Réponse d’Eva Joly au Plan Bâtiment Grenelle

Monsieur le Président,

Vous connaissez mon engagement, et celui de mon parti vis-à-vis des questions environnementales. Vous savez que le bâtiment – secteur économique de première importance, mais également formidable vivier de dynamismes et d’individualités – est un des sujets sur lequel EELV et moi-même travaillons avec beaucoup d’application, car en dépendent la santé et le confort de nos concitoyens, tout comme l’empreinte écologique, la balance commerciale de notre pays et le maintien d’un grand nombre d’emplois.

A l’occasion de l’élection présidentielle, vous nous questionnez sur la rénovation thermique du parc existant. Ceci est au cœur de mes préoccupations et occupe une grande place dans le projet que je défends auprès de nos concitoyen-nes, car c’est effectivement un chantier essentiel à réussir ensemble dans les années à venir. Mais notre réflexion, qui a pour but de faire profiter la France de l’énorme potentiel que peut receler la transition énergétique, n’en oublie pas pour autant la construction neuve, le développement des énergies renouvelables, l’innovation et les nombreuses réflexions à faire aboutir dans l’approche urbanistique, le « mieux vivre ensemble ». Nous pensons que c’est en menant de manière coordonnée ces chantiers, et en permettant leur appropriation par les territoires, que la dynamique pourra apporter le rythme et la qualité qu’il nous faut atteindre.

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Vous nous questionnez en premier lieu sur la précarité énergétique. Nous savons qu’elle se généralisera si aucune politique ambitieuse et durable ne permet aux bâtiments d’être plus économes. Mais le sujet est complexe puisque la précarité énergétique est souvent une précarité parmi d’autres ; l’enjeu concerne donc aussi la politique à avoir vis-à-vis du prix de l’énergie, de l’encadrement des loyers, de l’accompagnement des populations sensibles et plus généralement de la répartition des richesses.

Les situations de précarité énergétique sont multiformes : nous devons dépasser les critères uniques comme celui du taux d’effort supérieur à 10% ou le froid « ressenti ». L’observatoire de la précarité devra définir les moyens et les outils adaptables à chaque cas, en fonction de la situation sociale et patrimoniale des ménages.

Votre travail a permis une avancée pour soulager le fardeau de la précarité énergétique avec par exemple l’automaticité de l’application des tarifs sociaux, au moins en théorie… Cependant, comme vous le savez, les montants versés sont actuellement symboliques par rapport à l’ampleur du problème, et leur distribution est assez peu équitable. De plus, il s’agit d’une action palliative : elle ne résout pas le problème à sa racine.

Concernant les ménages propriétaires de leurs biens -et je pense notamment aux personnes âgées- je suis convaincue que l’on peut intensifier les actions qui généreront l’efficacité énergétique nécessaire en les aidant à entreprendre les travaux pour une meilleure isolation de leurs biens. Il faut pour cela les soutenir financièrement à un niveau supérieur à ce qui est fait actuellement et proposer un accompagnement personnel.

Pour les ménages locataires, nous devons agir auprès de leurs bailleurs mais aussi inclure l’état thermique des logements dans les conditions de confort minimum d’un logement, de décence et d’indignité, afin que les marchands de sommeil ne puissent prospérer sur le terrain de la misère.

C’est pourquoi je souhaite un changement d’échelle dans les moyens accordés par la puissance publique en faveur de la sortie de la précarité énergétique. Je considère qu’il serait nécessaire de dédier entre 1,4 et 2 milliards d’euros annuellement (contre environ 200 à 300 millions d’euros aujourd’hui). Ces financements permettront d’une part une réduction du « reste à charge » pour les ménages et d’autre part le déploiement d’un accompagnement social et technique d’ampleur. Les subventions seront attribuées sous conditions de ressources, en complément des autres dispositifs, de telle sorte qu’elles couvrent à elles seules jusqu’à 60% des besoins d’investissements de rénovation des ménages en précarité énergétique du premier décile. Les 40% restants seront couverts par les dispositifs de droit commun de type crédit d’impôts, prêts à taux zéro, certificats d’économie d’énergie et par l’intervention de Sociétés de Tiers Financements (cf. infra). D’autre part, le renforcement des moyens humains dédiés au repérage et à l’accompagnement de ces ménages nous paraît essentiel.

Par ailleurs, au-delà de la précarité énergétique existante, face à l’inévitable accroissement du prix de l’énergie à court et moyen terme, notre politique structurelle de transition énergétique permettra de stabiliser les factures des ménages et entreprises avant 2020, grâce aux économies d’énergie et au développement des énergies renouvelables. La continuation de la politique actuelle conduirait à l’inverse à une inflation des factures sans maîtrise possible. Enfin, nous plaidons pour l’instauration d’une tarification progressive du gaz, de l’électricité et de l’eau afin de garantir à tous un accès facile pour les consommations les plus essentielles tout en décourageant les consommations superflues. La mise en place de la tarification progressive devra se faire conjointement avec le déploiement du programme de lutte contre la précarité énergétique, afin que les ménages en précarité ne soient pas impactés négativement. Pour la réussite du déploiement de la tarification progressive en considérant les situations particulières, nous pourrons par exemple compter sur l’exemple de la Californie qui a mis en place des programmes spécifiques pour les ménages vulnérables.

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Comme vous le savez, nous portons un programme de transition énergétique pour la société, afin de lui apporter résilience économique, durabilité environnementale et stabilité sociale. Nos objectifs nationaux doivent permettre une réduction de 85% des émissions de gaz à effet de serre, une division par deux de la consommation énergétique finale en 2050 et une sortie du nucléaire avant 2032.

Le secteur du bâtiment y tient une place essentielle dans la recherche d’efficacité et de sobriété énergétique et dans la production décentralisée d’énergie renouvelable.

Disons-le sincèrement : les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement à l’horizon 2020 (-50% de consommations énergétiques et -38% de GES) nous semblent d’une ambition louable, mais nous craignons qu’ils ne soient pas atteignables. Notre plan est donc, apparemment, plus modeste que le Plan Bâtiment Grenelle à l’horizon 2020, quoi qu’il reste ambitieux d’après nous : -20% d’énergie finale consommée dans le secteur en 2020 (sur un périmètre qui inclut toutes les consommations internes aux bâtiments sur l’ensemble du parc), et -55% en 2050 rapport à 2008. Pour cela, nous visons à ce que l’ensemble du parc atteigne le niveau « BBC rénovation » d’ici 2050 (avec un standard évolutif afin de fixer un niveau de rénovation de 60 kWh/m².an en 2035 au lieu de 80 actuellement). Il sera accompagné de programmes ambitieux de maîtrise des consommations énergétiques internes aux bâtiments et indépendantes de l’enveloppe (notamment l’électricité spécifique).

Pour réaliser cela, nous défendons donc un plan de rénovation qui permettra à partir de 2020 de rénover au niveau BBC près d’un million de logements (925 000 précisément) chaque année et 27 millions de m² du secteur tertiaire. Il s’agit aujourd’hui de continuer d’organiser la montée en puissance sur une période de sept ans (2013-2020), avec un point de passage en 2017 situé à 500 000 logements rénovés BBC par an, en visant en priorité le parc le plus déperditif (1948-1974).

L’atteinte de l’objectif de long terme nous paraît un point essentiel : il convient aujourd’hui de ne pas « tuer le gisement d’économie d’énergie », selon l’expression consacrée pour désigner des travaux qui hypothèquent la possibilité de rénover l’ensemble du parc à un niveau BBC.

Comme vous le constatez, notre programme reste dans les ordres de grandeur comparable au Plan Bâtiment Grenelle, avec cependant une volonté de l’amplifier par une révision à la hausse des objectifs quantitatifs et qualitatifs des rénovations.

Nous partons confiants, car nous savons le monde du bâtiment capable de tenir les défis, pour peu que nous lui proposions de la lisibilité et que nous lui en donnions les moyens. En conséquence, l’organisation du programme de rénovation, qui se développera sur plusieurs décennies, devra être validée au niveau politique par un large consensus.

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Pour permettre la réalisation d’un tel plan, nous devrons mobiliser une multitude d’outils de politique publique.

Tout d’abord, vous soulignez les besoins en termes « d’outils incitatifs puissants ».

Concernant les logements, des dispositifs du type Crédits d’Impôt et Eco Prêt à Taux Zéro (Eco PTZ) seront maintenus mais leurs conditions d’obtention seront relevées afin qu’ils n’accompagnent que des travaux BBC ou BBC compatibles. Les procédures de distribution de l’Eco PTZ devront être revues afin de favoriser son déploiement. En intégrant ces réformes, nous avons évalué les besoins en termes de dépenses budgétaires publiques (CIDD et Eco PTZ) de l’ordre de 3,2 milliards d’euros annuellement entre 2013 et 2020, puis une diminution régulière à partir de 2020 pour atteindre 1 milliard annuellement en 2030 avec une focalisation sur les ménages qui en ont le plus besoin.

Cependant, les outils incitatifs pour le logement résidentiel ne seront pas suffisants. Afin que la prise de conscience soit entière et que le rythme des rénovations énergétiques se maintienne, j’instaurerai à partir de 2020 l’obligation, lors de toute transaction d’un bien, de le rénover au niveau BBC. Cette obligation sera dotée d’un mécanisme de souplesse. Dans le cas où l’engagement immédiat de tels travaux ne serait pas adapté (par exemple en logement collectif, où il est plus avantageux de rénover le bâtiment dans son ensemble plutôt qu’appartement par appartement), ou bien dans le cas où le nouveau propriétaire prévoit une rénovation globale après quelques années de vie dans son bien, l’obligation de travaux deviendra une obligation à provisionner la somme nécessaire à la mise à niveau BBC du bien. Cette somme provisionnée ne pourrait être débloquée qu’à que pour réaliser la rénovation énergétique et elle sera attachée à la propriété du bien. Cette obligation devra être annoncée longtemps à l’avance, afin de permettre au marché de l’immobilier de se préparer et afin d’offrir aux entreprises du secteur la perspective d’un marché certain.

Pour continuer sur les politiques publiques de type « réglementaire », je compte réformer et renforcer le système des Certificats d’Economie d’Energie (CEE). Nous considérons que les objectifs assignés aux « obligés » doivent être multipliés par trois, qu’ils devront être en partie portés sur la clientèle des obligés et une autre partie sur les ménages en situation de précarité énergétique. Les CEE doivent également être réformés dans leurs critères techniques (critères d’attribution, suppression de l’actualisation des kWh etc.).

Enfin, toujours au plan réglementaire, nous connaissons la réalité des copropriétés en logements collectifs : rien ne pourra se faire sans l’adoption d’un cadre juridique favorable, qui change les règles de majorité et imposent la création de fonds-travaux à la hauteur des enjeux.

Je souhaite également généraliser l’emploi d’un outil financier innovant et particulièrement adapté pour des rénovations énergétiques globales et de haute qualité : les Sociétés de Tiers Financement (STF). Elles permettent à la fois d’apporter une ingénierie technique et une ingénierie financière. Elles sont un moyen de lever de nombreuses barrières notamment dans le logement collectif puisque le financement est apporté, ce qui permet de faciliter le passage à l’action des copropriétés qui sont actuellement confrontées à des problèmes sociologiques (multiplicité des situations financières des propriétaires notamment). Enfin, grâce à un effet levier important, les STF sont un outil particulièrement intéressant en termes de politique publique. Nous estimons que les pouvoirs publics (Etat et collectivités) devront engager environ 10 milliards d’euros répartis entre 2013 et 2030 pour constituer le capital de ces sociétés (soulignons qu’il s’agit d’une constitution de capital et non de subventions).

Un autre outil innovant essentiel à développer sera les fonds de garantie. En effet, actuellement le risque est trop mal connu par les acteurs du financement pour qu’ils s’engagent sur des garanties à des prix raisonnables. En développant des fonds de garantie publics, il sera possible d’abaisser le coût de l’endettement simplement en rassurant les acteurs privés. Les risques à couvrir seront à la fois la performance technique, voire les économies d’énergie, et le risque de défaillance d’entreprises du bâtiment alors que des garanties de performance énergétique sont en cours. Pour cela, je prévois de consacrer 200 millions d’euros de dotation initiale en 2013, puis 3 milliards d’euros répartis entre 2014 et 2030 (soulignons que, là encore, il s’agit de capitaux publics immobilisés, qui ne correspondent pas à des subventions et qui seront récupérés dans leur grande majorité).

Concernant le secteur des logements sociaux, ils devront continuer de bénéficier de mesures spécifiques, tels que les éco prêts à taux bonifié proposés par la Caisse des Dépôts et Consignations, qu’il faudra allonger, ainsi que des subventions directes et indirectes par l’Etat et les collectivités territoriales. Nous estimons que les besoins de dépenses budgétaires publiques pour le logement social seront de l’ordre de 1,4 milliards d’euros annuellement à partir de 2020 et jusqu’en 2050.

La mobilisation de financements européens, tels que le FEDER, sera utile ; en particulier, nous espérons qu’une part de 20% du FEDER sera effectivement consacrée à l’efficacité énergétique, de telle sorte que le logement social pourra continuer d’en bénéficier tout en laissant d’autres segments accéder à de nouvelles ressources.

Se joindront à ces outils des structures locales (Agences Locales de l’Energie notamment), en charge d’animer et de participer à la coordination de programmes et des filières, mais également de conseiller chacun dans l’élaboration de son plan de rénovation.

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Concernant le parc tertiaire, l’exemplarité du parc public est essentielle : il devra être intégralement rénové au niveau BBC en 2030. Ceci permettra de tirer le marché tout en réduisant les dépenses énergétiques publiques. De plus, ce rythme devrait satisfaire les exigences portées par la prochaine directive européenne sur l’efficacité énergétique qui pourrait exiger un taux de rénovation annuel de 3% (en surface au sol).

Pour ce faire, nous considérons que les rénovations devront être portées en propre par les acteurs publics, mais également que des STF (publiques et privées) devront être développées, afin d’externaliser tout à la fois la maîtrise d’œuvre et l’endettement. Les dépenses budgétaires publiques à prévoir (qui intègrent à la fois l’investissement en propre et le paiement des loyers aux STF) devront croître régulièrement afin de débuter à 0,7 milliard en l’année 2013 pour atteindre un maximum de 5 milliards en 2030, puis elles diminueront rapidement par épurement de l’endettement externalisé.

Nous considérons, concernant le tertiaire privé, que l’application d’une obligation réglementaire est le meilleur outil de politique publique, puisqu’il permettra l’émergence d’une « valeur verte » dans le marché de l’immobilier tertiaire, lequel est en mesure de réaliser les objectifs sans aide financière spécifique. Il s’agira d’ailleurs simplement d’appliquer ce que prévoit la loi dite Grenelle 2, avec cependant la mise en place effective de toutes des modalités qui permettront de garantir que les acteurs passeront effectivement à l’action dans la rénovation et qu’ils le feront à un niveau de qualité compatible avec les objectifs de long terme. Nous ne prévoyons donc pas de dépense budgétaire publique pour ce segment.

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Vous m’interpellez sur le nécessaire soutien au développement d’une offre de conception, de travaux et de services, ainsi qu’un effort de formation et de qualification pour la filière.

Concernant les offres de conception et de services, les Sociétés de Tiers Financement joueront ce rôle et participeront à l’amorçage d’un marché plus large. Elles assureront par ailleurs un rôle « d’ensemblier », ce qui permettra aux TPE-PME du bâtiment de participer à des contrats globaux de type « contrat de performance énergétique ». En assurant la garantie de performance, voire la garantie d’économie d’énergie, les STF permettront de clarifier les responsabilités, lesquelles seront assurées par le recours aux fonds de garantie développés par ailleurs et à des assurances du marché privé.

J’ai conscience qu’il faudra aux professions le temps et les moyens de parfaire leurs connaissances et leurs formations. Durant la période de montée en puissance (2013-2020), les formations professionnelles, l’organisation des filières et la mise en place des outils (financiers, organisationnels…) seront décuplées. Je prévois en particulier de consacrer de l’ordre de 150 millions d’euros chaque année à la formation continue des professionnels, afin que tous soient formés d’ici 2020 (avec un rythme de 310 000 à 360 000 personnes formées annuellement).

Enfin, il me semble essentiel de considérer que la recherche et l’innovation dans le secteur du bâtiment doivent être fortement soutenues afin d’aider au développement de nouvelles solutions. Un programme coordonné devra permette à terme une réelle amélioration environnementale des matériaux et équipements, mais également d’explorer les sphères de l’ingénierie financière et du management : nouvelles façons d’entrevoir l’organisation du travail, groupement d’entreprises… Les pistes sont nombreuses, et les TPE/PME comme les collectivités territoriales devront pouvoir participer à ce mouvement nécessaire, ce qui ne pourra que leur profiter.

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Nous estimons que le Grenelle de l’Environnement a, pour le secteur du bâtiment, été porteur d’une dynamique nouvelle ; il y a un « avant » et un « après ». Vous avez permis, en tant que Président du comité stratégique du Plan Bâtiment Grenelle, une partie de ce changement appréciable pour notre pays.

Cependant, le chemin sera encore long. Prenons l’exemple de la RT 2012, nouvelle règlementation thermique applicable depuis quelques mois pour certains bâtiments neufs, et à partir du 1er janvier 2013 pour la majorité des constructions. Elle va dans le bon sens, certes, mais elle devait permettre aux bâtiments construits d’être en moyenne à une consommation de 50 kWh/m².an. Les premières informations que nous avons montrent qu’elles seront, du fait de la méthode de calcul choisie et des coefficients proposés aux bâtiments tertiaires, entre 50 et 140 kWh/m².an. Quelle occasion manquée ! Et que penser du souci de lisibilité, pourtant nécessaire si nous souhaitons une meilleure efficacité des professionnels du bâtiment ? Une méthode de 1300 pages qui prend d’abord la précaution de préciser qu’elle n’est pas prédictive, et qui, de plus, au hasard de paragraphes plus ou moins accessibles, montre que la responsabilité des professionnels sera très difficile à engager…

Il ne s’agit pas de remettre en question votre travail ; nous estimons qu’il est vital de réaliser en amont de réelles concertations/réflexions, telles celles du Grenelle de l’Environnement, et ensuite celles du groupe que vous animez. Le Plan Bâtiment Grenelle doit non seulement poursuivre sa mission, mais augmenter ses prérogatives, entre autre pour être capable de limiter les « pertes en ligne » entre ses propositions et les solutions retenues au final.

Concernant la RT 2012, il nous faudra bien entendu partir de cette base pour la construction neuve, mais la politique des labels sera fortement utilisée pour aboutir à une RT 2020 qui, sous des toits solaires, propose des bâtiments au standard « passif », avec une approche fine quant au confort estival. De plus, un triple indicateur nous semble opportun : consommation de chauffage et refroidissement en kWh d’énergie finale, consommation totale, y compris énergie grise, en kWh d’énergie primaire, et son équivalent en bilan carbone.

Nous nous permettons d’exprimer trois points qui, nous semble-t-il, devraient fortifier le groupe que vous animez :
1. Enrichir réellement vos contributions des connaissances et expériences étrangères, et demander une relecture de vos productions à des référents étrangers (il faut sortir du cercle fermé des quelques « sachants » français) ;
2. Avoir un panel plus représentatif des acteurs en jeu, particulièrement du monde associatif. Ce dernier a réellement été invité aux échanges du Grenelle, mais l’est beaucoup moins, nous semble t’il, à ceux du Plan Bâtiment Grenelle ;
3. Proposer tous les rapports en relecture à un panel large d’acteurs du secteur, afin de comprendre leurs aspects plus ou moins représentatif/consensuel, et de permettre de repérer d’éventuelles « nouvelles pistes » (acteurs porteurs de nouveau(x) paradigme(s)…).

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L’ensemble des dispositifs que je propose requière des dépenses budgétaires publiques conséquentes, que nous avons pris le soin de chiffrer techniquement et budgétairement, comme vous le constatez. Les sommes qui doivent être consacrées au secteur du bâtiment pour la rénovation passeront d’environ 2 milliards d’euros actuellement chaque année à 10 milliards en 2020 (incluant la rénovation du secteur tertiaire public). Elles resteront globalement stables entre 2020 et 2030, puis diminueront régulièrement pour retrouver un niveau de 1,5 milliards en 2050.

Il s’agit là d’un effort budgétaire conséquent, alors que nous avons bien conscience des difficultés des finances publiques. Cependant, pour permettre ces dépenses, j’ai clairement exprimé les arbitrages budgétaires qui seront les miens. Je porte également la volonté du renforcement de la fiscalité environnementale. En particulier, je prévois la mise en place d’une Contribution Climat Energie, reposant sur une triple assiette (énergie, gaz à effet de serre, uranium), dont les recettes sont à elles seules plus que suffisantes pour financer le plan bâtiment. L’intégralité des recettes issues de la CCE seront redistribuées pour permettre la transition énergétique, notamment dans le secteur du bâtiment.

Je constate que la rénovation du bâti est l’une des dépenses publiques les plus intelligentes. En effet, elle permet tout d’abord de réduire nos factures, et en conséquence, de conserver de la valeur au sein de notre économie. Mieux vaut ouvrir son portefeuille pour payer nos TPE-PME que pour régler de grands pétroliers. De plus, d’après nos estimations, à elles seules, les économies d’énergie générées par la rénovation du parc tertiaire public devraient, à horizon 2050, correspondre à environ 80% des dépenses publiques que j’ai évoquées précédemment pour la totalité du secteur du bâtiment. Au niveau de l’économie nationale, la rénovation du bâti étant rentabilisable dans la plupart des cas à coût de l’énergie actuel, il semble raisonnable de considérer que l’endettement pour l’efficacité énergétique est un calcul rationnel.

Enfin et surtout, une stricte analyse budgétaire ne peut suffire : il est nécessaire d’appréhender les conséquences économiques globales. En particulier, concernant l’emploi, nous avons estimé que la réalisation de ce programme de rénovation devrait permettre la création de 430 000 emplois directs et indirects, sans compter les 150 000 emplois créés dans les énergies renouvelables (dont une partie sera étroitement liée au bâti).

La création d’activité sera une source de recettes fiscales conséquente (TVA, cotisations) et de réduction des dépenses (réduction du chômage). Pour conforter cette analyse, nous pouvons nous appuyer sur les expériences étrangères : une récente étude1 a montré qu’en Allemagne le programme de rénovation du bâti n’a pas coûté à la puissance publique, mais qu’il lui a rapporté de l’argent à court terme.

Je revendique donc un programme ambitieux, mais viable économiquement et qui offre une vraie perspective de long terme.

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En tant qu’écologiste, je ne peux que réaffirmer toute l’importance que j’accorde au secteur du bâtiment, pour l’avenir énergétique, environnemental, économique et social de notre pays.

J’espère que ces quelques développements permettront de vous éclairer, ainsi que l’ensemble des acteurs du bâtiment, quant à nos intentions concernant ce secteur, tant en termes d’objectifs que de moyens.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes considérations les plus engagées,

Eva Joly

http://evajoly2012.fr

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