats-Unis ont récemment été choqués par plusieurs faits divers sordides, où des viols et agressions à caractère sexuel ont été suivis d’une diffusion d’images prises avec les téléphones portables des agresseurs.

« Cette nouvelle tendance est horrifiante », titrait la journaliste Mary Elizabeth Williams le 20 mai dans un article de Salon. Elle raconte comment, en décembre, trois adolescents de Chicago qui avaient violé une jeune fille de 12 ans ont ensuite posté la vidéo des faits sur leurs profils Facebook.

D’autres cas (tels les suicides d’une Américaine de 15 ans et d’une Canadienne de 17 ans, survenus après que des images de leurs viols se sont retrouvées en ligne, ou sur les téléphones de leurs camarades d’école) ont contribué à l’émergence de réflexions sur « l’amplification du traumatisme » causée par la viralité de ce genre d’images dans des cercles plus ou moins restreints.

RENFORCER LA RESPONSABILITÉ DES UTILISATEURS

Dans son communiqué du 28 mai, Facebook, en plus de reconnaître les dysfonctionnements de son système de modération pointés par WAM, s’est engagé à prendre plusieurs mesures pour tenter d’y remédier.

Le site annonce qu’il va revoir les règles de modération, actualiser la formation de ses équipes et dialoguer davantage avec des experts juridiques, organisations de droits des femmes et autres groupes « historiquement confrontés à la discrimination ».

WAM s’est félicité de ces « engagements importants » de la part d’une firme qui « a fait plus que la plupart des autres entreprises« . Les féministes espèrent ainsi que ces futures mesures serviront de « base pour combattre la haine sexiste et créer des espaces sûrs, à la fois en ligne et hors ligne ».

Le réseau social explique également mener des tests afin que l’identité d’une personne puisse rester adossée en permanence au contenu qu’il poste sur le réseau, même au fil des partages. Selon Facebook, cette fonctionnalité pourrait permettre de renforcer la responsabilité de ses utilisateurs.

« Les pages sur Facebook peuvent être anonymes et c’est vraiment important, des gens commencent des révolutions grâce à ça », a certes admis Sheryl Sandberg après la publication du communiqué, avant de prévenir :« en ce qui concerne ce type d’humour très cru visant les femmes ou tout autre groupe, nous ne laisserons plus de telles pages être anonymes ».

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