Discours de Jean Vincent Placé au Sénart sur le débat d’orientation des finances publiques

Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Le protagoniste de notre débat, tel qu’il a été posé, c’est incontestablement la croissance. C’est la croissance qui réduira le déficit et résorbera la dette, c’est la croissance qui endiguera le chômage, c’est la croissance qui vaincra les inégalités, c’est la croissance qui sauvera l’Europe. La croissance est aujourd’hui notre unique horizon.

L’horizon. Cette ligne qui recule à mesure que l’on s’avance ! Comment croire encore que nous pourrons l’atteindre ? L’effleurer peut-être, mais l’atteindre ? durablement ? La croissance se déprécie sans discontinuer, en moyenne décennale, depuis 40 ans. Nous, les écologistes, n’avons pas la foi qui nous permettrait de croire à un retour de la fille prodigue.

Au premier rang des causes de cette progressive mais inexorable atonie de la croissance, figure l’épuisement des ressources naturelles dont elle s’est repue sans limite et sans conscience. Le cycle insensé de l’économie de la quantité, du volume, du toujours-plus trouve là une intangible limite physique qui se traduit tout simplement par un prix de l’énergie et des matières premières progressivement rédhibitoire.

L’agriculture illustre bien cette dérive, ses illusions et son déclin. La révolution productiviste consiste à produire aujourd’hui le même kilo de blé qu’hier mais en remplaçant les hommes par des machines dispendieuses en pétrole et en substituant à l’agronomie raisonnée une utilisation massive d’intrants chimiques, qui polluent les nappes phréatiques, annihilent les insectes et stérilisent les sols. Les paysans d’hier qui ne sont pas au chômage réclament aujourd’hui des exonérations de taxes sur le carburant de leurs tracteurs et se découvrent une prévalence de cancers très supérieure à la moyenne.

Revenir de ce modèle absurde ne consiste pas à retourner au Moyen-âge. Simplement à retrouver le bon sens. Développer enfin une agriculture nourricière qui préserve l’environnement et la santé des hommes : c’est possible et c’est là que réside le vrai progrès. Nous devons aujourd’hui substituer à la production de quantités, c’est-à-dire au productivisme, une production de qualité.

C’est vrai de la production de biens matériels, artificiellement alimentée par la publicité et malhonnêtement soutenue par l’obsolescence programmée. Mais c’est également vrai de tous les emplois tertiaires : pour un enseignant, un garde-malade, un policier, le productivisme, la croissance, le toujours-plus n’ont aucun sens. Leur métier n’est pas de faire du chiffre.

C’est précisément cela l’écologie politique. Constatant à la fois l’échec et l’impossibilité du modèle productiviste, cela consiste à encourager, à favoriser, à accompagner la transition de la société vers un modèle de la mesure et de la tempérance, qui respecte les hommes et préserve le milieu qui les fait vivre.

Vous comprendrez, Monsieur le Ministre, que cette analyse et les mesures qu’elle implique s’accommodent mal de la vision que vous nous avez décrite. Le chemin, l’orientation que vous nous proposez, puisque tel est le titre de notre débat, se fonde sur le double dogme que la seule faille de notre modèle est l’excès de dépenses publiques et que la croissance nous attend au coin de la rue. Dans ce schéma, l’écologie n’est qu’un coûteux supplément d’âme, si ce n’est pas une simple concession agaçante à un allié agité.

Le budget que vous esquissez comprend environ 13 milliards d’euros de coupes dans les dépenses de l’Etat et les prestations sociales. Qu’il n’y ait pas de malentendu : nous ne considérons pas que toute coupe serait par essence à bannir. L’efficacité des politiques publiques doit être sans cesse questionnée.

Pour autant, les coupes que vous nous proposez là ne nous convainquent pas. Certes, vous avez transmuté la Révision Générale des Politiques
Publiques (RGPP) en Modernisation de l’Action Publique (MAP), certes vous avez à la rigueur substitué le sérieux…

Comment, toutefois, cela pourrait-il suffire à nous faire admettre que sur 28 missions, l’écologie soit servie en 27ème position ? Alors que dans le même temps, vous sanctuarisez le budget militaire, qui plus est en lui affectant des ressources exceptionnelles, provenant notamment de la vente du patrimoine public que constituent les fréquences hertziennes ?

Assurément, d’autres choix étaient possibles. Car si l’on accepte de prendre un peu de recul, les marges de manœuvre existent.

Le déficit de la balance commerciale française tourne autour de 70 milliards d’euros, soit exactement le même ordre de grandeur que sa facture énergétique. La France, qui investit trois fois moins que l’Allemagne dans les énergies renouvelables, se voit contrainte d’importer une énergie de plus en plus chère. N’y aurait-il pas là un gisement d’économies pour tout dire plus sérieux que dans le budget de l’Ademe ?

Dans le même genre d’idée, une étude récente a montré la gabegie que représente le remboursement des médicaments en France, notamment du fait de l’absence de recours systématique aux génériques et de la politique, pour le moins discutable, de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), qui distribue avec largesse ses autorisations de mise sur le marché.

Ma collègue du Parlement européen, Michèle Rivasi, propose à ce sujet une réforme simple qui permettrait de dégager la bagatelle de 10 milliards d’euros par an à très court terme. Peut-être que considérer ce genre d’initiative avant d’élaguer les prestations sociales pourrait également relever d’une forme de sérieux ?

De la même manière, on sait aujourd’hui que les polluants de l’air déclenchent nombre de pathologies respiratoires et cardio-vasculaires. Sans même parler des vies emportées ou abîmées, ces maladies occasionnent évidemment des coûts pour la société. Il s’avère que ces coûts, Monsieur le Ministre, peuvent être estimés, a minima, entre 20 et 30 milliards d’euros par an pour la France métropolitaine !

20 à 30 milliards d’euros ! Et ces chiffres, Monsieur le Ministre, n’ont pas été fomentés dans le secret du laboratoire d’un lanceur d’alerte exalté… Ils émanent d’un rapport de 2012 du Commissariat Général du Développement Durable ! Si une politique de prévention sérieuse était mise en place, en plus de sauver des vies, nous économiserions à terme de quoi couvrir le déficit des quatre branches de la sécurité sociale et de rembourser allègrement sa dette…

Enfin, pour terminer cette liste loin d’être exhaustive, je manquerais à mon devoir si je ne vous rappelais pas ici les quelques milliards d’euros que nous pourrions économiser en supprimant la composante aérienne de la force de frappe nucléaire. Entendons-nous bien : les écologistes sont évidemment favorables à l’abandon complet de la dissuasion nucléaire, dont je ne suis pas sûr qu’elle nous ait beaucoup aidés au Mali, par exemple. Mais ce n’est pas ce changement de doctrine, auquel je vous invite. Il s’agirait seulement de supprimer le volet aérien de la force, dont tous les experts s’accordent à considérer qu’il est dépourvu d’intérêt stratégique, pour ne conserver que la composante sous-marine.

Voilà, Monsieur le Ministre, brossées à grands traits, quelques propositions d’économies substantielles, qui présentent pour les écologistes l’intérêt de s’inscrire dans le cadre de la transition sociétale qu’ils appellent de leurs vœux.

Les marges de manœuvre qui seraient ainsi dégagées devraient à notre sens être réinvesties pour accompagner la transition et en amortir les effets collatéraux. Une fraction pourrait être affectée à la réduction de la dette. Mais j’ai déjà eu l’occasion de dire à cette tribune, Monsieur le Ministre, à quel point les écologistes déplorent que les rudes efforts demandés aux ménages français servent aujourd’hui à financer un crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), consenti sans conditions aux entreprises, alors même que la transition écologique de l’économie nécessite un pilotage stratégique subtil.

Nous ne partageons donc pas les orientations fondamentales qui nous sont ici présentées mais ce n’est pas pour autant que nous nous sentons isolés, loin s’en faut, au sein de la majorité.

Le rapporteur général des finances de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, vient en effet d’écrire sur son blog tout le mal qu’il pense du CICE. Arnaud Montebourg, qui travaille avec vous à Bercy, a critiqué avec franchise l’austérité. Un collectif de différentes tendances de députés socialistes, représentant à peu près le tiers du groupe à l’Assemblée, appelle à retrouver l’esprit de la campagne présidentielle en menant une véritable réforme fiscale, en lieu et place de l’ajustement structurel social-libéral qui fait désormais office de cap. Le groupe socialiste, toujours à l’Assemblée, a co-signé avec le groupe écologiste une résolution volontariste exhortant à avancer sans tarder sur la voie de la fiscalité écologique. Delphine Batho, enfin, à qui j’adresse de cette tribune un salut amical, a critiqué avec courage, dans les conditions que l’on sait, le sort réservé à l’écologie.

Comme tous ces parlementaires et ministres socialistes, les écologistes n’ont pas oublié le François Hollande du Bourget, qui s’attaquait à la finance, le François Hollande de Châlons-en-Champagne, pour qui la compétitivité ne se confondait pas avec le coût du travail, le François Hollande inaugurant la Conférence environnementale, qui rappelait «l’urgence» et la nécessité de faire de la France «la nation de l’excellence environnementale».

Comme eux, nous sommes encore prêts à y croire. Mais il nous faudra désormais des actes. Tous les sujets s’y prêtent. La loi d’orientation agricole constituera une opportunité de changer radicalement notre modèle alimentaire. La loi consommation permettra de voir si mes propositions sur l’obsolescence programmée, visant à sortir, à l’heure des économies tous azimuts, de la civilisation du gâchis, rencontrent un écho. A cet égard, et sans vouloir préjuger des débats du Sénat, la teneur de la discussion qui vient de s’achever à l’Assemblée a de quoi intriguer : le gouvernement refuse d’augmenter les délais de garantie des biens de consommation afin de ne pas entraver la compétitivité des industriels… Les Français apprécieront.

En ce qui concerne les finances, qui nous occupent ici, il nous semble impératif que la France puisse à très court terme rattraper son retard en matière de fiscalité écologique et quitter enfin l’inquiétante avant-dernière place qu’elle occupe à cet égard en Europe. Il ne serait ni concevable que le budget 2014 restreigne les maigres crédits de la mission écologie – je l’ai dit dans la presse et le répète ici : je ne voterai pas un budget de l’écologie en baisse -, ni qu’il ne mette en place dès à présent les structures d’une telle fiscalité : le rattrapage de l’imposition du diesel par rapport à l’essence, une contribution climat énergie, la préservation de la biodiversité et des terres agricoles, sans oublier l’amorce de la suppression des niches fiscales anti-écologiques. Dans le souci constant d’accompagner la transition et de préserver la justice sociale, sa montée en charge devra se faire progressivement, sur plusieurs années, avec un produit largement redistribué.

Voilà, Monsieur le Ministre, comment les écologistes envisagent les orientations à donner à nos finances publiques. Rendez-vous nous est désormais donné pour l’automne et j’espère sincèrement que nous aurons alors le plaisir de défendre, ensemble, les mêmes ambitions. Dans le cas contraire, nous en tirerons, les uns et les autres, les conséquences et nous déciderons s’il convient de continuer ensemble ou bien de suivre nos orientations respectives.

Remonter